"Aller
au bout de ses rêves"
Souvenirs
d'un
globe-trotter
montbrisonnais
Fin
des années soixante. Le pays est encore dans la lancée
de Mai 68. Des cosmonautes américains posent le pied sur
la lune
et un jeune Montbrisonnais commence à parcourir
notre bonne vieille terre. Christian Levet raconte.
"Adolescent,
je rêvais de partir en Suède, je ne sais pas trop
pourquoi." C'est un passionné qui va au
bout de ses rêves
L'aviation l'intéresse beaucoup.
Alors, pour voir les avions de plus près, à 18 ans,
il s'engage pour 3 ans dans l'armée de l'air. Et voilà
qu'à la base aérienne de Saint-Dizier, il dispose
d'une permission. Belle occasion. En route pour la Suède.
Un collègue le conduit en Allemagne et il commence, tout
seul, un long périple en auto-stop. Bruxelles,
les Pays-Bas, le Danemark,
la Suède
Une escapade
d'un mois, en 1968, à 21 ans.
L'Europe
du Nord à mobylette
Ce
n'est qu'un prélude. Libéré des obligations
militaires, Christian rejoint Montbrison et passe l'hiver à
travailler et à préparer une prochaine aventure.
Il achète une mobylette. Cette 49,9 grise, tout ce qu'il
y a de plus ordinaire, est rôdée avec soin sur les
routes du Forez.
Et
le 16 avril 1969, grand départ. Il s'agit cette fois de
visiter l'Europe du Nord. Une mobylette, une tente 3 places, un
petit dictionnaire français-anglais, un garçon décidé.
C'est tout. Bien sûr, les parents Levet sont inquiets. "Ma
mère pleurait à chaudes larmes
Je partais
sans casque
" confesse Christian avec un
peu de regret. Mais la route l'appelle
Nationale
7, Paris, Calais,
embarquement pour Douvres et l'Angleterre.
Et puis, il faut rouler à gauche. Ce n'est pas évident.
Un petit drapeau français flotte sur le guidon de la motocyclette,
histoire d'obtenir un peu d'indulgence des conducteurs british
pour le jeune mangeur de grenouilles. Ce n'est pas du luxe. A
Londres la mobylette a failli "manger"
une voiture. Ouf ! De la peur mais aucun dommage. Et quel temps
de chien ! Fin avril, il fait encore humide et froid en Albion.
"Il fallait attendre que ma tente
dégèle pour la plier ! " se rappelle-t-il.
Mais les Anglais sont accueillants : "J'avais
à peine monté ma tente que j'étais invité
à prendre le thé."
De
Gaulle passait par là
Dublin.
Tour de l'Irlande, une Irlande fleurie.
Le général de Gaulle, tout juste retiré des
affaires, se repose dans l'île verte. Les deux voyageurs
passent près l'un de l'autre mais, bien sûr, ne se
rencontrent pas. Christian travaille 15 jours comme palefrenier
et reprend la route ! Puis le Connemara et, en Irlande
du Nord, la chaussée des Géants.
Le voyage se poursuit. Arrivée à Glasgow,
circuit dans une Ecosse romantique, un coup d'il au
Loch Ness pour voir si le monstre ne reprend pas son souffle
Un peu de bateau et vogue, vogue : Oslo,
la Norvège et ses fjords.
En Suède, pendant une demi-journée,
il s'essaie au métier de plongeur dans un restaurant. "Un
peu bref comme emploi mais super bien payé."
Il passe au Danemark.
Trahi
par la mobylette
Les
fonds commencent à manquer et il recherche du travail.
A Copenhague, le service d'immigration
lui signifie de quitter le pays dans les trois jours. Il reprend
la route. C'est l'Allemagne. Malchance,
un pneu éclate. "Je me suis
réfugié dans un abri-bus pour passer la nuit tranquillement.
Mais tout à coup : "Polizei !" je suis contrôlé,
conduit au poste puis dans un centre pour vagabonds : une sorte
de grand cabanon" se souvient-il.
Et
c'est encore le bitume. En Belgique, panne définitive,
à Waterloo justement ! "Morne
plaine
La mobylette ne veut plus rien savoir."
Le retour est moins glorieux. Mais le douanier est admiratif devant
tant de visas sur le passeport : "Je
n'ai jamais vu un pareil voyage à mobylette ! "
Un routier charitable embarque Christian jusqu'à Paris.
La mobylette légendaire est hissée sur un camion
chargé de ferraille.
A
l'arrivée, voilà que la mobylette devenue inutile
démarre au quart de tour ! Montbrison.
