Patois vivant



Maurice Brunel en avril 1999
au cours d'une veillée patois
au Centre social de Montbrison

 

Le cousin et l'Argentine

Maurice Brunel

(patois d'Essertines-en-Châtelneuf)

enregistré au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison
, 13, place Pasteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(6 min 13 s)

Je vais encore vous raconter une histoire de quand j'étais enfant, que j'allais en vacances à Bard. Ma grand-mère habitait chez le Tonton Pierre, son frère, et j'aimais bien y aller. Et ça se passait, je ne sais pas si c'était pour les vacances de Pâques, ou du Mardi gras, mais c'était à peu près à cette époque. C'était en 1941-42, ça.

Ma grand-mère m'envoya garder les chèvres dans les Adrets. En passant, je pris les chèvres de la Grand' Marie. Et puis je filais sous le bourg. Sous le bourg, il y a deux chemins, l'un qui tourne à gauche, et l'autre à droite, bien entendu, qui va vers le Charavan et qui monte vers le Plénet de Verrières.

Et je connaissais bien le chemin de droite parce qu'il y a la "Grand Font"
[la grande source] et on m'envoyait chercher de l'eau à la Grand Font parce que l'eau était bonne. Et dans la cour du Tonton Pierre, il y avait un puits qui était recouvert de ciment et puis d'une dalle mais l'eau n'était pas potable. Alors j'allais chercher un seau d'eau propre assez souvent à la Grand Font.

Mais ici je tournai à gauche sous chez B... pour descendre dans les Adrets. Et sous chez B..., il y avait chez Robert - leur nom c'était Pallay mais on disait chez Robert - qui faisaient beaucoup de légumes. Maintenant, on dit qu'il faut se diversifier mais eux, ils n'avaient pas attendu parce qu'aujourd'hui il n'y a plus de ferme. Mais ils s'étaient diversifiés et ils faisaient beaucoup de légumes qu'ils allaient vendre en ville et je ne sais pas où.

Ils avaient une auto, genre C 4 ou quelque chose comme ça. Et, autant que je sache, dans le bourg de Bard, il n'y avait que trois autos. Il y avait le Mile - qui tenait café et qui avait quelques vaches - qui avait une auto, C 4 quelque chose dans le même genre. Et le curé. Le curé avait un as de trèfle, une petite Peugeot qui a un caisson, derrière, en forme de coeur pointu. Je le sais bien parce que j'y ai
[suis] monté dedans. Une fois, nous étions allés, avec ma grand-mère, en ville. Et en remontant, vers cinq, six heures du soir, le curé se trouva de monter, de nous trouver vers le Bouchet. Alors, ma grand-mère monta devant, à côté de lui. Moi, il leva le couvercle du caisson et je montai dans le caisson. Mais j'étais bien content parce que je m'économisais bien une bonne étape. Mais enfin, baste !

Alors, moi, je descendis les chèvres un peu plus bas. Et un peu plus bas, le Tonton Pierre avait une petite terre. Je ne sais pas si ça faisait une cartonnée (1), peut-être ? Et mon cousin Marcel arrachait des topinambours. Alors, moi, je laissais les chèvres partir. Elles ne pouvaient pas faire de dégâts, de toute façon, à manger des genêts, du lierre, des saloperies ! Et je ramassais les topinambours que le Marcel arrachait.

Et le Marcel me... - j'étais gamin, je ne tenais pas bien des discours - le Marcel devait s'ennuyer et il se mit à me "gonfler" une histoire. Quand il était jeune - 17, 18 ans, je ne me rappelle plus - qu'il était allé en Argentine pour garder les vaches dans une exploitation - une hacienda ? je ne m'en rappelle plus - qui avait des centaines de mille de vaches et d'hectares, énorme ! Et ils gardaient les vaches à cheval, bien entendu. Ils étaient cinq, six, je ne sais pas combien.

Et dans cette ferme, il y avait une fille. Et cette fille convenait à Marcel et Marcel convenait à la fille. C'était décidé qu'ils se marient. Mais un jour Marcel reçut une lettre de son père
[disant] que sa mère était gravement malade. Alors il disait : "Il faut revenir pour voir ta mère avant de mourir." Marcel prit le train, prit le bateau, arriva en France, bien sûr. Et il vit sa mère ; elle mourut quelques jours après.

