Patois vivant


La foire de Grénieux

Marie Coiffet

 

La foire de Grénieux


Marie Coiffet
(patois de Champdieu)

une histoire de Marie Coiffet (née en 1919) enregistrée
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison dans les années 2000


pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 35 s)

C'est le vingt du mois de mai. Alors, le Tonin et la Claudine, ils avaient toujours bien l'habitude d'aller à cette foire. Ils se sont levés de bonne heure. Tonin a pansé son bétail… les vaches - il a changé la litière [étarni] - les porcs… La Claudine a trait ses vaches, a passé [le lait] à l'écrémeuse… Et puis ils ont attelé la Grise, une vieille jument, mais qui marchait bien, et le char à bancs. Et ils ont mis une cage de poulets et une cage de lapins, pour vendre.

Alors, arrivés à Grénieux, ils ont dételé. Et ils sont allés vers [le marché de] la volaille pour vendre leurs affaires. En descendant, il y avait les Champdiolats [habitants de Champdieu] qui avaient des cerises et même des amandes, quelques paniers, des précoces, bien sûr, mais la saison était bonne, il y en avait quelques-unes de Moingt [?]. Et puis alors, ceux de Balbigny, ils avaient des …?, des plants de choux, de blettes, de tomates, enfin pas mal de choses !
- Plus d'une… [
interpellation d'un auditeur]

Plus d'une, oui. Alors, arrivée à la Volaille, elle a trouvé sa copine, la Françoise. Elle, elle avait des […?] et des petits dindons [les goulus] qui "piquaient le rouge (2)".

Alors elles se sont mises à bavarder, toutes les deux, bien contentes de se retrouver. Alors le Tonin, il est allé voir le marché des bêtes. Et, cette année, il y en avait des bêtes. Il y avait des bœufs, il y avait des vieilles vaches, il y avait des "chartrons", il y avait des génisses, il y avait des brebis, encore des chèvres… Il y avait même une ânesse [mira] avec son petit ânon [miron].
Qu'est-ce que c'est, ça ? [
interpellation d'André Guillot]
Une ânesse [
en français].

Et il a trouvé, bien entendu, plein de copains. Entre autres le Jean-Pierre qui lui dit :
- Alors, tu le paies, ce canon ?
- Je le payerai bien, bien sûr.


Le Pierre… le Jean-Pierre paie le canon, le Tonin aussi. Il y en a un autre qui est arrivé, enfin ils en ont vidé, vidé [
"aplaté" : assommé].
Tout à coup, les autres, qu'ils ont dit : Le Tonin, il ne commence pas mal ! Il faudrait peut-être bien s'arrêter…

Alors, pour décoller du banc, le Tonin, il n'était pas bien… Enfin il est parti. Ça lui a passé un peu, il est parti. Il y avait plein de marchands de choses, bien sûr, des vêtements. En passant devant une marchande qui avait plein de vêtements pour les femmes… de jolies culottes avec des dentelles. Et les autres virent qu'il s'arrêtait pour acheter une paire de culottes. Et je te marchande, et je te marchande… Et finalement il dit : je la prends, et puis pas besoin de l'emballer ["la plier"], je la mets dans ma poche. Alors, il met cette culotte dans sa poche.

Et ils vont plus loin. Ils ont trouvé un grand escogriffe [
sarpian] d'Arthun qui avait vendu des génisses. Il leur a dit : J'ai fait des sous, je paye la tournée, allez. Et ils ont recommencé. Et je te paye un canon de ci, un canon de là… C'est que mon Tonin, il ne bougeait plus, il ne pouvait plus parler.
[…?]
Il voit la Glaudine.
- Mais qu'est-ce que tu fais ! Sacré guenille ! Ce n'est pas possible, mais dans quel état tu t'es mis ! Oh ! grand feignant. Grande bringue ! Eh bien ! je suis jolie, moi. Comment je vais faire, moi, pour l'emmener, ce grand… niais [
bada-bè] ?
-
Oh ! Ne te fais pas de bile. On le chargera dans ton char à bancs. Alors bon, on va aller atteler ta jument. Elle est de bonne conduite, ta jument, elle l'emmènera bien.

Alors ils ont chargé le Tonin dans les cages. Ils avaient acheté deux dindonneaux, eux, et puis des poulettes qui étaient prêtes à faire des œufs. Ils l'ont mis entre les cages et puis ils sont partis. Alors, arrivés chez eux, elle l'a déchargé, comme elle a pu.

- Mais quitte donc cette veste, quand même ! Tu es tout chiffonné [sampilla].

Alors il quitte la veste. Et puis il s'est mis à ronfler. Et elle regarde. Qu'est-ce qu'il a dans cette poche ? Elle sort ces culottes. Qu'elles sont toutes sales ! Il s'en était servi pour s'essuyer, il y avait bavé dedans. Mais alors ma Glaudine en est tombée sur les fesses. Mais elle a dit : ce n'est pas possible ! Elle a pris une bonne goutte d'arquebuse. Elle a dit : Eh ben ! mon vieux, moi  qui croyais avoir pris un homme  comme il faut !

En attendant le Toine, le Tonin, il n'a jamais pu retourner filer à Grénieux ! Ç'a été fini pour lui.

(1) Hameau de la commune de Nervieux où se tient une importante foire.

(2) Prendre le rouge : 6 à 8 semaines après leur naissance, les caroncules des dindonneaux apparaissent. C'est un moment délicat au cours de leur élevage.

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