Après trois mois par monts et par vaux, le fils prodigue
revient au bercail. Joie des parents Levet, cette fois. Mais notre
glotte-trotter ne pèse plus que 50 kg, 12 kg laissés
sur les routes d'Europe. Il se souvient : "En
Irlande, je campais près des fermes, le lait ne coûtait
pas cher, ni les pommes de terre
" Qu'à
cela ne tienne, il repartira. Il a la bougeotte après une
seule semaine passée à Montbrison.
En
route vers l'Indonésie
Cette fois c'est plus sérieux. Point de mire : l'Indonésie
en traversant l'Europe et l'Asie, un peu comme Marco
Polo. Christian se trouve un copain, Alain, pour ce fabuleux
projet. Et il commence à préparer avec soin l'expédition.
D'abord, pour faciliter les formalités, il faut être
à Paris où sont les ambassades. En juillet 1969,
il remonte à Paris toujours
à mobylette. "Dans la nuit
du 20 au 21, quand Edwin Aldrin et Neil Armstrong marchaient sur
la lune je dormais dans ma petite tente près de Versailles."
Trois
ans de préparation
Dans la capitale il s'embauche aussitôt à l'hôpital
Saint-Antoine comme garçon de salle. Ensuite il travaille
à la maternité : "J'ai
vu des centaines d'accouchements ! J'étais logé
dans l'hôpital. Je consacrais mes jours de repos, le lundi
et le mardi à visiter Paris. Le quartier Saint-Michel surtout."
Et toujours la photo le passionne : scènes de rue, bouquinistes
Il reçoit même un coup de matraque pour avoir photographié
une manif : "J'étais entre
les CRS et les manifestants. Les CRS ont chargé. Je me
suis dit : si je cours je vais ramasser. Je reste sur place comme
si j'étais journaliste
La charge est passée.
Un CRS a dit : "pas de photo" et a donné un grand
coup de matraque. Je l'ai reçu sur la main qui protégeait
mon appareil ! Je l'ai senti longtemps." Mai 68
n'est pas encore si loin.
Après
un an à Saint-Antoine, Christian entre chez l'avionneur
Dassault, à Argenteuil. Les
avions restent encore une de ses passions. Il y reste deux ans
à découper des tôles en songeant obstinément
à l'Indonésie. Le foyer SONACOTRA où il loge
se trouve de l'autre côté de la route tout près
de l'usine. Il s'en évade pour aller aux 24 heures du Mans,
à Montlhéry ou au circuit
de Magny-cours voir les bolides
"J'y allais en auto-stop. Quelquefois
il me fallait passer la nuit sans dormir. Enfin, bon, c'est pas
grave."
Pour
voir s'il supportera la chaleur, notre ami fait un voyage au Moyen-Orient
: Liban, Syrie,
Jordanie pour admirer le Krak
des chevaliers, les restes de Palmyre?
Baalbek
En faisant un petit
tour auprès de la frontière d'Israël
avec des Palestiniens en armes. Test réussi, il
supportera tous les temps : "Il
faut resté toujours bien couvert pour ne pas se dessécher,
blue-jean et chemise à manches longues."
C'est
parti, mon Kiki
1er novembre 1972, grand départ. Christian - Kiki pour
ses amis - et son copain se donnent jusqu'à Noël pour
rallier le Népal. L'Orient-Express
les conduit à Istanbul par
la Suisse, l'Italie,
la Yougoslavie et la Bulgarie.
Brève visite à Sainte-Sophie puis le bac les amène
en Asie. La traversée de l'Anatolie
se fait en autocar car ce mode de transport coûte une bouchée
de pain.
Ils
traversent à pied la Cappadoce
avec chacun un sac de plus de 20 kilos, dorment dans une maison
troglodyte
"On n'avait pas
fait de feu pour éviter que la fumée nous fasse
repérer." Et voilà l'Arménie
turque, le lac de Van. La neige recouvre
le mont Ararat. "On
pelait de froid. A Van, à côté d'un poêle
à bois, ce qu'on était bien !"
Frontière iranienne. Téhéran,
puis Ispahan, la "moitié
du monde", dit-on. "Une
merveille avec ses mosquées aux mosaïques bleues "
reconnaît Christian.
Le voyage se poursuit à travers l'Afghanistan qui est alors
un royaume assez tranquille : Hérat, Kandahar, Kaboul
Entrée au Pakistan par la fameuse passe de Khaïber,
Peshawar
Pour la suite, la situation se complique. L'Inde
et le Pakistan sont en guerre."La
frontière n'est ouverte qu'un jour par semaine
Enfin,
on a franchi la frontière pour arriver en Inde."
