Patois vivant




Marthe Défrade (de Châtelneuf)
au cours d'une veillée Patois Vivant
au Centre social de Montbrison
en avril 2004

 

A la maternité

Marthe Défrade

(patois de Châtelneuf)

enregistrée au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant dans les années 2000
au Centre social de Montbrison
, 13, place Pasteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(9 min 10 s)

La scène se passe dans les années 1930 à la maternité de l'hôpital de Montbrison.

[Les enfants…] enfin ils doivent se faire toujours de la même façon, au même endroit, mais il n'y avait pas toute la préparation qu'il y a maintenant.
- Comment ça se passait ? [
intervention J. B.]

Comment ça se passait. Eh ben ! tu commençais par descendre [en ville]… - Si quand je suis descendue, il y avait des autos - mais il y en a, avant moi, c'était seulement des chevaux qui descendaient, qui descendaient les femmes à la maternité. Alors il ne fallait pas attendre le dernier moment parce que… Et il y en a qui arrivaient avant d'arriver à la maternité.

Mais donc, à ce moment, on arrivait à la maternité. On te passait une visite mais on ne te faisait rien, ni rien. Il te disait : vous savez comment vous l'avez pris, vous savez comment vous allez le faire. C'était la sœur Sainte-Odile. C'était souvent des sœurs, il n'y avait pas bien de sages-femmes, c'était souvent des sœurs.

- C'était des sœurs ? [
intervention d'une dame]
- De l'hôpital.

[en français] Il y avait la sœur Sainte-Odile, la sœur Sainte-Blandine… Il y avait la sœur… Saint-Gérard…, Saint-Gérard, oui.

Eh ben ! Tu arrivais à la maternité, il fallait attendre que ce soit le moment de… parce qu'on ne te faisait rien, "ni diable ni demi", quoi. Alors, il fallait attendre, quoi.

Et il y a des femmes qui appelaient leurs hommes, elles appelaient leur père, leur mère, tout… On te disait : Tu l'as pris toute seule, c'est pas ton père et ta mère qui vont… Alors tu restais le jour où tu accouchais et après il ne fallait pas se lever. Le lendemain, il ne fallait pas bouger. On te lavait comme si tu étais un grand malade. Il ne fallait pas se lever pour aller pisser, ni rien. Moi, la première fois que j'y suis allée, ces bassins, je ne savais comment ça marchait. C'étaient des gamelles, c'était des machins ronds qui avaient une queue. Moi, je pissais dans le bassin, le bassin pissait dans le lit… Ils furent obligés de changer mon lit deux fois. Eh ben ! on ne te disait rien, on ne t'expliquait rien, alors tu ne savais rien… Bon, après, tu restais… le premier jour il ne fallait pas se lever. Tu restais huit jours sans se lever, grand malade près à mourir, presque. Tu restais quinze jours à l'hôpital… Enfin c'était les congés que tu passais, les congés… Tu mangeais bien, tu ne t'occupais de rien, tu ne t'occupais pas du gamin, ni rien. C'était tout la sœur Sainte-Blandine qui s'en occupait. Tu avais juste à lui donner à boire. Si tu lui donnais le sein, tu le donnais. Si tu donnais le biberon, il fallait donner le biberon mais tu ne t'occupais pas des congés que tu passais… Et tu rentrais à la maison, il fallait reprendre le travail comme s'il n'en était rien, quoi.

- Et il fallait le baptiser avant de sortir ? [intervention d'une dame]

Ah ! oui, oui, tu ne sortais pas de la maternité d'en ville sans le baptiser, que tu sois de n'importe quelle race. Tous. Il fallait tous être baptisés alors. Personne ne sortait sans être baptisé. C'était l'abbé, le curé Merle qui était à l'hôpital qui baptisait. Eh non ! la mère n'allait pas au baptême parce que tu avais toujours le derrière dans le lit, tu ne devais pas sortir.

Et après tu remontais, tu reprenais le travail.

- Il fallait le langer ? [intervention d'une dame]
Eh ben ! oui, tu le langeais, ce gamin…

[en français]
Bien serré [
intervention de J. B.]
Fermé, comme ça, allongé, comme ça, les deux bras… mais il fallait bien fermer parce que tu ne l'avais pas langer que…

[reprise en patois]
Il se défaisait aussi vite que tu l'avais fait. Enfin les miens sont tous nés en hiver. On n'avait pas de chauffage. Enfin je leur mettais une brique mais jamais ils n'ont été malades.

[en français]
Jamais ils n'avaient été malades et c'était pas chauffé…

[reprise en patois]
C'était pas chauffé comme aujourd'hui et jamais ils n'ont été malades, ni rien.

