Habité depuis l'Antiquité,
le site de Sainte-Eugénie, à Moingt, a connu des occupations
variées. Thermes d'une petite ville gallo-romaine puis prieuré
bénédictin dépendant de la Chaise-Dieu. Le prieuré
est vendu comme bien national à la Révolution.
De 1804 à 1821,
il abrite les moniales de Sainte-Claire
qui ont reconstitué leur communauté. Ensuite la chapelle
et le prieuré servent à diverses activités. Ainsi
en 1851, un atelier de tissage est installé
dans le vieux prieuré qui appartient alors à M. Goutorbe.
L'entreprise de M. de Jussieu
L'entrepreneur n'est pas n'importe qui. Il s'agit d'Antoine-Auguste-Alexis
de Jussieu, membre de l'illustre et vaste famille des de
Jussieu qui a fourni une pléiade de botanistes distingués.
Il fait fabriquer sur place des métiers. Il veut utiliser les
bois du pays, les bras d'hommes du pays.
Douze métiers battants sont d'abord montés. Et on prévoit
d'en quadrupler leur nombre. Dans une autre partie de la maison, des
métiers Jacquard sont installés,
sans doute sous les voûtes de la chapelle. Seules, elles offrent
une hauteur suffisante pour ces hauts métiers. Ils permettent
de faire des rubans ouvragés.
Mais M. de Jussieu veut surtout fabriquer
des rubans simples d'un placement assuré.
La grande difficulté dans l'industrie du tissage est l'irrégularité
de la demande. Elle cause des graves crises avec baisse des prix et
chômage. La production est très dépendante de
la mode. L'industriel espère qu'avec un produit très
courant la vente sera plus facile.
Un espoir pour le développement
de Montbrison
Cette industrie est la bienvenue. Montbrison et les communes satellites
de Moingt et de
Savigneux stagnent sur le plan démographique et économique.
En revanche, Saint-Etienne se développe
très vite avec 78 189 habitants
en 1851. Montbrison dépasse péniblement
les 8 000 habitants. Moingt
et Savigneux sont de modestes villages.
Michel Bernard, rédacteur du
Journal de Montbrison, salue donc
cette petite implantation industrielle. Elle soulève de grands
espoirs :
Au milieu de l'activité industrielle qui est la vie nouvelle,
et qui a enfanté tant de prodiges autour de nous, Montbrison
est resté étranger à ce mouvement... Nous ne
rêvons pas, pour notre pays, de ces fourmilières de misère
où les fabriques absorbent dans des travaux abrutissants et
exagérés les populations qu'elles enlèvent aux
champs ; mais nous avons toujours vivement souhaité voir implanter
chez nous ces industries qui pourraient s'allier avec la constitution
agricole de l'arrondissement.
Eh oui, à Montbrison, petite ville bourgeoise, on craint les
concentrations ouvrières et les "idées dangereuses"
qu'elles pourraient générer ! L'industrie textile
n'a pas prospéré à Montbrison. Cette initiative
tombe mal à propos. La rubanerie, globalement en progrès
de 1800 à 1850,
a une production record en 1855. Mais
la situation se détériore dès 1856.
Marasme et chômage s'installent jusqu'en 1870.
Le tout nouvel atelier de Sainte-Eugénie
disparaît rapidement, victime de la crise.
Richesses cachées
Après cet avatar, le vénérable prieuré
moingtais devient une maison bourgeoise. Dans les salons, les gammes
d'un piano succèdent au battement des métiers. Mais
chapelle, bâtiment et parc recèlent de grandes richesses
archéologiques. Des fouilles sont entreprises dès le
milieu du 19e siècle. Aujourd'hui, désert et délabré,
le clos Sainte-Eugénie attend
un nouveau destin en gardant ses trésors cachés.
Joseph Barou