Patois vivant




Marthe Défrade (de Châtelneuf)
au cours d'une veillée Patois Vivant
au Centre social de Montbrison
en avril 2004

 

Foire de Noël et fréquentations

Marthe Défrade

(patois de Châtelneuf)

enregistrée au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant dans les années 2000
au Centre social de Montbrison
, 13, place Pasteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(11 min 1 s)

Bon, je vais vous parler de la foire de Noël [Chalende], elle approche bientôt. Ah ! dans le temps, la foire de Noël, à dix-sept, dix-huit ans, si tu manquais la foire de Noël, il fallait être… avoir quarante de température et être au lit. Ils ne pouvaient pas faire la foire de Noël si tu n'y étais pas.

Tu te trouvais de grand matin, pour descendre en ville pour courir les rues, pour regarder [apincher]. Mais enfin, il y en avait qui ne venaient en ville que ce jour. Ceux qui étaient loués, ils avaient juste ce jour pour aller s'acheter des "affaires" [des habits]. Ils ne sortaient que ce jour. Ils n'avaient ni dimanches, ni jours fériés. Ils n'avaient que la foire de Noël. Ou alors, s'ils ne demeuraient pas chez le patron, les valets et compagnie se mettaient sur le pont Saint-Jean avec l'aiguillon [la late] et la musette. Ils se faisaient bouviers. Mais il y en a qui se louaient deux ou trois fois pour se faire payer à boire par les patrons, tu comprends. Celui que le patron louait, s'il était d'accord [le patron] payait le casse-croûte, payait à boire [à celui] qu'il avait loué. Si l'autre n'était pas content il retournait sur le pont Saint-Jean. Un autre [patron] venait et il se louait une autre fois.

Alors, ceux qui menaient les bœufs, ils avaient l'aiguillon, c'étaient les bouviers. Et la bonne, elle, avait le "cuisinier" [tablier]. Mais c'était juste pour la foire de Noël qu'ils sortaient. Ils restaient sept huit jours. Après s'ils recommençaient à travailler chez un patron, ils restaient sept huit jours chez eux, le temps de s'acheter des "affaires" [vêtements] puis ils partaient à nouveau pour une nouvelle année [sézon] du premier janvier au 31 décembre, jusqu'à la foire de Noël d'après. Ils n'avaient ni dimanches, ni rien. Le dimanche après-midi, il y en a qui allaient danser mais il ne fallait pas trop rester parce que tu te faisais engueuler, les patrons, les vaches n'allaient pas "en champ" [au pré].

Alors, la foire de Noël, alors du temps de la guerre… la foire de Noël, il n'y avait rien. On restait "par" les rues, on montait sur les manèges à [la place] Saint-Jean. Et puis après on allait manger, souper chez Georges, le boulanger ; un Georges qui était place de la Mairie, là. Eh bien, on allait manger chez Georges. Après on montait danser à Faury (1), à pied. A Faury, il y avait deux cafés. Il y avait chez Passel et chez Chazal.

Ah ! mais non, au "gros Fayard", on n'y allait pas, c'était le café des …? C'était pas de notre côté ; [nous] c'était à Faury.

- A Malleray, il y avait un bistro à Malleray ? [interpellation d'André Guillot]

Ah ! non, non ! à Malleray (2). Ce n'était qu'à Faury qu'il y avait…

On allait à Faury. Après, quand il y eut un peu plus d'essence, il y avait Peyron (3) qui montait jusqu'à Faury. Mais pense !… Peyron, il montait le plein car, sur l'impériale, et de tout ! Alors tu dansais à Faury et il y avait Paul qui nous attendait, l'accordéon chantait, tu dansais à Faury. Paul était à la porte, il disait : Salut les jeunes ! C'était notre foire de Noël.