Et son père ne voulut pas le laisser
[re]partir et puis lui dit : De toute façon, tu n'as pas fait ton régiment, il faudra partir faire ton régiment. Et, en effet il partit faire son régiment. Et en revenant du régiment - ils s'écrivaient bien avec la payse mais les lettres (il n'y avait pas d'avion) mettaient un moment pour venir, ça ne se passait pas si vite que ça.

Et, entre temps, il fit connaissance, chez Durand qui avait tenu... je ne sais plus ce que c'est, [dans] la rue des Arches, en face de la pâtisserie qui a fermé. C'était un Durand et ils étaient apparentés avec chez Guillet. Ils dételait dans l'écurie de chez Durand qui se trouvait à côté de M... , le boulanger. Et, à midi, ils y mangeaient. J'y ai mangé, moi. Et il fit connaissance, ici, de la bonne [de] chez Durand qui venait de Haute-Loire. Alors, plus question de la payse en Argentine. Il se maria avec la bonne de chez Durand...

Alors, moi, j'écoutais bien cette histoire mais je ne croyais pas tout parce que, à la maison, jamais je n'avais entendu parler que le Marcel était allé garder les vaches en Argentine. Son frère, qui était douanier, je le savais, il était douanier à l'Ile-Rousse. Il venait parfois manger à la maison pour des enterrements [alors] qu'il venait à Essertines. Le Joannès était prisonnier mais, le Marcel, je n'avais jamais entendu dire qu'il était allé garder les vaches. Alors je ne le croyais pas bien. Et le soir, j'étais assis à table et il se mit à raconter à la Mathilde, sa femme, qu'il m'avait gonflé bien comme il faut. Il devait l'avoir lu dans un livre et il me le servit tout chaud, quoi. Moi, je ne dis rien, je ne fis cas de rien ; ça fait qu'ils ne surent pas si je l'avais su ou pas su.

Mais je ne lui en voulus pas, à Marcel. Mais il était un peu fier, Marcel. Je le craignais un peu. Ce n'est pas qu'il m'avait fait des misères mais, en plus, il avait une expression [una dia, un dire] et une expression que tous les hommes autour de moi ne disaient pas. Son expression c'était :" Putain" [puti-ïn]. Je ne sais pas s'il avait fait son service dans le Midi... Alors, à tout moment : "Putain que ça fait chaud ! ça fait froid, putain !" Alors, moi, je le trouvais tout à fait bizarre, ça. C'était comme ça, quoi.

Mais je ne lui en voulus pas. Et puis, dans l'été, quand nous allions faner le pré Martin, sur le cotayet, au bord du Cotayet, au-dessus du pont Jambin, un samedi (?) avant midi, nous étions tous les deux pour "accrocher" [rassembler] le foin. Ce pré est tout à fait pentu. Il n'y a qu'en haut qu'on peut mettre le char pour faner. Et tout le foin d'en bas, il faut le monter à la fourche. Alors il me fit une fourche avec une petite branche de frêne. Bien sûr, je ne montais pas de grosses fourchées mais j'en montais autant de voyages que lui.

Et puis, l'après-midi, nous sommes allés faner et ici, par le passage, pour sortir au chemin, ça montait beaucoup. Il fallait faire renfort
[aprioler] avec la jument. Et moi, j'aimais bien mener la jument. Ils me laissaient mener la jument. Pour la bonne raison [que] dès que je trouvais un morceau de muret, je montais sur le muret et je montais sur la jument. On n'avait pas de cheval à la maison. Pensez, j'étais content ! La première fois que j'y montais, ils se moquèrent un peu de moi. Je n'étais pas au courant. Ils me dirent : "Mais elle est malade la jument !" Alors je ne savais pas que dire. "Oui, parce qu'elle a un emplâtre sur les reins".


(1) Environ 1 000 m².

Croix en fer forgé surmontant le lavoir (un ancien sarcophage)
de la "Grand Font" sur le chemin du bourg au ruisseau du Bouchat
(cliché Francisque Passelègue)
Cette photo est extraite de : Emile Meunier, "Il était une paroisse : Bard",
Cahiers de Village de Forez
n° 34 , septembre 2007



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mise à jour le 10 août 2011