On est plus costaud quand on est assis. Eh
bien, j'ai réfléchi [calculer en
patois] de vous parler d'une sortie de champignons. Mais je
ne me rappelle plus l'année où ça s'est passé.
Il me semble que c'était en 1979. Et un jour - je crois
que c'était un mercredi - je voulus faire mon repas [mon
goutè]. Et puis je me dis : Avant de mettre cuire
ta viande, va donc chercher ton pain. Je suis allée chercher
mon pain en ville - j'habite aux Comtes du Forez, c'est pas loin
- et, qu'est-ce que j'ai vu à la boulangerie ? : le [mon]
gendre qui était deux personnes devant moi. Et il passa,
et puis une autre femme aussi passa à son tour, et puis
moi aussi. Et il m'attendit dehors. Et il me dit :
- Qu'est-ce tu fais demain ?
- Oh ! je lui dis : J'ai rien de prévu. Pourquoi
?
- Eh ben, je voulais aller aux champignons.
- Oh ! je ne te dis pas non pour les champignons. Il fait bon,
on peut bien y aller faire un tour.
Il me dit : Bon, d'accord. Eh bien, nous
faisons comme d'habitude.
Parce que d'habitude, quand on y allait, on
partait - ça dépend où on allait - mais il
faisait sonner le réveil deux fois. Il habite à
Ecotay, c'est pas bien loin. Alors quand il a fait sonner le réveil
deux fois, moi, je vais pisser, je prends le panier, je descends
avec l'ascenseur et puis je vais le retrouver devant Télécom.
Et on ne s'attend pas, ni l'un ni l'autre. Et puis, quand il est
arrivé je lui ai dit :
- Où est-ce que tu penses aller ?
- Oh ! Il me dit, j'avais pensé à Jeansagnière.
- Oh ! Jeansagnière, ça fait bien loin !
- Alors, tu as pensé qu'il y a l'éclipse de lune,
aujourd'hui ?
- Oh ! C'est bien vrai, ça. Oh ! Dans ces conditions on
va monter à Lérigneux.
A Lérigneux. Puis en montant,
il me dit : J'ai envie de m'arrêter, ici.
Oh ! par des fortes pentes [deux
mots utilisés : pendouére, rampiole],
il y avait des pins [garolles],
ça ne me plaisait pas du tout. Non, non
Je ne voulais
pas
Je lui dis : c'est un coup pour se casser les jambes.
Alors il me dit : montons plus haut. Et puis il monta au-dessus
de Lérigneux. Il trouva un endroit pour se garer qui n'était
pas trop mal. Je suis descendue de l'auto. Un peu plus loin, il
y avait un "sabouillat (1)". Et puis il y avait de jolies
digitales [petarelle].
- Oh ! la la ! - je [me] dis - qu'elles
sont jolies ! Elles commencent juste à fleurir. Quand je
reviendrai je vais les ramasser.
Et puis après nous sommes partis dans un bois. C'était
un bois de bouleaux qui avait de la mousse. Et nous avons trouvé
des chanterelles. Oh ! pas un plein panier, mais enfin on a trouvé,
quoi. On a filé un peu plus loin, on a trouvé quelques
bolets. Et puis on a continué, on a continué, à
tourner en rond, d'un côté, de l'autre. Et après
nous avons fait [traversé]
un morceau de bois de sapin.
Tout d'un coup, ça devint noir.
- Oh ! je lui dis : Sauvons-nous vite. C'est l'éclipse
de lune.
- Oh ! - il me dit - t'as raison.
Nous avons vite couru vers la voiture. Je coupais
mes digitales qui me convenaient bien. Et voilà que nous
sommes redescendus à brides abattues. Mais il y a une chose
que je ne vous ai pas dite : quand je suis sortie de chez le boulanger
je [me] dis
: il m'a dit qu'il voulait aller aux champignons, moi quand
je vais aux champignons, quand j'arrive, j'ai bien faim, il faut
que mon repas soit prêt. Et j'avais acheté un morceau
de pot-au-feu [buyi]
et je l'avais fait cuire la veille, avec des carottes, des pommes
de terre. J'avais mis tout prêt [pour
quand] j'arriverai.
Alors je descendis, je rentrai. J'allumai vite
le gaz pour faire chauffer ma viande. J'avais faim, oh ! j'avais
faim, hein. Et je regarde par la fenêtre. Il y avait les
"Impôts" [le personnel
du centre des impôts], ils étaient
tous aux fenêtres avec des lunettes, qui regardaient, qui
regardaient. Mais moi je n'avais pas acheté des lunettes.
Je dis je ne veux pas m'abîmer [petafiner]
la vue. Moi, je vais mettre mon plateau sur la table, je me mettrai
devant la télé. Et puis, tout d'un coup, les "Impôts",
toutes les fenêtres se sont fermées, ça s'éclaircit,
eh bien, la chose, ce fut fini. Et moi, je mangeai de la salade
de chicorée, un morceau de pot-au-feu, des carottes, des
pommes de terre, du fromage
Et mon frère m'avait
donné des prunes [dravouéne],
je mangeai des prunes qui étaient bien bonnes, des reines-claudes
de Saint-Bonnet qui ne sont pas traitées, elles sont bonnes,
hein !
Et après j'ai su la suite de l'éclipse
de la lune et du soleil. Eh bien, quand ils se rencontrèrent,
ils couraient tellement comme des imbéciles, l'un d'un
côté, l'autre de l'autre, pour une fois qu'ils arrivaient
à se rencontrer. C'est que la lune était contente,
hein ! Quand elle vit le soleil :
- Oh ! la la ! qu'il est beau ! Oh ! la la ! qu'il est joli,
qu'il est joli ! Oh ! la la ! Elle était contente !
Alors elle lui dit :
Allez ! Allons prendre quelque chose parce que, moi, j'ai faim,
j'ai couru toute la nuit.
Et, elle, elle n'avait pas eu le temps de faire sa toilette. Elle
était tout ébouriffée, une jupe toute froissée
[froyè].
Et le soleil qui n'avait rien à faire, il s'était
bien rasé, il s'était passé du "sent
bon" [parfum].
Il n'y avait pas plus joli. Elle se disait : Oh ! la la ! qu'il
est joli. Oh ! la la ! qu'il est joli ! Ça ne peut pas
faire, il faut que je le demande en mariage.
Alors, ils allèrent boire, manger, je
ne sais pas ce qu'ils firent
Et puis après elle le
demanda en mariage. Elle attaqua. Elle attaqua, elle se dit :
il ne faut pas laisser passer l'occasion. Je le regretterai
trop !
Il lui dit : Je vais y réfléchir.
Et puis quand il eut bien réfléchi, il dit :
Elle court toute la nuit. Elle change de
quartier toutes les semaines. Elle est pleine tous les mois. Qu'est-ce
que je ferais de ça ?
(1) Grande flaque, creux plein d'eau, cf. L.-P.
Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.