Patois vivant


La Saint-Barthélemy



souvenirs de Thérèse Guillot

 

Jour de battage
à la machine

souvenirs de Thérèse Guillot (née en 1915 à Germagneux, commune de Saint-Bonnet-le-Courreau) racontés au cours d'une veillée en patois de Saint-Bonnet-le-Courreau (Loire)

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 10 s)

Enregistrement effectué au cours des veillées "Patois Vivant"
au Centre Social de Montbrison de 1997 à 1999 par André Guillot et Joseph Barou

Dans le temps quand j'étais jeune, comme toujours - allez ! - on me demandait : Thérèse, tu viendras bien nous aider pour la machine ? Je ne me le faisais pas dire [deux fois] parce que c'était un jour de joie pour nous. Et puis on voyait des jeunes [gens], du monde quoi ! dans le hameau, un coup chez un, [un coup chez l'autre], je n'allais pas chez tous, mais dans des maisons...

Et de bon matin, on allait mettre... Ils [les gens de la maison] mangeaient à la lampe, ce n'était pas jour, c'était le mois de septembre, la fin du mois d'août. Et puis quand ils avaient mangé, il fallait faire la vaisselle, ramasser tout ce qu'il y avait. Mais après quand arrivait le ...  A neuf heures, il y avait la pause. Alors la patronne... ils [les gens de la maison] faisaient des pâtés - ils ne les achetaient pas - ils faisaient des pâtés avec les pommes du mois d'août qui tombaient. Allez ! ils faisaient des pâtés et puis ils faisaient cuire ça. Et pour la machine chacun avait sa tranche de pâté à la pause, le matin et l'après-midi [ vers le soir] à quatre heures.

Alors moi, en principe, moi et d'autres - je n'étais pas toute seule- , alors on le portait à la pause et puis... On le portait à la pause. Et le grand-père de la maison me disait : Attention, Thérèse ! attention ! Ne verse pas trop à boire, ne verse pas trop boire. Ne mets pas des verres trop pleins. Ils [les ouvriers] étaient là vers la grange, assis. Pas trop verser à boire, pas trop verser à boire parce que, après, ils auront bu. Déjà que [dans] la carte, une "machine"- une biche qu'ils appelaient "la carte"-, c'était déjà coupé, il y avait déjà de l'eau. Enfin le grand-père me disait : ne mets pas le verre trop plein, Thérèse, ne mets pas le verre trop plein. Et les jeunes... mon Victor m'avait dit, une fois :
- Tu repasseras vers moi, tu repasseras, tu m'en verseras un verre de plus.
- Oui, oui ! Ne t'occupe pas !
Et le grand-père m'observait : Attention Thérèse, verse pas trop, verse pas trop. Il fallait économiser.
Alors, bien sûr, "étoger"
[économiser]. Et puis quand ils avaient mangé le jambon, le saucisson, le fromage, ils mangeaient le pâté puis ils repartaient [au travail].

Les mécaniciens venaient faire la pause à la maison, eux. Mais souvent ils avaient les mains noircies. Il ne fallait pas trop les "chiner" [plaisanter avec eux] parce que, mon vieux... Une fois j'en avais sur la figure [de la graisse noire de la locomobile], mon vieux, j'étais jolie ! Et il y avait une jeune [fille] qui était à côté de moi. Elle me disait :
- Si tu te voyais !
- Tu en as aussi, toi. Tu ne te vois pas.

Et de rire, et de rire toutes les deux. Elle me voyait et je ne me voyais pas. Et elle... Et moi je la voyais. Oui, on se faisait rire. Nous étions "mâchurées" toutes les deux. Mais baste pour ça... J'avais un tablier tout neuf - ben, mon vieux ! - s'il faut laver cette chose grasse de la machine... Enfin j'ai quitté le tablier.

Enfin le soir, je servais à table. Je portais, je coupais le pain, je mettais le couvert. Je faisais tout ce qu'il y avait à faire. Pour la machine, en principe, ils tuaient, dans les grosses maisons, une brebis, ça faisait manger ça. Ils mettaient des pommes de terre à la casserole. C'était gras, bien sûr, mais on n'était pas difficile à cette époque ! On n'en mangeait pas souvent ; ça avait le goût de la brebis. Ce n'était pas comme l'agneau d'aujourd'hui. C'était plus fort.

Je m'occupais de porter le vin sur la table, tout ce qu'il fallait, les plats, tenir du pain, je m'occupais...
La patronne me disait :
- Tu t'occupes de la table ?
-
Oui, oui, d'accord.

Et puis les jeunes [disaient] en passant :
- J'ai bien soif, verse-moi un canon.
- Le patron est ici, je ne peux pas verser, on n'est pas à la pause.

Et puis, à quatre heures, dans les grosses boîtes [fermes] [c'était] pareil. Il fallait encore porter [le casse-croûte] à la pause. Alors, ici, je faisais attention, les machinistes, je m'en garais. Ils étaient deux. Si c'était pas l'un, c'était l'autre ; ils se donnaient le mot. Nous étions sûres d'y passer aussi. On passait une bonne journée quand même.

Quand venait le soir on disait ... mais on y faisait attention parce qu'ils nous guettaient et on disait : s'ils recommencent, ben mon vieux, on n'a pas fini de frotter. C'était gras sur la figure. Ils portaient la main sur la machine ; il y avait de l'huile et tout. Eh bien ! nous étions contents quand même. Nous passions une bonne journée. Ils [les machinistes] étaient déjà occupés parce que, quand c'était fini, bien occupés à décaler la machine pour la mener ailleurs ; ça craignait moins le soir. Mais entre le matin et l'après-midi - eh bien ! merci -, il fallait faire attention. Ils venaient à la maison ; ils venaient boire, eux.

Et une fois, dans une maison, la grand-mère disait :
- Mon vieux, une bonne journée !
Elle disait à son homme :
- Une bonne journée, elle disait à Jean-Marie, son homme.
- Oui, on ne finira pas de bonne heure.

Et elle lui disait :
- Tu n'en peux plus Jean-Marie, t'es fatigué.
Il répondait :
- J'en peux bien un peu plus...

Et ça aussi c'est vrai.



Battage à la machine vers 1950 à Bucherolle (Saint-Bonnet-le-Courreau, Loire)

cliché de Marcel Roinat extrait de Marcel et Simone Roinat-Dumont,
"Saint-Bonnet-le-Courreau, années 1930-1950", Cahier de village de Forez, 2009


L'ouvrage du Thérèse Guillot : Dans le temps à Germagneux,
Village de Forez, 1999, est disponible au Centre social de Montbrison


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