La boutique de M. Morel
(d'après une carte postale ancienne)1
1912
La fée électricité
touche Montbrison
Juste avant la Première Guerre mondiale,
la fée électricité arrive à Montbrison.
Mais sa baguette est bien timide.
Tout
commence le dimanche 10 mars 1912 par
la mise en service d'une quinzaine de lampes électriques
dispersées dans la ville. Elles renforcent l'éclairage
au gaz mais font encore bien pâle figure. Un Montbrisonnais
sceptique observe que "leur clarté
rougeâtre se diffuse dans un rayon plus restreint que celui
des becs de gaz dont la lueur blafarde fait antithèse".
Enfin, se console-t-il, elles sont bien placées, dans des
lieux jusque-là très obscurs. Et puis d'autres viendront.
Madame
Fournier raconte
Dès 1909,
il y a eu un précurseur à Montbrison.
M. Morel, commerçant inventeur un peu original, est
horloger bijoutier rue Tupinerie. Aujourd'hui
c'est la bijouterie Stahl. Il a installé
dans le sous-sol de son magasin une dynamo pour éclairer
sa vitrine. Le soir du 8 décembre, il participait à
sa façon aux illuminations. Marguerite
Fournier raconte :
"Les gens se pressaient en foule devant
son magasin. D'abord tout était plongé dans la nuit
; on entendait, sous le trottoir, la machine faire "toc-toc"
puis on distinguait une petite clarté dans la vitrine. Le
public retenait son haleine... La petite clarté augmentait
d'intensité et devenait une guirlande de feu dans laquelle
scintillaient les montres et les bijoux... Puis, tout à coup,
"crac"... plus rien... la nuit était revenue...
Dans le sous-sol, la dynamo s'époumonait en vain !... Au
moment où, de guerre lasse, les spectateurs déçus
allaient abandonner la place, la lumière tremblotait à
nouveau... et c'était l'embrasement !... Et il en était
ainsi pendant toute la soirée..."
"Lumière
et Energie"
contre la "Compagnie du Lignon"
En 1912,
c'est plus sérieux. Deux compagnies se disputent le marché
montbrisonnais : Lumière et Energie,
qui a une courte avance, et la Compagnie du
Lignon. Le 28 mars 1912, les futurs usagers, se constituent
en un "Syndicat montbrisonnais pour
l'utilisation de l'électricité". Il
faut faire jouer au mieux la concurrence. Son bureau est formé
de MM. Dubien, président, Georges,
vice-président et Maréchet,
trésorier.
Cette énergie nouvelle sera-t-elle utilisable par les boulangers
? Il y a débat. Une expérience est faite avant de
prendre une décision. Car le public reste méfiant
devant la nouveauté. Le 5 mai 1912,
les P'tits fifres montbrisonnais jouent "Le
roi des oubliettes" dans la salle
des uvres de Saint-Pierre. Pour la première
fois la scène est illuminée grâce à l'électricité.
Malchance ! Un fâcheux court-circuit plonge la salle dans
le noir. Il faut, en toute hâte, rallumer les lampes à
gaz pour finir la pièce. Les organisateurs décident
qu'à l'avenir les becs seront allumés et mis en veilleuse.
Deux précautions valent mieux qu'une.
Déjà
des protestations
En avril
1912, au conseil municipal, le docteur Dulac,
critique les poteaux qui enlaidissent la ville. Il trouve "odieux"
les supports en bois et les pylônes métalliques. De
plus, selon lui, la société Lumière
et Energie n'est pas sans reproches : "Montbrison
a été traité en pays conquis, cette compagnie
s'est arrogé tous les droits sans s'inquiéter de ceux
des habitants"
Le maire, Claude
Chialvo, objecte que ces installations sont provisoires.
Finalement, pour calmer M. Dulac, sa
protestation est inscrite au procès-verbal. C'est mieux que
rien.
En septembre la Compagnie du gaz de Montbrison
riposte avec des propositions alléchantes : "prix
excessivement réduits des installations de gaz en location"
pour appareils d'éclairage avec becs à incandescence.
Mais pour l'éclairage public la bataille est déjà
perdue. Bientôt le temps de l'allumeur de réverbères
sera passé. Dommage pour la poésie.
Joseph Barou