Le
drame du bac
de Chambles (1856)
Autrefois, les ponts étaient
plus rares qu'aujourd'hui. Rivières et ruisseaux constituaient
des obstacles naturels gênants pour la circulation. Il fallait
passer à gué ou utiliser des bacs. Même pour un
petit cours d'eau, ce n'était pas sans danger si une crue survenait.
En allant au marché
de Saint-Etienne
Pour franchir un fleuve le péril était
plus grand. Le drame de Chambles nous le
rappelle. Pour passer la Loire, entre leur
village et Saint-Victor, les habitants de Chambles utilisaient un bac
à "traille", sorte de radeau retenu par une poulie
glissant le long d'un câble tendu d'une rive à l'autre
(la traille). L'installation était au lieu-dit Chamoussey.
Cet endroit serait bien difficile à retrouver aujourd'hui car
la retenue du barrage de Grangent a beaucoup
modifié le paysage. Ce bac à "traille" appartenait
à un meunier, le sieur Coste. Elle
avait été affermée à Jean
Polhiat, un habitant de Saint-Victor-sur-Loire.
Il avait, contre une petite rétribution, la charge de faire passer
la Loire aux voyageurs.
Le 3 mai 1856, à 5 heures du matin,
une quinzaine de personnes conduisant une douzaine d'ânes surchargés
de beurre, fromages, ufs et légumes se présentent
sur la rive gauche pour traverser le fleuve. Ils se rendent au marché
de Saint-Etienne. Le batelier les entasse
tous sur son bac bien que la Loire roule
de grosses eaux. Les passagers ne sont pas rassurés. Ils protestent.
Mais Jean Polhiat refuse, "malgré les représentations
qui lui sont adressées, de faire le voyage deux fois pour diviser
la charge". Il soutient qu'il n'y avait aucun danger à redouter.
Emportés par les flots
Mais le courant est fort et le bac surchargé.
Au milieu du fleuve, le câble, qui était défectueux
casse. Bêtes et gens sont entraînés et submergés.
Le batelier est sauvé par sa femme qui lui tend une perche. Ensemble,
ils réussissent à sauver deux passagers de la noyade.
Trois autres personnes regagnent la rive, en nageant ou en s'appuyant
sur les ânes. Les rescapés sont : Anne
Faure, Catherine Berthollet, Claude
Marie Porte, Antoine Valuire, Catherine
Clément et le pontonnier Jean Polhiat.
Finalement, il y a huit victimes. Les corps de Cécile
Dessagne, d'André Simand
et de Catherine Cros sont retrouvés
à Saint-Rambert et à Andrézieux.
Les cadavres de Jean-Pierre Françon
et de Jacques Faure sont repêchés
à Saint-Just le 29 mai. Ceux de
Catherine Reymont et de Marie
Peyret, épouse de Pierre
Faurand, sont recueillis dans le Roannais. Cette dernière
était enceinte de six mois. On ne retrouve pas Claude
Martignac.
Condamnations
Les autorités se rendent sur place. Le pontonnier
est arrêté. Le drame soulève, bien sûr, la
colère et l'émotion à Chambles.
L'affaire connaît un épilogue judiciaire. Par jugement
du 13 décembre 1856 le tribunal correctionnel de Saint-Etienne
déclare le concessionnaire Coste
et le pontonnier Polhiat coupables d'homicide
par imprudence.
Coste est condamné à une
amende de 500 F. La construction du bateau était vicieuse et
le câble en mauvais état. En effet, le filin avait été
acheté à une exploitation houillère après
avoir été mis à la réforme. L'imprudent
Polhiat est condamné à six mois de prison. Il a
fait monter sur le bac 14 personnes et 9 ânes chargés sans
tenir compte des règlements. De plus, il a mal manuvré
en négligeant d'utiliser rame ou gouvernail.
Ce tragique accident et les condamnations qui suivirent marquèrent
fortement les esprits dans la contrée contribuant à faire
redouter plus encore les dangers des grosses eaux.
Joseph Barou.
Un bac à traille,
gravure ancienne tirée de T. et J. Kocher, L'histoire
et la mémoire de Cuzieu,
Mémoire Forézienne, 2000.