Dans
le temps quand j'étais jeune, comme toujours - allez !
- on me demandait : Thérèse, tu viendras bien
nous aider pour la machine ? Je ne me le faisais pas dire
[deux
fois] parce
que c'était un jour de joie pour nous. Et puis on voyait
des jeunes [gens],
du monde quoi ! dans le hameau, un coup chez un,
[un coup chez l'autre],
je n'allais pas chez tous, mais dans des maisons...
Et
de bon matin, on allait mettre... Ils [les
gens de la maison]
mangeaient à la lampe, ce n'était pas jour, c'était
le mois de septembre, la fin du mois d'août. Et puis quand
ils avaient mangé, il fallait faire la vaisselle, ramasser
tout ce qu'il y avait. Mais après quand arrivait le ...
A neuf heures, il y avait la pause. Alors la patronne...
ils [les
gens de la maison]
faisaient
des pâtés - ils ne les achetaient pas - ils faisaient
des pâtés avec les pommes du mois d'août qui
tombaient. Allez ! ils faisaient des pâtés et puis
ils faisaient cuire ça. Et pour la machine chacun avait
sa tranche de pâté à la pause, le matin et
l'après-midi
[ vers le soir] à quatre heures.
Alors
moi, en principe, moi et d'autres - je n'étais pas toute
seule- , alors on le portait à la pause et puis... On le
portait à la pause. Et le grand-père de la maison
me disait : Attention, Thérèse ! attention !
Ne verse pas trop à boire, ne verse pas trop boire. Ne
mets pas des verres trop pleins. Ils [les
ouvriers] étaient
là vers la grange, assis. Pas trop verser à boire,
pas trop verser à boire parce que, après, ils auront
bu. Déjà que
[dans]
la carte, une "machine"- une biche qu'ils appelaient
"la carte"-, c'était déjà coupé,
il y avait déjà de l'eau. Enfin le grand-père
me disait : ne mets pas le verre trop plein, Thérèse,
ne mets pas le verre trop plein. Et les jeunes... mon Victor
m'avait dit, une fois :
- Tu repasseras vers moi, tu repasseras, tu m'en verseras un
verre de plus.
- Oui, oui ! Ne t'occupe pas !
Et le grand-père m'observait : Attention Thérèse,
verse pas trop, verse pas trop. Il fallait économiser.
Alors, bien sûr, "étoger"
[économiser].
Et puis quand ils avaient mangé le jambon, le saucisson,
le fromage, ils mangeaient le pâté puis ils repartaient
[au
travail].
Les
mécaniciens venaient faire la pause à la maison,
eux. Mais souvent ils avaient les mains noircies. Il ne fallait
pas trop les "chiner" [plaisanter avec eux] parce
que, mon vieux... Une fois j'en avais sur la figure [de la
graisse noire de la locomobile], mon vieux, j'étais
jolie ! Et il y avait une jeune [fille] qui était
à côté de moi. Elle me disait :
- Si tu te voyais !
- Tu en as aussi, toi. Tu ne te vois pas.
Et de rire,
et de rire toutes les deux. Elle me voyait et je ne me voyais
pas. Et elle... Et moi je la voyais. Oui, on se faisait rire.
Nous étions "mâchurées" toutes les
deux. Mais baste pour ça... J'avais un tablier tout neuf
- ben, mon vieux ! - s'il faut laver cette chose grasse de la
machine... Enfin j'ai quitté le tablier.
Enfin
le soir, je servais à table. Je portais, je coupais le
pain, je mettais le couvert. Je faisais tout ce qu'il y avait
à faire. Pour la machine, en principe, ils tuaient, dans
les grosses maisons, une brebis, ça faisait manger ça.
Ils mettaient des pommes de terre à la casserole. C'était
gras, bien sûr, mais on n'était pas difficile à
cette époque ! On n'en mangeait pas souvent ; ça
avait le goût de la brebis. Ce n'était pas comme
l'agneau d'aujourd'hui. C'était plus fort.
Je m'occupais de porter le vin sur la table, tout ce qu'il fallait,
les plats, tenir du pain, je m'occupais...
La patronne me disait :
- Tu t'occupes de la table ?
- Oui,
oui, d'accord.
Et
puis les jeunes [disaient] en passant :
- J'ai bien soif, verse-moi un canon.
-
Le patron est ici, je ne peux pas verser, on n'est pas à
la pause.
Et puis, à quatre heures, dans les grosses boîtes
[fermes] [c'était] pareil. Il fallait encore porter
[le casse-croûte] à la pause. Alors, ici,
je faisais attention, les machinistes, je m'en garais. Ils étaient
deux. Si c'était pas l'un, c'était l'autre ; ils
se donnaient le mot. Nous étions sûres d'y passer
aussi. On passait une bonne journée quand même.
Quand venait le soir on disait ... mais on y faisait attention
parce qu'ils nous guettaient et on disait : s'ils recommencent,
ben mon vieux, on n'a pas fini de frotter. C'était
gras sur la figure. Ils portaient la main sur la machine ; il
y avait de l'huile et tout. Eh bien ! nous étions contents
quand même. Nous passions une bonne journée. Ils
[les machinistes] étaient déjà occupés
parce que, quand c'était fini, bien occupés à
décaler la machine pour la mener ailleurs ; ça craignait
moins le soir. Mais entre le matin et l'après-midi - eh
bien ! merci -, il fallait faire attention. Ils venaient à
la maison ; ils venaient boire, eux.
Et
une fois, dans une maison, la grand-mère disait :
- Mon vieux, une bonne journée !
Elle disait à son homme :
- Une bonne journée, elle disait à Jean-Marie,
son homme.
- Oui, on ne finira pas de bonne heure.
Et elle lui disait :
- Tu n'en peux plus Jean-Marie, t'es fatigué.
Il répondait :
- J'en peux bien un peu plus...
Et
ça aussi c'est vrai.

Battage
à la machine vers 1950 à Bucherolle (Saint-Bonnet-le-Courreau,
Loire)
cliché
de Marcel Roinat extrait de Marcel et Simone Roinat-Dumont,
"Saint-Bonnet-le-Courreau, années 1930-1950",
Cahier de village de Forez, 2009
L'ouvrage du Thérèse Guillot : Dans
le temps à Germagneux,
Village de Forez, 1999, est disponible au Centre social
de Montbrison