Bon,
moi, je vais vous raconter une histoire qui date de très
vieux, des histoires que nous racontaient nos grands-parents quand
nous étions enfants. Je ne sais pas s'ils les racontaient
pour nous faire peur, je ne sais pas... Enfin je vais vous la
raconter un peu comme ils nous la racontaient.
Ca s'est passé le 24 décembre, le jour de la messe
de minuit. A Malleray, il avait fait un peu de neige, un peu de
neige mise dans l'après-midi. Il y en avait deux ou trois
travers de doigt, pas beaucoup d'épaisseur. Et puis c'était
tout à fait clair de lune.
Il y avait un bonhomme dans le hameau qui était "enragé"
de chasse, et il savait qu'une lièvre
[féminin en patois]
demeurait derrière le hameau qu'on n'avait pas pu avoir.
Il se dit : c'est clair de lune, avant la messe de minuit, je
vais aller faire un tour de chasse et la prendre à la trace
; sur la neige c'est assez commode.
Et,
en effet, il passa derrière le hameau et il trouva les
traces de la lièvre qui
était partie en direction des moulins du Vizézy,
quoi, de la vallée. Et le voilà parti tout droit
[a
dro de bè].
Elle passa derrière la Croix vieille, le Baria.
Elle avait sauté un talus. Elle avait suivi le chemin un
moment, la Barge, jusqu'à la Côte. A
la Côte, il y avait pas mal de genêts. Il la perdit
un peu dans les genêts. Et il faillit lui monter dessus.
Et elle partit mais il ne put pas la tirer dans les genêts.
Il ne la tira que plus haut quand elle traversa le chemin. Mais
c'était un peu loin. La lièvre
s'enfuit. Enfin il alla voir et il y avait du sang. Il dit : je
l'ai touchée et il reprit la trace.
En
effet, elle était blessée et il y avait du sang.
Il semblait qu'elle avait une patte cassée parce qu'il
y avait des traces de pattes pas normales, quoi. Et le voici parti
derrière cette lièvre.
Il se dit :
maintenant
je l'ai blessée, j'arriverai bien à la prendre quelque
part. Oui,
mais elle filait. Et lui suivait bien par derrière mais
[c'était] pas commode à la rejoindre. Elle
remonta par les Champs, la Somèle. Elle prit
le vallon de la Petite Sagnole, passa derrière lo
Voué, lo Garna ronde, alla atterrir au Bru,
fila en direction de Chozèle, vers les Grands
Champs. Vers les Grands Champs elle prit une "charrive"
à ..., repassa le chemin.
Et
ça, ça fait des heures qui passent parce que ça
fait long. Il commençait à s'ennuyer derrière
mais il était tellement sûr de l'avoir. Il se disait
: je l'aurai bien. Il y avait toujours ces traces, ce sang. Il
se dit : elle s'arrêtera bien, elle se blottira bien contre
un talus, quelque part. Elle repassa par les Pioles, elle
sauta dans un chemin. A cette époque il n'y avait pas la
route de Saint-Bonnet, le chemin de Saint-Bonnet.
Et,
à cet endroit, vers les Sagnoles, on voit tout le
bourg d'Essertines. Et, à ce moment, il entendit le troisième
coup de la messe de minuit. Il ne pensait pas que le temps avait
passé comme ça. Mais enfin pas question d'aller
à la messe. De Malleray pour aller au bourg, il faut une
demi-heure. Et il continua.
Elle
avait sauté de la terre à un champ qu'il y a au-dessus.
Et il y a un gros pin - je ne sais pas si c'est le même,
il y est encore - et un gros rocher. Et quand il arriva sur ce
rocher, la lièvre
plantée droite le regardait arriver. Il fut tellement
surpris qu'il ne la tira pas. C'est plutôt que la
lièvre lui parla ! Et la
lièvre lui dit : Elle marche bien pour une
boiteuse !
Alors la peur le prit. Il s'en retourna et il comprit que
c'était le diable qui l'avait entraîné pour
l'empêcher d'aller à la messe.
"Une lièvre"
Cette
même histoire avait été racontée en
1979 par un habitant de Châtelneuf au cours d'une veillée
patois au Centre social de la rue des Clercs :
C'était
à Noël, le jour de la messe de minuit. Les gens allaient
fidèlement à la messe de minuit. Il y avait de la
neige, il faisait clair de lune et il y avait un chasseur à
Malleray qui se dit : "Je vais aller chasser le lièvre".
Et le voilà parti avec son fusil. Et pas manqué,
il tombe sur une trace. Il la suit et il trouve un lièvre,
lui tire un coup de fusil mais le blesse seulement. Le lièvre
était blessé à la patte et il y avait des
traces de sang dans la neige.
Il se dit : "Je l'aurai bien maintenant, il n'y a plus qu'à
le suivre".
Mais le lièvre filait ; il descendit vers le Moulin, le
fit passer au Chènevis, remonta vers "Somèle",
vers les Grands Champs, les Grandes Garnées. Et lui commençait
à tirer la langue. C'est que le lièvre filait toujours.
Pourtant
le chasseur se disait : "Je l'ai blessé, je devrais
l'avoir".
Et,
tout à coup, quand il arrive à "Montoriset",
qu'est-ce qu'il voit ? Le lièvre planté sur un rocher,
qui le regardait et lui dit : "Il marche bien pour un boiteux".
Il s'est ramassé, il n'avait plus envie de tirer un coup
de fusil. Et les autres années, il alla à la messe
de minuit.
(Patois Vivant
n° 7, novembre 1980)
Le
clair de lune et la neige...
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les souvenirs de Maurice Brunel
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Maurice Brunel
(Essertines)
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