En car, en train, en avion, ils parcourent le nord de l'Inde :
Amritsar, New-Delhi, Jaïpur
Près d'Agra ils
admirent le Taj Mahal, "un poème
d'amour"
Sur
les chemins de Kathmandou
Les deux copains amis prennent l'avion pour le Népal. Ils
fêtent Noël 1972 à Kathmandou. Ils s'y attardent
peu. "C'était l'horreur au
point de vue drogue
Heureusement, raconte-t-il, nous n'avons
jamais voulu y toucher, sinon je ne serais jamais revenu
"
Ensuite c'est la visite de la Birmanie
: Rangoon. La remontée du
fleuve Irrawaddy jusqu'à Mandalay
se fait "avec des civils en armes sur
l'embarcation". Puis mille péripéties
en Thaïlande, à Bangkok
et dans le Triangle d'or. Puis la
Malaisie, Singapour,
enfin l'Indonésie et quelques
semaines de repos dans la perle de Bali.
Un coup d'aile de Singapour vers
la Grande-Bretagne achève
l'aventure d'Alain et Christian.
Retour au bercail
1er avril 1973, Christian Levet est de retour à Montbrison
avec un riche journal de route (plusieurs stylos usés)
et beaucoup de photos. Son barda pèse maintenant 36 kg,
mais lui seulement un demi-quintal. Il lui faut un mois pour se
remettre : "Je me jetais sur la
nourriture, le beurre et le chocolat surtout !"
Mais
il a déjà un autre projet : l'Australie. La famille
est moins enthousiaste : "Il faudrait
que tu te calmes, à 26 ans
" C'était
raisonnable, en effet, reconnaît-il. Le temps des grands
voyages est fini. Reste encore la passion de découvrir
notre terre. Les aventures seront plus brèves : un mois
en Egypte avec l'escalade - pourtant
défendue - de la plus petite des pyramides, un périple
dans les Andes (Equateur,
Colombie, Pérou) avec
son ami Pierre, une tournée en Europe
centrale
Sans oublier l'escalade avec trois copains
du Stromboli, histoire de voir de
près un volcan en éruption, en passant la nuit près
du cratère. Encore un vieux rêve qui a été
réalisé
Aujourd'hui Christian Levet "s'est
replié sur le Forez", qu'il connaît
si bien. La photo le passionne toujours. Il expose volontiers,
ici et là, ses clichés. Il a réalisé
en 2002, un superbe ouvrage "Lumières
sur le Forez" consacré aux paysages du
pays natal . Laissons-le conclure : "J'ai
visité 42 pays, de l'Indonésie au Pérou en
passant par la Scandinavie, mais j'avoue admirer toujours la beauté
de mon Forez.."
Joseph
Barou
Christian Levet
Une
2 CV rouge dans les rues de Montbrison. C'est rare. Mais beaucoup
de Montbrisonnais connaissent la silhouette de son propriétaire
: Christian Levet. C'est le fils d'un gardien de prison bien connu
au temps où la ville avait encore, au Calvaire, sa vieille
maison d'arrêt. Christian, Kiki pour ses amis, est né
à Montbrison en 1947. Il a passé son enfance près
du chemin Rouge. Ses premières escapades l'ont conduit
aux gorges de Curtieux ou au bord du Canal pour pêcher
En
1961, il est premier du canton au bon vieux certificat. Ses études
le conduisent ensuite au lycée Sainte-Barbe de Saint-Etienne.
Il se passionne pour les avions et les voitures de course. Mais
il aime aussi la peinture, la poésie. La photo, surtout,
est son violon d'Ingres. C'est le temps des premiers clichés
avec le un "Fex" en Bakélite tout simple. "Je
suis un chasseur d'images, avec un grand souci de vérité.
Il faut savoir jouer avec la lumière
et le photographe
doit saisir le bon moment." Pas de filtre, aucun artifice.
Bien sûr, il est d'une fidélité absolue à
l'argentique, disciple intransigeant des grands photographes de
jadis.
A
18 ans, il s'engage pour 3 ans dans l'armée de l'air d'où
il sort sergent. Puis les voyages se succèdent entrecoupés
de périodes de travail : Europe, Asie, Amérique,
Afrique. Il ne manque que l'Océanie ! Et c'est comme un
petit regret. En 1984, il épouse Annick
En 2007,
il quitte la vie professionnelle mais garde ses passions et ses
rêves. Reprendra-t-il bientôt son appareil ?
Prochaine exposition