Mais enfin, si tu n'allais pas à la foire de Noël, parce que… Et des chaussettes blanches, et des robes courtes. Des chaussettes blanches jusqu'aux genoux. Des genoux tout gelés. Et tu montais à pied de Montbrison. Mais du temps de la guerre, il fallait partir d'en ville à huit heures parce qu'il y avait le couvre-feu. C'est que les Allemands faisaient la chasse, après. Il fallait "décabanner" à huit heures ; il fallait partir d'en ville. Alors on montait à Faury, quoi. En ce moment il y avait le couvre-feu. Parce que, s'il n'y avait pas eu le couvre-feu, des fois, on allait au cinéma. Jamais tu allais au cinéma de ta vie mais enfin…
- Au Rex ? [
interpellation J. B.]

Au Rex, oui.
- Il fallait des sous pour …? [
interpellation d'André Guillot]

Eh bien ! Tandis qu'on allait danser à Faury, ça ne coûtait rien. Les jeunes payaient à boire, enfin, mais…
- Qu'est-ce qu'il y avait pour boire ? [
interpellation d'André Guillot].

Ils buvaient de la limonade. Les hommes buvaient du vin. Il n'y avait que ça pour boire… Ou alors du café. Mais c'était plutôt rare, le café. Alors tu dansais à Faury jusqu'à minuit, une heure. Après, tu rentrais [… ?] les pieds gelés. Mon frère montait sur le fourneau. C'était le fourneau qui […?] pour se chauffer les pieds… pour se réchauffer comme ça, quoi. Ça se passait bien quand même. On avait vingt ans alors ! Pour s'amuser, tu t'amusais gratuitement, alors. Ou tu faisais des bals chez Pierre ou chez Paul, dans des maisons mais enfin tu ne payais rien. Le premier qui savait faire "quiner" [couiner] un peu l'accordéon, c'était bon, quoi. Je me rappelle que mon père jouait un peu de l'accordéon. On venait chercher mon père. On le tenait… On lui donnait un paquet de tabac pour payement.
- Et les fréquentations ? [
interpellation J. B.]

Ça se passait comme ça, quoi. Tu commençais à te voir de loin, puis pas de trop proche ! Il fallait pas se faire voir des vieux parce que, un coup, l'un n'était pas assez riche, l'un avait ça, l'autre avait un œil qui regardait d'un côté, l'autre… C'étaient pas les jeunes qui se mariaient, c'étaient les vieux qui les mariaient.
- Toujours, toujours ? [
interpellation J. B.]

Ah ! non, non, maintenant. Mais de notre temps ça arrivait, oui, oui. Tu prendras celui-là, il y a une bonne place, il est bien, il est riche, il est [ce]ci, il est [ce]la. Il a des bœufs, il y a un gros [brave] tas de fumier. Il fallait regarder s'il y avait un bon tas de fumier. Mais c'était vrai, ça.
- Et les filles se laissaient faire comme ça ? [
interpellation J. B.]

A cette époque, personne ne rouspétait pas comme les… Après c'est arrivé. Mais de ma génération je sais qu'il y en a qui ont été mariées comme ça. Tu te marieras, tu prendras celui-ci, tu prendras celui-ci.
- Et ça a bien marché ? [ou a foué bouna fïn ?] [
interpellation J. B.]


Eh ben ! à cette époque, on ne divorçait pas. Il y en a qui aurait eu l'occasion de divorcer parce que les femmes étaient tout à fait [
"franc"] malheureuses ! La femme devait être… Il fallait rester où t'étais. On disait, quand tu te mariais : "Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute"... Maintenant elle coupe la corde [l'étache]. Elle coupe la corde, elle ne broute pas… La mentalité était comme ça, quoi... Il y en a qui n'étaient pas top mal mais il y en a…
- Et les charivaris ? [
interpellation J. B.]

