Les
hivers. Les hivers étaient longs à la montagne.
Et, entre voisins, on se fréquentait.
- Vous viendrez ? ma mère leur disait.
- On ira veiller chez vous, Germaine.
- Oui, oui, venez, venez, vous nous ferez bien plaisir !
- Vous ferez cuire les châtaignes ?
- Ah ! On fera bien cuire les châtaignes, bien sûr.
Mais elles ne sont pas pelées [peler
: dépouter]
Ah ! oui, oui, il y a toujours le châtaignier. Il donne
toujours des châtaignes, il est vieux pourtant. On pelait
les châtaignes et puis on les faisait cuire. Et puis après
on disait : Eh ! bon, Germaine il faudra faire le café,
après. On fera bien le café, bien sûr.
On mangeait
des châtaignes, on disait des blagues entre temps. Il y
avait des jeunes, des valets du hameau, quelques-uns. Il y avait
chez T., il y en a qui venait veiller, chez P., il y en a qui
venait veiller. On se faisait rire, les jeunes. On disait : Ces
vieilles, elles n'ont que
, elles ne sont pas à la
page, elles n'ont que
de l'ancien temps. On aime mieux ce
qui se passe maintenant !
Ma mère disait : Vous n'êtes que de grands bêtes,
taisez-vous donc ! Taisez-vous donc !
Ça ne nous plaisait pas, les jeunes. On parlait de l'ancien
,
de la jeunesse, de notre temps, quoi. Ce n'était pas comme
maintenant. On ne pouvait aller courir bien loin. On n'avait pas
de voiture
Nous étions bien contents d'être
réunis.
Eh bien
! on allait de temps en temps, quand il faisait
, le bal,
le dimanche, on allait danser chez la [
?] Masson, la
Patrick, comme on l'appelait. Et là, mon vieux, nous
étions contents de "virer" [danser]. Parfois,
ma mère nous grondait [gronder : jurer]. Il y avait
ma copine, là. [qui disait] :
- On va y faire un tour !
- Non, non, n'y restez pas, n'y restez pas ! Il ne faut pas aller
courir là-bas.
- Mais on regardera ce qui se passera !
On faisait une danse ou deux puis on revenait.
- Ah bon ! Vous m'avez bien obéi [obéir
: écouter],
bon.
Et puis
après on mangeait les châtaignes. Ça dépend
de ce qu'on trouvait. S'il n'y avait pas beaucoup de monde, ce
n'était pas bien intéressant. Il fallait bien qu'il
y ait des jeunes parce que quand nous étions jeunes nous
aimions discuter avec les jeunes.
Et puis,
quand on avait mangé les châtaignes, on buvait du
"vin de pommes" [sorte
de cidre].
Et puis ma mère faisait le café. On buvait le café
et les jeunes disaient
il y a Victor Perrin qui disait :
- N'y mettez pas d'orge, Germaine. Il n'est pas bon, le café,
quand il
- Non ! non ! Je n'y mettrai pas d'orge, ni de chicorée.
Et puis,
si on ne dormait pas ? [allusion
au café fort qui crée des insomnies].
Mais on était jeunes. On dormait quand même. Etant
jeunes, nous dormions bien, il n'y avait pas besoin de nous bercer
[bercer
: grousser].
Et puis après nous nous amusions. Nous allions à
la salle, nous passions à la salle. Nous nous apprenions
à danser. C'est comme ça que j'ai appris, entre
nous.
Et après,
quand on avait passé une bonne veillée, il fallait
qu'on nous dise de s'en aller parce qu'on n'y pensait pas, de
rentrer.
Et puis
[quelqu'un]
disait :
- Tu chanteras bien une chanson avant
- Oh ! oui, oui, pourquoi pas [littéralement
: la même chose].
Et on
chantait notre chanson. On avait bu le café. On pouvait
s'en aller. Parfois c'était une heure du matin. Et le lendemain
matin nous n'étions pas pressés pour nous lever
parce que
Ma mère nous disait : Vous ne pouviez
pas vous coucher hier soir et maintenant vous ne pouvez pas vous
lever. Mais, ma foi, nous étions jeunes, quoi. Et puis,
à l'arrivée, personne, on ne partait pas travailler
à la journée. Ce n'était pas comme maintenant
: c'est l'heure, c'est l'heure, il faut partir. On passait notre
vie comme ça. Et on regardait.
- Et demain, où irons-nous ?
- On ne peut pas partir tous les jours. Vous ne pouvez pas vous
lever le matin.
Un autre
jour, c'était chez d'autres. On passait notre vie
Nous étions contents comme tout. On se faisait des farces.
Victor, qui n'était pas bête, m'en faisait souvent,
lui. Une fois, j'étais allée dehors chercher de
l'eau au "bachat (1)". Il m'avait entendu sortir dehors.
Il était au bachat. Il m'en a foutu [de
l'eau]
après. Je dis : Oh ! la la ! Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai
couru, [j'ai]
lancé le seau
J'ai dit à ma mère :
C'est quelqu'un qui est au bachat. C'était Victor Perrin
qui m'a jeté de l'eau. Il m'a vu venir. C'est que j'ai
eu peur, moi.
Il y a
la voisine, à côté, la Mariette Chaperon.
Alors, elle était vieille. Le lendemain elle disait :
- Germaine, tu as eu des gens [chez
toi]
? Qui as-tu eu ?
Ils ont crié, ils ont parlé de Mariette. Et il
[le
farceur]
a dit en passant : Eh ! Mariette, votre prunier fleurit-il
toujours ?
Elle ne
l'entendit pas, bien sûr. Et le lendemain :
- Tu avais du monde ?
- Oui, on avait du monde, oui.
- Et qui c'était ?
- Oh ! des jeunes du hameau, tu sais bien.
- Ils ont crié : Oh ! Mariette. Oh ! je n'ai pas compris.
Je ne sais pas ce qu'ils ont dit.
On le savait, nous, ce qu'il avait dit. Il était tellement
farceur, Victor. On s'amusait comme ça. On se faisait bien
rire. Il ne nous en fallait pas plus. On ne pouvait pas aller
bien loin. On faisait des réunions, on veillait, comme
ça. On passait de bons moments, quoi. J'en ai gardé
un bon souvenir. Parfois, quand je trouve de
du pays, on
en parle toujours de ces choses, de ces choses anciennes. Eh oui
!
(1) abreuvoir.
L'ouvrage
du Thérèse Guillot : Dans le temps à Germagneux,
Village de Forez, 1999, est disponible au Centre social
de Montbrison