Patois vivant



Maurice Brunel en avril 1999
au cours d'une veillée patois
au Centre social de Montbrison

 

Tirage du vin et pressage

à Pierre-à-Chaux

Maurice Brunel

(patois d'Essertines-en-Châtelneuf)

enregistré au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, 13, place Pasteur en 2004

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 22 s)

Aujourd'hui, je vais vous raconter encore une histoire qui date bien de cinquante ans. La dernière fois je vous racontais l'histoire du minage et non pas du binage comme il y a "sur" le journal, du minage que nous avons fait chez le Marius à Pierre-à-Chaux. Ici je vais vous parler de quand je l'ai aidé à tirer la cuve. Cela se passait - j'étais revenu du régiment - en 1953, 1954, par là...

J'y étais allé vendanger et il m'avait demandé pour l'aider à tirer [
le vin] de la cuve. Et ce fut convenu pour le samedi. Je ne me rappelle pas le jour où nous avons vendangé mais, dans le temps, ils [les vignerons] faisaient bien "cuver" [fermenter le moût dans la cuve] une huitaine de jours. Ce fut convenu pour le samedi, le samedi matin. J'y suis descendu "en" vélo. Je suis arrivé, nous avons cassé la croûte, mangé la soupe et puis nous nous sommes mis à rincer la futaille qu'il [le Marius] avait mis dehors à "étuer" (1), bien comme il faut. Il avait de bons tonneaux, il ne faut pas dire. Il n'y avait rien de moisi. La futaille était en bon état. Nous avons mis ça sur les "margeons" (2).

Et puis nous nous sommes mis à tirer la cuve. Moi, je tirais avec un arrosoir. Marius était monté sur un baquet (
benon] qu'il avait mis à l'envers et il vidait avec l'entonnoir dans les tonneaux. Il y avait un demi-muid, des pièces, des "cempotes", beaucoup de choses [mé que d'une, littéralement "plus qu'une"].

Quand nous avons fini de tirer la cuve, il a fallu tirer la benne parce que les vendanges avaient abondé et tout n'avait pas tenu dans la cuve. Il n'avait pas une cuve extrêmement grande, peut-être quinze, vingt hectolitres, je ne me rappelle pas bien. Et la benne n'avait pas de fontaine (3), seulement un bouchon. Nous avons enlevé la fontaine de la cuve ; nous avons mis un seau pour laisser égoutter. Et puis, il me dit :

Tu me passeras... - j'enlèverai le bouchon - tu me passeras la fontaine tout de suite.

Il a mis le seau devant mais le bouchon tenait et puis il lâcha, tout d'un coup. Moi je lui donnai la fontaine mais au lieu de prendre la fontaine il mit ses deux pouces pour boucher le trou ; ça giclait de tous les côtés. Enfin il a compris qu'il fallait se libérer d'une main pour mettre la fontaine. On a perdu deux, trois litres de vin, je n'en sais rien, mais enfin baste !

Et vers les dix heures, dix heures et demie, à peu près, arriva le Louis C., avec sa jument qui traînait un pressoir roulant parce que le Marius n'avait pas de pressoir. Il détela dans la cour. Ils mirent la jument attachée à un arbre. Et puis, moi, je sautais dans la cave et je mettais le "genne" (4) dans des paniers et les vidais dans le pressoir. Mais ça ne tenait pas tout. Il fallut faire une "serrée", une petite serrée pour finir de surcharger [le pressoir]. Et nous avons pressé comme ça jusqu'à midi.

Et puis, à midi, Marius dit : nous allons aller manger. Nous sommes allés manger ; ça se passa bien. Et quand nous avons eu fini [...] le Marius, tout d'un coup, dit :
Oh ! là, là ! Louis, un peu de plus j'oubliais de te faire une commission. Il y a le père G. de la Blanchisserie qui m'a dit que tu y ailles sans faute. Je ne sais pas ce qu'il te veut mais il faut que tu y ailles.