Ah ! ben, c'était pour les veufs, ça, les charivaris. Eh ben, si un veuf se remariait, alors bon, il se remariait, il prenait une jeune ou une autre veuve, il n'y avait pas d'importance, mais les jeunes du quartier, ils savaient que le veuf se remariait alors ils disaient : on va faire le charivari pour se faire payer à boire. Alors s'il payait à boire le premier jour le charivari ne durait pas longtemps. Parce qu'ils prenaient des faux [daille], des casseroles et compagnie, [ils] faisaient le tour du hameau [vialage], et des clairons… Ils cornaient, n'importe… Ils faisaient le "manège". Mais s'il payait à boire le premier jour : Arrêtez, venez boire, ça s'arrêtait. Mais je me rappelle, il y en a un, de Saint-Bonnet, qui ne voulait pas payer à boire. Ils firent le manège quinze jours de suite, et tous les après-souper, tous les soirs, les jeunes, eh ben, ils faisaient le manège, corner… jusqu'à ce qu'il eut payé à boire, quoi. C'était juste pour se faire payer à boire, quoi. Mais ça je ne l'ai jamais fait, mais enfin je l'ai entendu dire.

Mais c'est comme les fréquentations, comme en dit la Glaudia [Claudia], on allait à la messe, oui, c'était la loi d'aller à la messe mais tu y allais aussi pour te donner des rendez-vous. C'était l'occasion de se voir, tu allais à la messe, alors, et bon :
- Et ce soir où tu vas en champ ? Et ce soir où tu vas en champ ?
- A tel endroit, à tel endroit.

Ah ! bon. Tu te voyais là, quoi. Il n'y avait pas bien [moyen] de t'approcher de la maison le premier jour. S'il convenait aux parents, le jeune, ils ne lui disaient rien, mais s'il ne leur convenait pas, tu te faisais passer une engueulée : Celui-là, il ne peut pas faire pour toi.
- La fille n'avait pas le droit de dire quelque chose [
intervention d'une dame].

Eh ben, non. C'était comme ça.
- Ah ! mais, un coup d'œil, c'était vite fait [
intervention d'une dame].

Tu allais "en champ", tu allais "en champ", le jeune te donnait rendez-vous, mais tu partais en champ avec tes brebis, ou tes chèvres, ou tes vaches mais l'autre allait faire le grand tour pour ne pas se faire voir pour s'en aller.
- Quand un jeune allait voir une fille…

Le chien ne jappait pas après le jeune parce que… le chien connaissait le jeune. Le jeune allait lui faire la fête parce qu'il y en a, des vieux, qui allaient guetter [apincher] après, à travers [la campagne] quand t'étais "en champ". Il y en a qui allait voir à travers… Tu ne voyais pas, quand tu avais le jeune, tu ne regardais pas si les vieux te guettaient. Eh ben, chacun ses combines, quoi ! C'était pas comme maintenant. Maintenant il n'y a huit jours qu'ils se voient, ils couchent ensemble. Ça n'empêchait pas qu'ils fassent des petits, quand même…
- Mais après, il fallait aller chez les parents demander… [
interpellation J. B.]

Ah ben, oui, mais après le garçon allait demander la fille. Mais il y avait du temps à passer. Il y avait de l'eau, il y avait de l'eau à passer sous le pont, avant ! Il ne fallait pas… S'il convenait bien ça allait tout bien mais si c'était un garçon qui ne convenait pas... Il y en a qui avaient des petits. Je sais qu'il y en a une, elle s'est mariée au troisième gamin, parce qu'ils ne voulaient pas la lui donner, total… Elle en a eu trois pour qu'ils la donnent en mariage. Elle en a eu trois avant de se marier. Eh ben, oui. Ils ne voulaient pas la lui donner. C'était pas assez bien, pas assez [
ce]ci, alors… Ce n'était pas la même mentalité qu'aujourd'hui. Il n'y avait pas la pilule, ni rien. Il n'y avait rien de notre temps.


(1) Hameau d'Essertines, sur la route de Montbrison à Châtelneuf.
(2) Autre hameau d'Essertines, sur la route de Montbrison à Châtelneuf, après Faury.
(3) Un transporteur de Saint-Bonnet-le-Courreau.


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mise à jour le 1er mai 2013