Patois vivant



 

 

Le rhume de la grand-mère

Marthe Quétant

(souvenir)

enregistrement dans les années 2000
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, 13, place Pasteur


(patois de Saint-Bonnet-le-Courreau)

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 15 s)

Je suis née à Saint-Bonnet[-le-Courreau], au Genetey, si vous connaissez, pas loin du Pont de la Pierre, sous le Champ de la Clé. Je ne suis pas née à Montbrison, hein ! Et quand nous étions gamins, - ah ! je pouvais avoir, peut-être, sept ans, mon frère neuf ans -, la patronne [le chef de famille] c'était la grand-mère. Dans le temps, les vieilles, il fallait qu'elles commandent, hein. Et, des moments, en hiver, il arrivait que le rhume lui tombait sur "l'estomac" [la poitrine].

Et une fois, un après-midi, elle nous dit :

Oh ! la la ! Le rhume m'est tombé sur la poitrine ! Eh ! les enfants [lou tui (1)], quand vous irez donner à manger aux brebis, vous m'apporterez de la laine en suint [de lana chiouza].

Et quand on allait donner à manger aux brebis, avec l'Henri, tous les deux, nous partions. Bien souvent il fallait balayer la neige parce que les brebis étaient bien plus loin que la maison. Et il fallait passer par le hangar [le chapi] et puis traverser encore un autre morceau, il fallait descendre deux escaliers pour arriver aux brebis.

Puis elle nous dit : Quand vous passerez par le hangar, vous m'apportez du bois, et pas du pin surtout, du "fayard" [le hêtre]. Alors on rentrait dans cette étable. Il y avait un petit "bouché" [une petite fenêtre (2)], on n'y voyait pas plus que dans le derrière d'un âne. Et Henri montait à la "fenière" [le fenil].

Il me disait : Pendant que je fais passer le foin, tu commenceras de regarder celles [les brebis] qui ont un ventre plus bourru. Et pour monter à la "fenière" il n'y avait pas d'échelle, il n'y avait rien. Il mettait les pieds sur les pierres, sur le râtelier, montait à la fenière, faisait passer le foin. Et moi, je commençais à regarder [les brebis]… Les grosses avaient le ventre pelé. Les jeunes, elles étaient un peu plus bourrues mais [c'était] pas commode pour les attraper.

Et puis quand il revenait de la fenière, il me disait :

- En as-tu vu quelques-unes qui seraient bien bourrues ?

Et je lui disais :

- Il y a celle-la, là.

Il la traînait vers la porte pour voir clair.

- Oh ! Il me disait, elle a des grottes,  ça ne peut pas faire, la "Nène" [grand-mère] nous engueulera !

On en attrapait une autre. On commençait à la peler.

- Oh ! la la ! Il y a des "barbillats (3)" ! Non, non ! ça ne peut pas faire.

Et puis une autre. Il y en avait une trentaine. Il y en avait "pour faire" [assez]. La troisième c'était la bonne. Alors, on pelait, on pelait, bien proprement. Il ne fallait pas qu'il y ait des épines, ça lui aurait bien piqué les tétons, à la "Nène". Et puis après nous nous en allions. Nous passions par le hangar et nous portions notre brassée de bois, bien sûr, notre "fayard" et nous arrivions. On donnait ça à la Nène. Et la Nène elle l'étirait, elle "écharpait" la laine. Elle la mettait sur la porte du four.

Mais, parce qu'on avait donné à manger aux brebis il ne fallait pas rester dans ses robes.

- Allez balayer les vaches, les enfants. Et vous tirerez du foin pour demain.

Il y avait toujours quelque chose à faire, toujours. Et puis, quand le travail [l'orage] était fini, de l'étable on venait à la "maison" [la salle commune]. C'était pratique, on n'avait pas froid, là. Et puis le soir, nous, nous soupions à la bretagne (4) et la Nène était à la "maison" [la cuisine], à côté de son fourneau. Et [avec] son pique-feu, et je te pique ce feu, et je te bourre de "fayard". Ça faisait de la braise. Et après elle allait ouvrir le lit [décourer ?]. Elle prenait le chauffe-lit. Elle le garnissait bien de braise. Et sur le fourneau elle mettait une casserole et du lait. Et puis après elle allait chauffer le lit, avec le chauffe-lit. Et puis elle mettait son bol de lait. Mais nous, on ne voyait rien. Il ne fallait pas qu'on le voie. Mais elle devait quand même en mettre une bonne lampée. Hè ! une bonne lampée de gnôle. Elle allait se coucher tout de suite.

Et le lendemain, elle se levait un petit peu plus tard que d'habitude. Et après elle disait :

- Oh ! Ça va mieux.

Elle faisait […?], ça repartait au quart de tour.


(1) Tui : enfant, probablement de petchi, petit.
(2) Cf. Louis-Pierre Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863, bouchae : petite fenêtre d'un grenier, d'une étable.
(3) Barbillat : Pou qui vit dans la laine des moutons.
(4) Bretagne : pièce située derrière la cheminée.

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