Patois vivant



Maurice Brunel en avril 1999
au cours d'une veillée patois
au Centre social de Montbrison

 

Le minage de la vigne

(en 1950)

Maurice Brunel

(patois d'Essertines-en-Châtelneuf)

enregistré au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, 13, place Pasteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 51 s)

Les vendanges sont finies et ce n'est pas tout à fait le moment mais enfin je vais vous parler d'une histoire de minage. Ca se passait en 1950. C'était la première fois que j'étais embauché pour miner. Et ça se passait à Pierre-à-Chaux, chez le Marius que la Paulette connaît bien parce que c'est un oncle à elle du côté de sa femme. Il s'appelait comme moi mais enfin nous n'étions pas parents.

Et il nous demanda. Il y avait mon voisin le Jean qui était son neveu, le Joseph, un voisin qui avait été prisonnier et qui "courait ses journées" comme on disait. Pendant un temps il s'était placé, il était grand valet et puis il avait arrêté. Il avait loué deux champs derrière chez moi et il allait en journée. Il faisait des vignes et il allait faucher, moissonner, arracher les pommes de terre, tout ce qu'il y avait à faire, quoi ! ce que les gens demandaient. Et puis il y avait le Tonin, le frère du Marius et moi.

Alors nous sommes descendus le vendredi matin, de bonne heure, bien sûr, chacun notre bêche et une paire de sabots, et les sabots, bien sûr, étaient renforcés dessous le pied qui appuyait sur la bêche parce que si tu les renforces pas ce n'est pas le sabot qui use la bêche, c'est la bêche qui perce le sabot.

Alors on est arrivés à la pointe du jour, nous avons mangé la soupe et après je ...? parce que le Marius avait engraissé un cochon et il profitait de ce que nous venions au minage pour nous faire manger de la viande. Il est venu un charcutier de la ville, un ancien charcutier mais je ne me rappelle pas du nom. On l'a aidé à tomber le cochon, le saigner puis nous sommes partis miner.

La tranchée avait été ouverte. Le Marius avait ouvert la tranchée. Nous étions quatre. C'est le Joseph qui délimita les parcelles. Parce que quand tu vas miner comme ça, chacun a son morceau à miner et il le garde jusqu'à la fin du minage, parce que c'est pas histoire, si le terrain change, de choisir les meilleurs morceaux à tout moment. Tu as un morceau tu le gardes jusqu'à la fin.

Et nous avons commencé de miner, bien sûr. Et puis à 9 h, 9 h 1/2, il y a un gars qui s'est amené, un voisin, qu'il avait, soi-disant, demandé pour miner. Il arriva les bras ballants, en pantoufles. On se dit : on ne sait pas bien , celui-là, ce qu'il va faire... L'employer à faire quoi ? Enfin on minait une luzerne, une vieille luzerne. Et quand on ouvrait la tranchée, il y a des fois, des racines qui restaient, qui ne s'arrachaient pas. Alors il arrachait à la main, il descendait dans la tranchée. Il prenait bien les pantoufles pleines de terre mais enfin... Et puis il traçait.

Il gagna bien un peu plus que son sel, le pain peut-être, mais pas bien plus. Et cela dura deux jours, le vendredi et le samedi. Et le samedi nous n'avions pas fini. Il restait quelques tranchées. D'ailleurs j'y suis descendu avec Joseph huit jours après, l'autre samedi, pour finir.

Mais enfin, nous avons fait la fête
[lo reboule] quand même. Il nous paya avant le souper, et puis, à souper, bien sûr, il y avait à manger de la viandaille - il ne faut pas demander - du saucisson, tout ce qu'il y avait du cochon, et bien abreuvé ! C'est que chacun poussait un peu sa chanson. Mon voisin, le Jean, jamais je ne l'avais entendu chanter. Et il chanta, et pas mal du tout. Enfin quand on s'en alla, c'était déjà tard et il fallait remonter [à Malleray].

Et en montant le Joseph marmonnait parce que le Marius avait fait un peu son prix. Et il disait : "Il n'a pas été trop franc [généreux] le Marius, il ne nous a pas trop bien payés mais on a été soignés [traités] comme des poulets alors ça fera bien le compte [le balan, l'équilibre]".

Et huit jours après j'y descendais avec le Joseph pour finir. Le matin de bonne heure on a cassé la croûte puis nous avons continué le minage. Et la Madeleine, sa femme, vers neuf heures et demie partit en ville faire des commissions. Et le Joseph dit au Marius - parce que la Madeleine avait des chèvres et faisait du bon fromage - il dit : "la Madeleine fait du bon fromage, je mangerais bien encore une part de fromage, moi". Marius n'y vit pas d'inconvénient. Moi, je ne pouvais rien dire, j'étais le plus jeune, je ne pouvais que suivre. On recommença à manger du fromage, quoi ! On s'est dépêché parce qu'il [le patron] avait peur que la Madeleine revienne d'en ville. Enfin elle a dû bien le voir [s'en apercevoir] à midi mais elle n'a rien dit.

Et il me raconta, le Joseph, quand Marius n'y était pas, parce qu'il était gourmand de fromage : une fois, il était à la loue à Roche avec Marcel, un autre voisin et c'est le Toine Blanc - je crois - du Fay qui les embaucha. Et le premier jour - je ne sais pas s'il était veuf ou pas marié, il était avec sa soeur de toute façon, elle [sa soeur] leur mit un fromage, un vachard qui avait été entamé mais il en restait beaucoup. Et ce vachard était tellement bon qu'ils le finirent. Mais le reste de la semaine, ils eurent du vachard c'est tout juste s'il ne pissait pas le laitage. Et il abonda plus [fit plus de profit]...



Les bêcheurs
(eau-forte de Jean-François Millet)

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(Essertines)


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