Alors
je ne vais pas vous raconter une histoire bien rigolote. C'est
un peu d'histoire que je vais faire. Je vais vous conter ce qui
se
passa le 15 du mois d'août 1882 dans le hameau de Malleray,
ça ne date pas d'aujourd'hui. Ma grand-mère avait
douze ans.
Le 15 du mois d'août à Essertines, il y avait une
procession, avant les vêpres. Ils faisaient le tour du cimetière.
Ils descendaient par le chemin que nous appelons le chemin
du Diable. Et quand ils arrivèrent à la croix
du Heurt - cette croix se trouve en face du hameau de Malleray,
mais de l'autre côté du Vizézy - les gens
se mirent tous à gueuler : "Il y a le feu, il y a
le feu ! Au feu !"
Et,
en effet, il y avait le feu, à Malleray, en face. Il y
avait deux maisons qui brûlaient ; ça fait que la
procession, ce fut la vraie débandade. Les hommes et tous
ceux qui habitaient Malleray s'en allèrent à fond
de train, au galop. Enfin il y en a déjà pour un
petit moment pour aller à Malleray, d'Essertines. Il faut
une demi-heure à pied. Il faut descendre au Vizézy,
il faut remonter. Mais enfin, tous ceux qui étaient un
peu valides allèrent porter secours, quoi !
Et,
bien sûr, il faisait du vent, en plus. Alors ils montèrent
sur le toit. Ils cherchaient l'eau, avec des seaux, parce que,
à ce moment, les pompiers n'existaient pas. Et à
Malleray, il n'y a pas tellement d'eau au mois d'août. Il
y a bien quelques boutasses [reserves
d'eau] dans
les environs. Je ne sais pas comment ils firent.
Mais
le pire qui se passa, [c'est
que]
le vent était tellement grand que ça amenait des
bourrasques [de
z'ébufle] et il y avait deux maisons dans le pré,
à 70 ou 80 mètres et des maisons derrière
- il y avait chez Duchez et chez Chaland, chez Jean Chaland où
je demeure, moi - qui avaient des ouvertures sur le pré
où ils passaient le foin. Et les bourrasques amenèrent
des étincelles, ça fait que sans parler de deux
maisons qui brûlaient, il y en avait quatre.
Alors
je ne sais pas comment ils se démerdèrent. Ils arrivèrent
à sauver un peu les habitations ; les granges, les fenières,
tout brûla. En plus, le curé vint. Le curé
s'appelait L... Il vint conjurer le feu. Bon, je ne sais pas le
résultat. A la tombée de la nuit, il leur dit :
"Faites attention parce qu'il y en a qui sont venus aider
mais il y en a [aussi]
qui
sont venus pour vous piller. Ils avaient bien sorti ce qu'ils
pouvaient des bâtiments : le linge, beaucoup de choses
[littéralement :
mé que d'une, plus
d'une]..?
Ils avaient fait des tas dans les prés. En effet, le lendemain,
quand ils menèrent les vaches "en champ" sous
le hameau, ils trouvèrent des draps, des serviettes qu'ils
avaient semés en s'en allant. [c'était] Des
gens qui avaient pillé.
Le
père Epinat dans le bulletin paroissial qui était
édité par le père Bouillot au début
et après par le père P...., le père Epinat
- il était professeur aux facultés catholiques de
Lyon, d'histoire et de géographie - et il disait qu'il
n'y avait que les granges et les fenières qui avaient brûlé
et qu'ils avaient sauvé les habitations. Mais moi, je ne
suis pas tout à fait d'accord, parce que, moi, j'ai fait
faire des réparations il y a quelques années, et
dans les murs - dans le temps, il y avait des placards dans les
murs, les murs étaient épais, ils faisaient des
placards - nous avons enlevé le crépissage... et
dans les murs, au-dessus des placards, nous avons trouvé
des morceaux de bois qui avaient brûlé, qu'ils avaient
laissés. Donc il y avait des morceaux de maisons qui avaient
brûlé.
Alors
je ne sais pas comment cela se passa. Le foin, bien sûr,
il fut probablement tout perdu. Il y avait du grain - il y avait
chez Baudou et chez Duchez. Chez Baudou, ils avaient un moulin,
à la suite d'un partage de chez Duchez parce que Baudou
était un gendre qui était resté et ils avaient
partagé la propriété, et ils avaient du grain.
Et le grain, je ne sais pas combien de jours le grain brûla.
Alors
je ne sais pas comment ils firent pour se tirer d'affaire. Ma
grand-mère l'a peut-être dit mais je ne m'en rappelle
plus. Mais ce ne dut pas être un jour bien rigolo.
Village
de Malleray
(octobre 1957, photo d'un reportage de Paysan de la Loire)
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