- Et il fallait laver les couches ?! [intervention d'une dame]

Eh bien il fallait laver. Et il n'y avait pas les couches à jeter. Il fallait les laver, les mettre sécher. Et aller chercher l'eau. C'est qu'il n'y avait pas l'eau [courante] alors. Pour le premier, je n'avais pas l'eau. Derrière le fourneau il fallait y mettre [à sécher]. C'était pas la même vie qu'aujourd'hui.

- Ils n'ont pas servi d'Enfant Jésus, à la maternité, là-haut ? [intervention de J. B.]

Ah ! Non, non, c'était celui qui naissait le jour de Noël, ça. Il fallait…

- Vous l'avez vu ?
- Ah ! oui, oui. Je l'ai vu. Il fallait…

C'est celui qui naissait le 25, le 24 ou le 26, enfin autour de Noël, qui servait de crèche. Mais, je me rappelle bien la crèche, dans la salle d'attente, dans l'entrée… Mais alors, c'était bien.

Celle qui s'occupait des gamins, c'était la sœur Sainte-Blandine. Et puis il y avait la Sainte-Madeleine, la Saint-Gérard, la …

- C'était toutes des saintes ? [intervention d'un présent]

Toutes de saintes. La sœur Saint-Gérard avait une bonne poigne. Mais les sages-femmes, pour les derniers, il commençait à y en avoir mais avant c'était les sœurs qui t'accouchaient.

- Et le médecin ?

Ah ! bon, Jean-Louis Vial. Jean-Louis Vial a toujours été à la maternité. Avant c'était le "père" Vial.

- Il s'y connaissait ?

Ah ben ! oui. Il avait appris pour ça, lui. D'abord, tu allais le voir, il fallait qu'il te regarde toujours le "numéro", Jean-Louis Vial, même si tu n'avais pas mal à ça… il fallait qu'il te regarde le numéro, Jean-Louis Vial… Et puis, il venait faire sa tournée. Enfin, parfois, il y avait des accouchements qui se passaient mal, on l'appelait. Quand il y avait des accouchements avec les fers, et tout, il fallait le médecin… Mais il venait faire sa tournée tous les jours. Il prenait la blouse blanche, un peu tachée sur un côté, mais enfin il venait faire sa tournée à la maternité. Ah ! si, si, pour les gamins il s'y connaissait bien. Et puis, pour les femmes aussi. Il avait appris pour ça.

- Et ceux qui allaient vous voir, qu'est-ce qu'ils vous apportaient ? Des gâteaux ? [interpellation en français]

Eh ben ! ils t'apportaient des gâteaux, du champagne ! Les gâteaux qu'il y a aujourd'hui, quoi. Ah oui ! bien des biscuits à la cuillère, ça se portait bien. Mais enfin il y avait bien toutes sortes de gâteaux.

Je me rappelle quand le premier est né, il y a une femme qui était du côté de Saint-Didier-sur-Rochefort, de je ne sais pas d'où, ils lui avaient apporté tous les gâteaux au chocolat et à la crème. Et elle avait de l'albumine, elle ne pouvait pas les manger. Elle dit : comment on va faire, ils vont s'abîmer, ces gâteaux ? Oh ! mais, je dis : ce soir quand les sœurs seront couchées - la chambre où on était, la chambre Saint-Henri, les sœurs y passaient toutes pour aller se coucher, elles traversaient [croiser] la chambre Saint-Henri.

Je dis :

- Quand les sœurs seront couchées, je me lèverai, je ferai la distribution.

Elles me dirent :

- Et si tu tombes ?
- Mais si je tombe, vous vous lèverez pour venir me ramasser !

Mais je ne tombai pas. Je pris les gâteaux. Nous les avons distribués et mangés et personne n'a été malade. Eh oui ! Elle ne pouvait pas les manger, elle avait de l'albumine. Nous étions des chambres de six lits, quoi. Et nous passions de bons moments parce qu'on était bien. Je me rappelle pour le premier il y avait des valets de chambre qui nous faisaient les chambres, on se moquait d'eux. On riait presque à leur barbe. Ils devaient dire : ces "miyes (1)" elles se moquent de nous !

[interpellation et réponse en français] :

- Le ventre vous faisait pas bien mal !.
- Ah ben ! Le ventre ne nous faisait plus mal ! Ça durait un petit moment mais après c'était passé !

[reprise en patois] :

Une fois que c'était passé, ça ne faisait plus mal. Comme l'autre jour, je me suis fait opérer pour ma hernie. Il y a quinze jours, trois semaines, dans le mois de février. Ça me prit, je fus malade toute la nuit. Je fus malade "quelque chose" [vraiment beaucoup] ! On ne descendit à l'hôpital, on m'opéra d'urgence. Une fois que j'ai été opérée, après j'ai été guérie. J'ai été cousue. Eh oui ! Ils m'opérèrent le 18 février. Après t'es guérie.

(1) Miye : mot local pour "jeune femme", à rapprocher de l'ancien français "mie".

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mise à jour le 15 avril 2013