Patois vivant



Les saisons et les travaux


de
Jean Chassagneux

 

Le trovè de lo vigne

lu par l'auteur

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(5 min 54 s)

Le trovè de lo vigne

De kö tïn lou poyesan de lo montagne oyon tou in moussé de vigne, intre Monsë et Sin Rumo, ôtour de Sin Dzôrdzu. In fozan ékin, lou viji de din no èron intyé viji din ba vé lé vigne.

Lo nôtro se truvève vé lé Pérëre, in fache de Sin Dzôrzu. Deye faire o pe pré no cortuna è dyemi. Ma ère o duze kilomètre de vé tche nou. Kan t'oyan in tsovè ère éjo ola lo trovoilla ô le choroban. Opré milo no cin trento chin, y oye ma plu lé la o piè, in prenan le car de Sin Dzouan, qu'olève vé lo Vilo ou vé Sin Rumo, ch'ocourdève.

Tyun trovè klo vigne !... Tu le lon de lo sézu... Le grô trovè se foje o lo piötche plato, tsa kouo o lo piôcheuse ovec le tsovè.

De sézou que y'o, lé y'oyan dyu meno de foumouré. In possan l'uvar le fouye combla. Ô prïntin olèvan poua, c'éto dyere toya lo vigne. "taillo tô, taillo tar, re ne vo lo taille de mar", dyejon le z'anchan. Opré, lo fouye décrusa, lo piötsa, lo ya, l'épointa djuk'ö më de juillè. Y oye ôche lé molodyi : lo fluruso ou l'oïdium, le mildiou ; olôr fouye pa étre in retar po chupra, sulfota, tsa couo plujurë vë. Por ozar ô më d'ö lo tutsèvan plu.Yoye ma ola vëre ch'ékin mouérève bian, che y ôrye no bouno vindëmo. Lé sézou que lo vigne dzolève, ou que grélève, y léssève pa grô ca.

Contorë lé vindëme notro vë, posse que y o bian o dyere etye duchu. Vou vo explica ôro coum ékin se possève oprè, kan lo tsardje pleno ère rindyuo su lo tsopi, le së de lé vindëme.

Porlin d'obôr dö soin que mon père pregne po sou tunio è son vïn. Kan t'in tunè ère vouëdu, le rïncève bian coumo fo, tsa couo le roulève ovec no tsëno dedyïn po dégrominta lou dépô. No vë le tunè bian échu, ovec le boutsu è le guillu infonso, le chuprève ovec no bogueto de chupru. L'oyumève, l'infonsève dedyin in lo soran ô de n'oran po lo bondo. Ekin tyuève ce que y oye dyïn le tunè.

Fouye veya ôche o ce que lou tunio s'édroyëzon pa. De taz'in tin lou fouye étyua coumo lo tsardje.

Kan le vin ère fran figne de faire dyïn lo tsardje, le tyerèvan ô lo fontèno de cuivre, dyïn lo mejuro de far que foje vïn yitre. Vouedèvan lé mejure dyïn le tunè : n'oye de no sampouoto, de no pièche, ou d'in dyemë mu, c'éto dyere de san, dou sin ou quatre sin yitre. Vorsèvan le vïn bian déyecatomin avec l'amboussö. Kan le tunè ère ple, le topèvan ô d'un mortê po bian léssa intra le vïn, è bitèvan ma lo bondo le lindemouo.

No vë le vïn tyero, vouédèvan lo tsardje dyin le benu, in lo pintsan. Vorsèvan klou benou dyin lo beno po ola pressuéra. Ekin dyurève in bon mouman. Le vïn que sourtye ère pa le meyure : oye d'épë. N'in gorgnan kaje in tunè. Le dzenu, ce que demourève de lo sora ère vouëdo dyin lo beno, bian tosso è couvrye de taro. Demourève kokou tin o l'obri, trovoillève, è pé le menèvan o l'olambye po faire lo gouto, le mar che vouyè. Eke n'ère règlominto, ma nan s'orandsève tudzour o de kö mouman. Ere moin sevére qu'onë. Odyujan sé ou set yitre de gouto, tsa vë mê.

In possan l'in doré, mon père churveyève sou tunio. tegne lo cavo frëtche djuko lo frë. Opré lo prumëre dzola le vïn s'ère pôzo, oye fai de dépô. Mon père le soutyerève d'un tunè o l'otru, no modyena de bon tin, po lo bije de preferanche. Le foudri tourna soutyera ô prïntin po que se consorvèze.
Le vïn ère kok'ofaire de vivan, dyeje in vieu dô poyi. Pa étunan que dunève tan de trovè è de suche. Ma, ke vouyé ti, ère nôtron vïn que beyan ; l'oyan cuye, mémou ch'ère pa de bôjolè ou de bordô, ère le nôtru. Mon père n'ère bian fièru. Et oye bian résu.

