Les
vendanges sont finies et ce n'est pas tout à fait le moment
mais enfin je vais vous parler d'une histoire de minage. Ca se passait
en 1950. C'était la première fois que j'étais
embauché pour miner. Et ça se passait à Pierre-à-Chaux,
chez le Marius que la Paulette connaît bien parce que c'est
un oncle à elle du côté de
sa femme.
Il s'appelait comme moi mais enfin nous n'étions pas parents.
Et il nous demanda. Il y avait mon voisin le Jean qui était
son neveu, le Joseph, un voisin qui avait été prisonnier
et qui "courait ses journées" comme on disait. Pendant
un temps il s'était placé, il était grand valet
et puis il avait arrêté. Il avait loué deux champs
derrière chez moi et il allait en journée. Il faisait
des vignes et il allait faucher, moissonner, arracher les pommes de
terre, tout ce qu'il y avait à faire, quoi ! ce que les gens
demandaient. Et puis il y avait le Tonin, le frère du Marius
et moi.
Alors nous sommes descendus le vendredi matin, de bonne heure, bien
sûr, chacun notre bêche et une paire de sabots, et les
sabots, bien sûr, étaient renforcés dessous le
pied qui appuyait sur la bêche parce que si tu les renforces
pas ce n'est pas le sabot qui use la bêche, c'est la bêche
qui perce le sabot.
Alors on est arrivés à la pointe du jour, nous avons
mangé la soupe et après je ...? parce que le Marius
avait engraissé un cochon et il profitait de ce que nous venions
au minage pour nous faire manger de la viande. Il est venu un charcutier
de la ville, un ancien charcutier mais je ne me rappelle pas du nom.
On l'a aidé à tomber le cochon, le saigner puis nous
sommes partis miner.
La tranchée
avait été ouverte. Le Marius avait ouvert la tranchée.
Nous étions quatre. C'est le Joseph qui délimita les
parcelles. Parce que quand tu vas miner comme ça, chacun a
son morceau à miner et il le garde jusqu'à la fin du
minage, parce que c'est pas histoire, si le terrain change, de choisir
les meilleurs morceaux à tout moment. Tu as un morceau tu le
gardes jusqu'à la fin.
Et nous avons commencé de miner, bien sûr. Et puis à
9 h, 9 h 1/2, il y a un gars qui s'est amené, un voisin, qu'il
avait, soi-disant, demandé pour miner. Il arriva les bras ballants,
en pantoufles. On se dit : on ne sait pas bien , celui-là,
ce qu'il va faire... L'employer à faire quoi ? Enfin on minait
une luzerne, une vieille luzerne. Et quand on ouvrait la tranchée,
il y a des fois, des racines qui restaient, qui ne s'arrachaient pas.
Alors il arrachait à la main, il descendait dans la tranchée.
Il prenait bien les pantoufles pleines de terre mais enfin... Et puis
il traçait.
Il gagna
bien un peu plus que son sel, le pain peut-être, mais pas bien
plus. Et cela dura deux jours, le vendredi et le samedi. Et le samedi
nous n'avions pas fini. Il restait quelques tranchées. D'ailleurs
j'y suis descendu avec Joseph huit jours après, l'autre samedi,
pour finir.
Mais enfin, nous avons fait la fête
[lo reboule] quand
même. Il nous paya avant le souper, et puis, à souper,
bien sûr, il y avait à manger de la viandaille - il ne
faut pas demander - du saucisson, tout ce qu'il y avait du cochon,
et bien abreuvé ! C'est que chacun poussait un peu sa chanson.
Mon voisin, le Jean, jamais je ne l'avais entendu chanter. Et il chanta,
et pas mal du tout. Enfin quand on s'en alla, c'était déjà
tard et il fallait remonter [à
Malleray].
Et en
montant le Joseph marmonnait parce que le Marius avait fait un peu
son prix. Et il disait : "Il n'a pas été trop franc
[généreux]
le
Marius, il ne nous a pas trop bien payés mais on a été
soignés
[traités] comme
des poulets alors ça fera bien le compte [le
balan, l'équilibre]".
Et huit
jours après j'y descendais avec le Joseph pour finir. Le matin
de bonne heure on a cassé la croûte puis nous avons continué
le minage. Et la Madeleine, sa femme, vers neuf heures et demie partit
en ville faire des commissions. Et le Joseph dit au Marius - parce
que la Madeleine avait des chèvres et faisait du bon fromage
- il dit : "la Madeleine fait du bon fromage, je mangerais bien
encore une part de fromage, moi". Marius n'y vit pas d'inconvénient.
Moi, je ne pouvais rien dire, j'étais le plus jeune, je ne
pouvais que suivre. On recommença à manger du fromage,
quoi ! On s'est dépêché parce qu'il [le patron]
avait peur que la Madeleine revienne d'en ville. Enfin elle a dû
bien le voir [s'en apercevoir] à midi mais elle n'a
rien dit.
Et il
me raconta, le Joseph, quand Marius n'y était pas, parce qu'il
était gourmand de fromage : une fois, il était à
la loue à Roche avec Marcel, un autre voisin et c'est le Toine
Blanc - je crois - du Fay qui les embaucha. Et le premier jour - je
ne sais pas s'il était veuf ou pas marié, il était
avec sa soeur de toute façon, elle [sa
soeur]
leur mit un fromage, un vachard qui avait été entamé
mais il en restait beaucoup. Et ce vachard était tellement
bon qu'ils le finirent. Mais le reste de la semaine, ils eurent du
vachard c'est tout juste s'il ne pissait pas le laitage. Et il abonda
plus
[fit plus de profit]...

Les bêcheurs
(eau-forte de Jean-François Millet)