Alors,
c'est une histoire qui est vraie, ça ; ça se passait
c'était la fin de la guerre mais je ne peux pas bien me
rappeler l'année que c'était.
Nous
allions veiller à Bard à cette époque. Moi,
j'habite à Essertines, sur la route de Châtelneuf
et ma grand-mère habitait à Bard, chez son frère,
au bourg de Bard. Et pour y aller il faut franchir trois vallons,
trois ponts, trois rivières : le Vizézy, la Trézaillette
et le Cotayet. il y en a pour une heure et demie. Et nous y allions
en veillée. Il faut encore être courageux, quoi !
Mais enfin nous y allions de temps en temps. Et, en général,
nous y allions quand c'était clair de lune parce que nous
avions bien des lanternes à la maison mais mon père
disait : "Oh ! nous connaissons bien le chemin, nous n'avons
pas besoin de lanternes". Il fumait, il avait un briquet,
bon ! Nous partions.
Nous
partions souvent à la tombée de la nuit [à
bord de nuit]. Nous mangions avant de partir. Et parfois nous
ne mangions pas parce que nous allions manger un morceau de cochon.
Alors nous partions tous les trois. Parfois il y avait ma soeur.
Ils [les autres enfants] étaient plus jeunes. Ils
venaient bien ensuite mais enfin, cette fois, nous n'étions
que tous les trois.
En
arrivant au Moulin, comme nous l'appelions, au VIzézy,
mon père coupait à chacun un bâton de noisetier
pour faire le chemin. Et nous voilà partis, quoi ! Nous
arrivions, bien sûr, il faisait nuit. Et il y avait le frère
de ma grand-mère chez qui... Elle avait deux frères,
ma grand-mère, il y en a un qui habitait à la cime
du bourg de Bard, au Pic et l'autre le Pierre - elle était
chez Pierre - habitait au bourg, en bas. Nous nous arrêtions
en passant chez tonton Joannès pour dire bonjour et il
nous disait toujours : "En remontant, passez [chez
nous],
on vous attendra." Alors nous descendions en bas. Nous mangions
[ou]
nous
ne mangions pas. Nous buvions et puis nous nous en allions. Nous
passions chez le tonton Joannès.
Et, cette fois, c'était bien clair de lune quand nous étions
partis mais quand nous sommes sortis de chez le tonton Joannès
c'était noir, et noir. Jamais je n'ai vu noir comme ça.
Alors nous voici partis. Nous connaissions bien le chemin, bien
sûr, mais pour se diriger heureusement que nous avions les
bâtons. J'étais devant. Il fallait tâter le
mur du côté d'en haut parce qu'il ne fallait pas
sauter en bas.
Mais
nous avons mis je ne sais pas combien de temps pour rentrer. Et
toutes les fois, un endroit où nous ne voyions pas bien,
mon père [donnait]
un
coup de briquet. Un peu qu'on voyait, on pouvait continuer. Nous
sommes arrivés comme ça jusqu'au moulin,
[ainsi que]
que nous
[l'] appelions,
enfin le pont, le dernier pont. Et nous l'avons traversé.
Un coup de briquet mais le briquet, il n'avait plus d'essence,
il fallait brûler le coton, mais enfin, baste !
Et
après il y avait encore la levée, la levée,
franchir le pont de la levée. Ce n'est pas que c'était
bien dangereux, mais enfin bien dangereux... Il ne fallait pas
s'approcher d'en bas parce que, à cette époque,
il y avait encore le moulin de l'André qui tournait. Alors
il y avait la chute, et du côté d'en bas nous risquions
d'avoir des histoires.
Alors
moi, je tâtais du côté d'en haut. Il y avait
un petit mur qui tenait la levée, et je savais que du côté
d'en haut il y avait une
pierre de moulin qui
était dessus la levée. Alors comme j'arrivais -
je l'avais trouvée - je dis : "Il faut passer ici".
Et
juste à ce moment - je ne sais pas ce qui se passa, jamais
je n'ai pu le savoir -, il se fit une clarté comme si ç'avait
été une étoile filante. Cela nous éclaira
pour passer le pont. Cela dura le temps de compter jusqu'à
cinq, pas plus. Nous avons passé le pont et nous n'avons
jamais su ce qui s'était passé.
C'était
à la fin de la guerre. Après j'ai pensé,
peut-être, qu'il y avait quelqu'un qui attendait quelque
chose, je ne sais quoi, qui avait envoyé, peut-être
une fusée éclairante, je n'en sais rien. Enfin,
ça se peut, ça se peut, parce qu'on nous entendait
discuter. On discutait : "Ici, attention, la pierre... c'est
ici, c'est là... il y a le pré de la Toinette..."
Moi, j'étais devant. Nous disions où nous étions.
Est-ce que c'est quelqu'un qui attendait quelque chose ? Je ne
l'ai jamais su.
Ah
! non, ça ne dura pas, comme si c'était une étoile
filante qui nous éclaira juste pour passer le pont, le
temps de compter jusqu'à cinq à peu près.
Nous n'avons pas su ce que c'était. Je crois que c'était
une étoile filante ou comme une fusée éclairante.
C'était à la fin de la guerre, ça. Alors
il se passait tout un tas de choses, à cette époque.
On ne peut pas savoir.
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