Patois vivant


La foire de Sainte-Agathe

Marie Coiffet

 

La foire de Sainte-Agathe

une histoire de Marie Coiffet (née en 1919) enregistrée au début des années 2000
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison


(patois de Champdieu)

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 4 s)

Une histoire, encore, de foire… Mais il y a déjà bien longtemps de ça. C'était avec les GAEC (1), les CUMA (2), les SICA (3), les RTT (4)… C'était bien avant.  C'était un petit paysan qui avait à peu près quatre vaches, quatre, cinq vaches. Il en avait deux de dressées pour faire son travail : son charroi, ses labours. Il avait une petite vigne, une cartonnée de Seibel, parce qu'il aimait bien le canon. Ça lui faisait son vin pour l'année. Quand il était trop juste, il faisait une "chèvre" avec une treille de Bacau. Et, ça faisait le joint. Et puis, surtout, ce qu'il aimait trop, faire le maquignon ! Alors il avait toujours quatre ou cinq brebis, enfin un lot de brebis. Il faisait tout le temps…, il préparait tout le temps pour faire la foire. Mais il n'avait rien pour les transporter. Alors il y avait le voisin, c'était un gros maquignon, lui, il lui disait :
- Jean-Marie, tu me les transporteras, mes brebis ?
- Oui, oui, je te les mènerai. C'est même la Nana [Anna] qui te les mènera avec la bétaillère. Parce que, moi, je suis obligé d'aller [moudè] à pied, j'ai un gros lot de bétail : j'ai des génisses[ les "braves"], j'ai des vieilles vaches [les "gores"], j'ai même des bœufs, parce que c'est la foire de la Bouteresse (5), [pour] les vendre, ces bœufs, à ces débardeurs  [lou bigan], là-bas, qui débardent  leurs hêtres ["fayards", en français local], leurs pins ["garolles", en français local] qu'ils ont coupés en bonne lune. Ils en profitent avant qu'il n'y ait trop de neige. Alors, donc, c'est la Nana qui les mènera…    

Et mon Joseph, il était tout content. Alors le Jean-Marie, il le dit à sa femme.
- Oh la la ! Elle lui dit. Tu parles d'un arsouille ["braquaille"] pareil ! Tu parles d'une corvée ! Et puis, [c'est] affreux ce qu'il sent mauvais, ce Joseph ! Il sent le renfermé [le fagana], il sent tout à fait ["franc"] le tissu [pia] passé [puné]. Et puis, surtout, il n'est pas trop fin, hein !

Le Jean-Marie lui dit :
- Mais, quand même, tu n'as pas peur de ce petit [matru] bouchon de [cabinet…?] ? Il t'arrive à l'épaule.

Et puis [elle se dit ?]  : Je suis bien obligée, hein ? Parce que le Jean-Marie, c'était un têtu [tétaro], c'est que quand il avait dit quelque chose, la Nana – ce n'était pas une [timorée ?] [magnane], c'était plutôt une rabâcheuse [tarabate (6)] et une femme forte [capirôde] – mais elle n'avait qu'à se taire [se quésè].

Alors bon, le Joseph, il monte… il charge les brebis, il monte à côté de la Nana, tout content ! Ce Joseph, c'était un coureur de jupons [fenaré (7)] fini, un baratineur [?] [amblaveur] : il aurait fait téter un veau crevé et, en plus, il croyait à ses mensonges. Et il se vantait d'avoir tous les succès avec les femmes. Il arrivait toujours à faire ses affaires [farettes (8)].

C'est que la Nana, elle en avait marre qu'il raconte n'importe quoi ["bassouiller"] tout le temps.
- Oh ! Elle a dit, attends. Je vais bien te calmer.

