Patois vivant


Les filles du Joseph

Marie Coiffet

 

Les filles du Joseph

une histoire de Marie Coiffet (née en 1919) enregistrée au début des années 2000
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison


(patois de Champdieu)

pour écouter cliquer ci-dessous

(6 min 37 s)

(traduction : Joseph Barou)


Je vais vous raconter une histoire qui se passait entre les deux guerres. Bon, c'est deux filles du Joseph, deux jolies filles. Elles étaient restées à la ferme à travailler avec leurs parents. Il y en a une qui gardait les vaches, bon, l'autre était à la ferme pour faire le beurre, le …

Le Joseph et la Benoîte… Alors la Benoîte, sa mère, elle descendait son beurre en ville, sa mollette de beurre, [c'était] toujours le même coquetier qui la lui achetait, et ses œufs, enfin toutes ses denrées [lo pidance (1)]. Parce que le Joseph il avait commencé bien petit après la guerre mais tout doucement, il avait une petite ferme qui ne marchait pas mal, bon. Et ces filles, c'étaient des jolies filles. Elles avaient eu leur certificat d'études en trente-un. Il y en a une qui était née en dix-neuf, l'autre en vingt. Et le Joseph, il était bien un peu déçu parce qu'il disait : encore une pisseuse !  Enfin, bon.

Ils les ont bien élevées. La Benoîte, elle avait beaucoup de lait, elle les nourrissait au sein. Ça fait que la grand-mère, elle balançait toujours le berceau quand il y en avait une qui pleurait. Enfin ces petites elles n'avaient qu'un an de différence, on aurait dit deux jumelles [bessoune].

Enfin, bon. Elles arrivent à dix-sept, dix-huit ans. Comme tout le monde, elles voulaient bien aller faire la fête ! Alors il y avait la Toinette [Antoinette] et la Génie [Eugénie], alors c'était… Et puis elles avaient une copine dans le hameau. Et comme elles avaient bien travaillé le Joseph leur avaient acheté des vélos. Alors elles filaient  dans les fêtes, de ci, de là.

Bon, ils vont, dans une après-midi – parce qu'ils mettaient les vaches…, ils ne les gardaient pas, ce jour-là, ils les mettaient dans le parc du cheval – alors elles vont à une fête. Elles posent leurs vélos.

[Arrive] une espèce de "faramelan" (2) qui venait de la Plaine, le Pétrus, alors bien habillé [goné], des cheveux bien lissés. C'était une "bassouille" (3) et il faisait bien son gommeux. Il n'avait pas fait de régiment. Il avait réformé pour défaut de constitution. Mais il était bon pour les filles. Et, en effet, les filles, il s'en occupait. Avec sa moto, il faisait japper les chiens de sept communes.

Enfin, bon. N'a-t-il pas pris envie de la Toinette ! Alors, bon, une fête, là, la Toinette qu'il avait surveillée… ça ne lui plaisait pas bien : ce petit [matru] gringalet de rien du tout ! Enfin, bon, ça va. Une autre fête, la même [chose].

Ouh la la ! - Elle a dit à ses copines, à sa sœur et à sa copine -, Ouh la la ! il faut que je m'en débarrasse ["dépeger" : décoller] de celui-là parce que, eh !, il commence à m'embêter. Il n'a jamais fini de m'agacer ["m'endorier"] et puis c'est un chaud lapin comme tout. Il faut faire attention !

Bon ! Alors arrive la troisième fête où ils pensaient bien s'amuser. Elles ont laissé leurs vélos vers le "travail" [lou z'étrio, les étriers : le travail de maréchal-ferrant pour ferrer les bovins] du maréchal. Le maréchal, c'est un grand copain à son père. Ils avaient fait la guerre de quatorze ensemble. Ils se connaissaient bien. Et vers ce travail il y avait une grosse touffe d'orties. Alors elle a dit :

- Si jamais il s'amène, l'autre, sûr qu'on le déculotte
- Tu te rends compte ?
- Oui, oui, oui, ne te fais pas de bile. Il ne faut pas qu'il m'embête, cette fois. Il aura fini de m'agacer.