En effet, le Louis y alla. Et quand il fut parti le Marius se mit à rire. Il me dit :
Je l'ai bien eu. Ce n'est pas vrai que le père G. le demande mais pendant ce temps on pourra finir de presser tranquillement
.

Il me dit :
Parce que les connais avec les pressoirs roulants, le temps leur dure de s'en aller et ce n'est pas serré comme il faut, après le "genne" moisit.

On a bien eu le temps de "recouper" bien comme il faut, de "démuiser", de mettre les "trappes", les "margeons", les "cailles"(5), de resserrer. Et puis après on a "terrassé" le "genne" dans une benne, bien "gauché"(6). Dessus on a mis une bonne épaisseur de papier journal et puis on a fait du mortier avec de la terre pour que ça joigne bien, qu'il n'y ait pas d'air.

Et notre Louis n'était toujours pas revenu. Alors, il [Marius] me dit : On va commencer à arracher des betteraves. Parce que, à côté de la maison, il y avait pas que des vignes et il y avait un morceau de terrain où il faisait des betteraves pour ses lapins, ses chèvres. On est parti arracher les betteraves un moment.

On en avait fait à peine deux, trois tas, notre Louis arriva. Et on prenait un couteau pour les "rafeuiller", couper les feuilles. Il dit : c'est pas comme ça que ça se fait. Il les prenait à deux mains, d'un coup, il cassait le collet. Il disait : vous n'avez pas de débit. Nous n'avons pas insisté parce que nous avons bien vu que, chez le père G., il n'avait pas été abreuvé avec de la limonade.

Marius dit : Allez, allez, on va aller souper. On alla souper. En soupant, bien sûr, toujours bien des discours. Il en savait beaucoup. Il se flattait qu'ils [les gens de chez lui] faisaient du "boulot" dix fois plus que les autres. Ils attelaient la lieuse à deux chevaux. A midi, ils ne s'arrêtaient pas, ils ne dételaient pas. Ils s'asseyaient seulement sur une gerbe pour casser la croûte puis repartaient. Moi, je trouvais bien qu'il coupait un peu gros mais je n'insistais pas trop parce qu'il s'énervait.

Bon ! Quand il fallut se lever de table, c'est que les souliers de Louis s'étaient mis en bascule. Pour descendre les escaliers Marius lui dit :
Fais attention, les escaliers sont droits, ils ne sont pas larges. Cramponne-toi.
C'était vrai. Les escaliers n'étaient pas tout à fait larges et droits.

Mais une fois dans la cour, c'est nous qui avons dû atteler la jument parce qu'il ne se cramponnait qu'au pressoir.

Alors on a attelé la jument. Et il avait une lanterne. Nous avons allumé la lanterne. Moi je passais devant pour monter à la route. Et le Marius monta la jument. Et une fois à la route, bien sûr, nous lui avons donné la lanterne dans une main. Il a pris la bride de la jument de l'autre et puis il est allé "droit vers le bas".

On le regarda passer à la descente de Pierre-à-Chaux. Après je ne sais pas ce qui se passa. Mais ce n'est pas le tout, je n'ai pas su la fin de l'histoire. Mais le Marius me dit :
Mais il a encore un autre client à aller... Il devait y aller l'après-midi.


Alors je ne sais pas comment ça s'est terminé, à quelle heure il a fini de presser. Enfin moi j'ai repris mon vélo et je suis remonté [
à Malleray].

(1) Faire étuer : humidifier des tonneaux, des récipients en bois afin de les rendre étanches.
(2) Margeons ou marchons : poutres sur lesquelles les tonneaux sont rangés dans la cave.
(3) Gros robinet en cuivre placé au bas des cuves.
(4) Le marc que l'on porte au pressoir tel qu'il sort de la cuve (Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural).
(5) Les différents plots de bois sous la vis du pressoir.
(6) Chauché, tassé.

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Maurice Brunel
(Essertines)


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mise à jour le2 février 2010