Alors, arrivés après Montverdun, ils ont attrapé la côte vers le moulin Jacquet et en descendant, là, vers le pont de Sainte-Agathe, elle s'arrête. Elle lui dit :

- Dis donc, Joseph, tes brebis, elles se battent !
- Penses-tu, je n'entends rien, moi.
- Bien sûr, t'es sourd comme un pot [un "tupin"]. Je te dis de descendre, d'aller voir ce qu'il y a.

Alors, mon Joseph, il descend. Il n'avait pas plutôt descendu que la Nana est partie.
Mon Joseph :
- Mais t'es folle ! Mais t'es "simple" [chïmple, mot patois pour folle] ! Qu'est-ce qui t'arrive ? Eh ben, mon vieux, cette bougresse, elle m'en fait une !

- Enfin, bon, il laisse partir. Oh ! il a dit, je trouverai quand même bien un char pour m'emmener jusquà… - c'est qu'il y avait une bonne marche ["trotte"] hein  ! – jusqu'au champ de foire de Sainte-Agathe.

Et il y a un char à bancs qui est passé. Il était plein de cages de volailles : des oies, des jars [ de z'uyard], des canes… Enfin, bon, il ne risquait pas de le prendre. Il y a une voiture qui est passée, une auto qui est passée mais elle ne s'est pas arrêtée. Alors il a attrapé la côte, après la montée de Sainte-Agathe et il est parti, quoi.

Et la Nana est arrivée. Le Jean-Marie lui a dit :
- T'as pas vu le Joseph ? Qu'est-ce que tu en as fait ?
- Ouh ! Il m'énervait tellement, il "m'endoriait" tellement, tu comprends, je l'ai laissé pour le calmer. Il monte à pied.
- Eh ben, il faudrait peut-être bien qu'il se dépêche !   

Enfin, il arrive. Il ne pouvait plus souffler [vezâ (9)] ! Rouge comme…, de colère, tout "mouillé de chaud". Alors le Jean-Marie lui dit :
- Tu te dépêches de débarquer ["détrapper"] tes brebis parce que les marchands de chèvres sont tous passé.
- Eh ben mon vieux ! ta […?], elle m'en a fait une, quand même…
- Mais elle t'a fait ça, tu comprends, il ne faut pas de connaître, toi. Tu comprends, quand tu as une femme à côté de toi, tu la "belettes (10)" tellement  que la Nana, elle en a pris peur. Allez, dépêche-toi d'aller débarquer tes brebis.

Il a dit :
- Eh ben, mon vieux ! Si le marchand  de chèvres est  passé  qu'est-ce que  je ferai de  mes brebis ?
- Mais, ne te casse pas la tête,  je te les ramènerai, tes brebis. Mais cette fois, c'est moi qui conduit. Tu passeras derrière avec tes brebis. Et puis, il y a le Dius [Claudius] qui a acheté un bouc [brequïn] alors j'emmène le bouc du Dius.

Et bien ! Tous ces braves gens [dont j'ai parlé] ne viendront pas me contredire dans ce que je raconte ! Si c'étaient les "gagas", ils diraient : il y a longtemps qu'ils fument les mauves et moi je dirais : il y a longtemps qu'ils sont partis pour le grand voyage. Voilà.

 

(1) GAEC : Groupement agricole d'exploitation en commun.
(2) CUMA : Coopérative d'utilisation de matériel agricole.
(3) SICA : Société d'intérêt collectif agricole.
(4) RTT : Réduction du temps de travail.
(5) Ancienne et importante foire qui se déroule pour la fête de Saint-Maurice, le 22 septembre, au hameau de la Bouteresse, commune de Sainte-Agathe.
(6) Cf. tarrabâte : turbulent, tapageur, cf. L.-P. Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(7) Cf. fennasson, garçon qui rôde toujours autour des femmes (L.-P. Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863).

(8) Farettes : fredaines, cf. L.-P. Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(9) Vezâ, souffler, respirer,  cf. L.-P. Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(10) Cf. L.-P. Gras, belletâ : désirer ardemment, dévorer des yeux… Dictionnaire du patois forézien, 1863.

 

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