Le travail de la vigne

En ce temps-là, les paysans de la montagne avaient tous un morceau de vigne, entre Montsupt et Saint-Romain, autour de Saint-Georges. Aussi, les voisins d'en haut étaient encore voisins en bas, aux vignes.

La nôtre se trouvait aux Perrières, en face de Saint-Georges. Elle devait mesurer à peu près une métérée et demie. Mais elle se trouvait à 12 kilomètres de chez nous. Quand nous avions un cheval, c'était facile à aller la travailler avec le char à banc. Après 1935 il n'y avait plus qu'à y aller à pied, en prenant le car de Saint-Jean qui allait à Montbrison ou à Saint-Romain, s'il accordait.

Quel travail cette vigne !... Tout le long de l'année... Le gros travail se faisait à la pioche, parfois à la piocheuse avec le cheval.

Certaines années nous lui avions mené du fumier. En passant l'hiver il fallait l'enterrer. Au printemps nous allions tailler la vigne. "Taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars", disaient les anciens. Ensuite, il fallait la décaisser, la piocher, la lier, l'épointer, jusqu'au mois de juillet. Il y avait aussi les maladies : la "fleureuse" ou oïdium, le mildiou ; alors il ne fallait pas être en retard pour soufrer, sulfater, parfois plusieurs fois. Cependant au mois d'août, nous ne la touchions plus. Il n'y avait qu'à aller voir si ça mûrissait bien, s'il y avait une bonne vendange. Les années où la vigne gelait, ou s'il grêlait, ça ne laissait pas grand chose.

Je vous raconterai les vendanges une autre fois, parce qu'il y a beaucoup à dire la-dessus. Je vais vous expliquer maintenant ce qui se passait après, lorsque la charge pleine était rendue sous le hangar, le soir des vendanges.

Parlons d'abord du soin que mon père prenait pour ses tonneaux et son vin. Quand un tonneau était vide, il le rinçait bien comme il faut, parfois il le roulait avec une chaîne à l'intérieur pour arracher les dépôts. Une fois le tonneau bien sec, avec le bouchon et le fausset enfoncés, il le soufrait avec une baguette de soufre. Il l'allumait, l'enfonçait dedans en le serrant avec un fil de fer par la bonde. Ca tuait tout ce qu'il y avait dans le tonneau.

Il fallait veiller aussi à ce que les tonneaux ne se défassent pas. De temps en temps, il fallait les humidifier comme la charge.

Quand le vin était tout à fait fini de faire dans la charge, nous le tirions avec la fontaine de cuivre, dans la mesure en fer (1) qui contenait 20 litres. Nous vidions les mesures dans le tonneau : il y en avait d'une cempote, d'une pièce et demi-muid, c'est-à-dire, de cent, deux cents et quatre cents litres. Nous versions le vin bien délicatement avec l'entonnoir. Quand le tonneau était plein nous le tapions avec un marteau pour bien laisser entrer le vin, et nous ne mettions la bonde que le lendemain.

Une fois le vin tiré, nous vidions la charge dans la petite benne, le benon, (2) en la penchant. Nous les versions dans la grande benne pour aller presser.
Ca durait un bon moment. Le vin qui sortait n'était pas le meilleur, il y avait de "l'épais". Nous en garnissions presque un tonneau. Le "genne" (marc), ce qui restait de la pressée, était vidé dans la benne, bien tassé et recouvert de terre. Il restait quelque temps à l'abri, il travaillait, puis nous le menions à l'alambic pour faire la goutte, le marc si vous voulez. C'était réglementé, mais on s'arrangeait toujours à cette époque. C'était moins sévère qu'aujourd'hui. Nous ramenions 6 ou 7 litres de goutte, parfois davantage.

En passant l'automne, mon père surveillait ses tonneaux. Il tenait la cave fraîche jusqu'au premier froid. Après la première gelée, le vin s'était posé, il avait fait un dépôt. Mon père le soutirait d'un tonneau à l'autre, une matinée de beau temps, par temps de bise, de préférence. Il faudrait le soutirer de nouveau au printemps pour qu'il se conserve.
Le vin était quelque chose de vivant, disait un vieux du pays. Pas étonnant s'il donnait tant de travail et de souci. Mais, que voulez-vous, c'était notre vin que nous buvions. Nous l'avions récolté ; même si ce n'était pas du beaujolais ou du bordeaux, c'était le nôtre. Mon père en étant très fier. Et il avait bien raison.

(1) La "mesure"en fer pour le vin correspond au "bichet" en bois, double décalitre aussi, pour le grain.
(2) Le benon : une petite benne de 80 litres ; la benne : 400 litres.


Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Les saisons et les travaux,
Village de Forez, 2001, Centre social de Montbrison

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Mise à jour le 18 décembre 2009