Patois vivant


 

 

La poule dans la grange

Marthe Quétant

(souvenir)

enregistrement dans les années 2000
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, 13, place Pasteur


(patois de Saint-Bonnet-le-Courreau)

pour écouter cliquer ci-dessous

(2 min 50 s)

Je suis restée à Saint-Bonnet[-le-Courreau] jusqu'à dix ans, à Genetey (1). Puis, à dix ans, je ne sais pas ce qui a pris à ma grand-mère - une idée -, elle ne me voulait plus. Il y avait la grand-mère, il y avait la mère, il y avait la sœur… Nous étions trop de monde. Elle dit : la gamine, je l'envoie à Roche. Et je fus chez la marraine que j'aimais bien. Le tonton Marius, je ne l'aimais pas trop, pas trop. Il était "franc" [tout à fait] radin, comme il n'y en a plus, et moi je le craignais, je le craignais. Oh ! la la ! Je n'osais rien lui demander. Pas question de lui demander quelque chose. Il fallait toujours travailler pour gagner mon pain.

Alors, en hiver - au-dessus des vaches il y avait la "fenière (2)" et la grange, les gerbes, - et il battait au fléau [l'écousso]. Alors il battait deux ou trois jours puis après il fallait vanner [venter]. Et quand il fallait vanner, il ne pouvait pas faire ça tout seul. Alors il disait : bon, je vais vanner le jeudi. Je vais faire tourner [la manivelle du] le "venteau (3)" à la Marthe. Il battait au fléau [l'écousso]. Vous savez ce que c'est "l'écousso" ?

Et le jeudi matin :

- Allez, dépêche-toi de manger ! Mange un morceau de lard, et du chou. Tu viendras [faire] tourner le venteau.

[J'avais] pas trop envie ! Ça me fait pas envie. Enfin, il fallait le faire. Et quand j'avais tourné le venteau un moment, il prenait soif. Il me disait : Ah ! je suis obligé de descendre à la maison, j'ai oublié… Je ne sais pas quoi. Il trouvait toujours quelque chose à dire. Et il me disait : Tu feras attention aux poules qu'elles "n'écartent" [écarter : éparpiller, disperser] pas le grain. Et moi, bien sûr, - les poules, elles n'étaient pas bêtes, hein ! Elles le "connaissaient" [elles s'en apercevaient] quand la porte de la grange était ouverte et elles guettaient. Elles faisaient ça les autres jours. Elles vinrent toutes, à brides abattues. Et moi, on m'avait dit de ne pas laisser "écarter" le gain ! Je dis : Oh ! il y a une latte [long bâton], là ; quand elles arriveront…

Ça ne manque pas. Je prends la latte : pof ! La poule sur le carreau, crevée. Oh ! la la ! Qu'est-ce que je vais faire ? Oh ! la la ! Qu'est-ce qu'il va me dire ? Qu'est-ce qu'il va me dire ? Qu'est-ce que je vais être insultée pendant des mois et des mois ! Oh ! la la ! Qu'est-ce que je vais faire ? J'ai tué la poule, j'ai tué la poule ! Il va revenir ! J'étais dans tous mes états. Ah ! je dis, il faut faire quelque chose. Je prends la poule et je la porte derrière le "cuchon (4)" de chez Solleyzel. Je me dis : je suis obligée de me dépatouiller, quoi !

Et puis, il revint, bien content :

- Ah ! Bien, les poules n'ont pas "écarté" le grain !

Et puis je continuais à tourner le venteau, je continuais à tourner le venteau jusqu'à ce que ce fut fini. Et puis après, il fallut aller manger mais, moi, je n'étais pas prête à raconter ce que j'avais fait. Et le lendemain, je comptai les poules. Elles y étaient toutes, je ne l'avais qu'étourdie [élourdie], je ne l'avais pas tuée !


(1) Hameau de la commune de Saint-Bonnet-le-Courreau.
(2) Français local pour fenil.
(3) Venteau : tarare.
(4) Tas de gerbes.

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