Je suis restée à Saint-Bonnet[-le-Courreau]
jusqu'à dix ans, à Genetey (1). Puis, à
dix ans, je ne sais pas ce qui a pris à ma grand-mère
- une idée -, elle ne me voulait plus. Il y avait la grand-mère,
il y avait la mère, il y avait la sur
Nous
étions trop de monde. Elle dit : la gamine, je l'envoie
à Roche. Et je fus chez la marraine que j'aimais bien.
Le tonton Marius, je ne l'aimais pas trop, pas trop. Il était
"franc" [tout à fait] radin, comme il
n'y en a plus, et moi je le craignais, je le craignais. Oh ! la
la ! Je n'osais rien lui demander. Pas question de lui demander
quelque chose. Il fallait toujours travailler pour gagner mon
pain.
Alors, en hiver - au-dessus des vaches il y
avait la "fenière (2)"
et la grange, les gerbes, - et il battait au fléau [l'écousso].
Alors il battait deux ou trois jours puis après il fallait
vanner [venter]. Et quand il fallait vanner, il ne pouvait pas
faire ça tout seul. Alors il disait : bon, je vais vanner
le jeudi. Je vais faire tourner [la manivelle du] le "venteau
(3)" à
la Marthe. Il battait au fléau [l'écousso]. Vous
savez ce que c'est "l'écousso" ?
Et le jeudi matin :
- Allez, dépêche-toi de manger
! Mange un morceau de lard, et du chou. Tu viendras [faire] tourner
le venteau.
[J'avais] pas trop envie ! Ça me fait
pas envie. Enfin, il fallait le faire. Et quand j'avais tourné
le venteau un moment, il prenait soif. Il me disait : Ah !
je suis obligé de descendre à la maison, j'ai oublié
Je ne sais pas quoi. Il trouvait toujours quelque chose à
dire. Et il me disait : Tu feras attention aux poules qu'elles
"n'écartent" [écarter
: éparpiller, disperser] pas le
grain. Et moi, bien sûr, - les poules, elles n'étaient
pas bêtes, hein ! Elles le "connaissaient" [elles
s'en apercevaient] quand la porte de
la grange était ouverte et elles guettaient. Elles faisaient
ça les autres jours. Elles vinrent toutes, à brides
abattues. Et moi, on m'avait dit de ne pas laisser "écarter"
le gain ! Je dis : Oh ! il y a une latte [long
bâton], là ; quand elles
arriveront
Ça ne manque pas. Je prends la latte
: pof ! La poule sur le carreau, crevée. Oh ! la la ! Qu'est-ce
que je vais faire ? Oh ! la la ! Qu'est-ce qu'il va me dire ?
Qu'est-ce qu'il va me dire ? Qu'est-ce que je vais être
insultée pendant des mois et des mois ! Oh ! la la ! Qu'est-ce
que je vais faire ? J'ai tué la poule, j'ai tué
la poule ! Il va revenir ! J'étais dans tous mes états.
Ah ! je dis, il faut faire quelque chose. Je prends la poule et
je la porte derrière le "cuchon (4)"
de chez Solleyzel. Je me dis : je suis obligée de me dépatouiller,
quoi !
Et puis, il revint, bien content :
- Ah ! Bien, les poules n'ont pas "écarté"
le grain !
Et puis je continuais à tourner le venteau,
je continuais à tourner le venteau jusqu'à ce que
ce fut fini. Et puis après, il fallut aller manger mais,
moi, je n'étais pas prête à raconter ce que
j'avais fait. Et le lendemain, je comptai les poules. Elles y
étaient toutes, je ne l'avais qu'étourdie [élourdie],
je ne l'avais pas tuée !
(1) Hameau de la commune de Saint-Bonnet-le-Courreau.
(2) Français local pour fenil.
(3) Venteau : tarare.
(4) Tas de
gerbes.