En effet, le Pétrus s'amène. Il ne parlait qu'en français, lui.
- Oh ! Bonjour, mes demoiselles, il y aura du monde,  je vais vous chercher une table. Je vais vous chercher une table, venez, vous suivez…

Et ils sont partis mais il n'y avait pas d'autres tables, il n'y avait que celle qu'il avait trouvée, le Pétrus. Alors il a commandé une bouteille de limonade. Et puis alors, dans ce café il y avait un bon accordéoniste. Alors bon, ils se mirent à danser. Alors, évidemment, il a dansé avec la Toinette mais la Toinette, elle avait vu le Jean-Pierre qui arrivait qui était en train de […] et qui lui plaisait bien, ce Jean-Pierre…

Elle dit aux autres : on va lui faire son affaire, à lui, tiens.
Et comment tu vas faire ?
Eh ben ! de suite, quand la danse sera finie, je vais sortir avec lui. Vous me suivrez derrière, hein, sûr ?

Alors, effectivement, elle lui dit – il ne lui parlait qu'en français – en dansant, elle lui dit  :
- Oh la la ! J'ai chaud. Je me sens pas bien, j'ai la "lourde" [le vertige]. Je veux sortir un peu.
- Oh  oui, oui ! Mais je vous accompagne.

Alors les voilà partis, tous les deux. Et, bien sûr, il te l'attrapait par la taille, il voulait l'embrasser, ainsi de suite… Alors, elle a jeté un coup d'œil, les autres suivaient.  Alors, arrivés vers le travail, vers les vélos, elle leur a fait signe et lui a dit :

- Ouh ! la ! T'as fini de m'emmerder, toi . Tu comprends, tu ne trouveras pas ce que tu cherches avec moi. Alors, ne te fais pas de bile, on va te faire ta fête ! Si tu as un peu trop chaud aux fesses, tu sauras pourquoi.

Alors les deux autres – c'étaient des "capirodes" [des filles robustes] […?]  -  elles te l'ont attrapé les mains derrière [le dos], par les épaules. Il y en une qui s'est dépêché de l'asseoir. il ne faisait pas même son quintal (4) [ici, environ 50 kg soit 100 livres anciennes] alors il ne brillait pas avec les filles ! Alors elles lui ont défait sa ceinture, ses bretelles, et puis les pantalons sont tombés sur les souliers. Il avait un grand pan [fouilla] à sa chemise mais pas de caleçon. Alors elles te l'ont attrapé par les pieds. Elles lui ont enlevé ses souliers. Il gigotait ["jinguer"]. Mais il gueulait :

- Mais vous êtes folles ! Espèce de "gambelles", vous me le payerez !
- On ne payera rien du tout, parce que t'en auras trop honte. Toute la Plaine le saura et puis, ne te fais pas de bile…

Elles lui ont fait "chopigner" [écraser avec le derrière] cette touffe d'orties, et hardi ! "chopigner", enfin bien comme il faut !

Alors, il se calmait bien un peu. Elles lui ont dit : On te redonne tes souliers et ta ceinture - qu'elles avaient embarqués - mais tu te dépêches de prendre ta moto et qu'on ne te revoit plus. Ne viens plus nous embêter, ce n'est pas la peine.

Et voilà.

  1. Ici, ensemble des produits de la ferme qui sont vendus au marché : beurre, fromages, œufs…
  2. Faramelan : prétentieux, mot du parler stéphanois ; la conteuse a longtemps travaillé à Saint-Etienne.
  3. Celui qui fait et qui dit un peu n'importe quoi, littéralement "celui qui joue à renverser de l'eau".
  4. Ce n'est pas le quintal du système métrique mais le quintal ancien, environ 50 kg soit 100 livres.

 

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