C'est le vingt du mois de mai. Alors,
le Tonin et la Claudine, ils avaient toujours bien l'habitude
d'aller à cette foire. Ils se sont levés de
bonne heure. Tonin a pansé son bétail
les vaches - il a changé la litière [étarni]
- les porcs
La Claudine a trait ses vaches, a passé
[le lait] à l'écrémeuse
Et puis ils ont attelé la Grise, une vieille jument,
mais qui marchait bien, et le char à bancs. Et ils
ont mis une cage de poulets et une cage de lapins, pour
vendre.
Alors, arrivés à Grénieux,
ils ont dételé. Et ils sont allés vers
[le marché de]
la volaille pour vendre leurs affaires. En descendant, il
y avait les Champdiolats [habitants
de Champdieu] qui avaient des cerises
et même des amandes, quelques paniers, des précoces,
bien sûr, mais la saison était bonne, il y
en avait quelques-unes de Moingt [?].
Et puis alors, ceux de Balbigny, ils avaient des
?,
des plants de choux, de blettes, de tomates, enfin pas mal
de choses !
- Plus d'une
[interpellation
d'un auditeur]
Plus d'une, oui. Alors, arrivée
à la Volaille, elle a trouvé sa copine, la
Françoise. Elle, elle avait des [
?]
et des petits dindons [les goulus] qui "piquaient
le rouge (2)".
Alors elles se sont mises à bavarder,
toutes les deux, bien contentes de se retrouver. Alors le
Tonin, il est allé voir le marché des bêtes.
Et, cette année, il y en avait des bêtes. Il
y avait des bufs, il y avait des vieilles vaches,
il y avait des "chartrons", il y avait des génisses,
il y avait des brebis, encore des chèvres
Il
y avait même une ânesse [mira]
avec son petit ânon [miron].
Qu'est-ce que c'est, ça ? [interpellation
d'André Guillot]
Une ânesse [en français].
Et il a trouvé, bien entendu,
plein de copains. Entre autres le Jean-Pierre qui lui dit
:
- Alors, tu le paies, ce canon ?
- Je le payerai bien, bien sûr.
Le Pierre
le Jean-Pierre paie le canon, le Tonin aussi.
Il y en a un autre qui est arrivé, enfin ils en ont
vidé, vidé ["aplaté"
: assommé].
Tout à coup, les autres, qu'ils ont dit : Le Tonin,
il ne commence pas mal ! Il faudrait peut-être bien
s'arrêter
Alors, pour décoller du banc,
le Tonin, il n'était pas bien
Enfin il est
parti. Ça lui a passé un peu, il est parti.
Il y avait plein de marchands de choses, bien sûr,
des vêtements. En passant devant une marchande qui
avait plein de vêtements pour les femmes
de
jolies culottes avec des dentelles. Et les autres virent
qu'il s'arrêtait pour acheter une paire de culottes.
Et je te marchande, et je te marchande
Et finalement
il dit : je la prends, et puis pas besoin de l'emballer
["la plier"],
je la mets dans ma poche. Alors, il met cette culotte
dans sa poche.
Et ils vont plus loin. Ils ont trouvé un grand escogriffe
[sarpian]
d'Arthun qui avait vendu des génisses. Il leur a
dit : J'ai fait des sous, je paye la tournée,
allez. Et ils ont recommencé. Et je te paye un
canon de ci, un canon de là
C'est que mon Tonin,
il ne bougeait plus, il ne pouvait plus parler.
[
?]
Il voit la Glaudine.
- Mais qu'est-ce que tu fais ! Sacré guenille
! Ce n'est pas possible, mais dans quel état tu t'es
mis ! Oh ! grand feignant. Grande bringue ! Eh bien ! je
suis jolie, moi. Comment je vais faire, moi, pour l'emmener,
ce grand
niais [bada-bè]
?
- Oh ! Ne te fais pas de
bile. On le chargera dans ton char à bancs. Alors
bon, on va aller atteler ta jument. Elle est de bonne conduite,
ta jument, elle l'emmènera bien.
Alors ils ont chargé le Tonin
dans les cages. Ils avaient acheté deux dindonneaux,
eux, et puis des poulettes qui étaient prêtes
à faire des ufs. Ils l'ont mis entre les cages
et puis ils sont partis. Alors, arrivés chez eux,
elle l'a déchargé, comme elle a pu.
- Mais quitte donc cette veste, quand
même ! Tu es tout chiffonné [sampilla].
Alors il quitte la veste. Et puis il
s'est mis à ronfler. Et elle regarde. Qu'est-ce
qu'il a dans cette poche ? Elle sort ces culottes. Qu'elles
sont toutes sales ! Il s'en était servi pour s'essuyer,
il y avait bavé dedans. Mais alors ma Glaudine en
est tombée sur les fesses. Mais elle a dit : ce
n'est pas possible ! Elle a pris une bonne goutte d'arquebuse.
Elle a dit : Eh ben ! mon vieux, moi qui croyais
avoir pris un homme comme il faut !
En attendant le Toine, le Tonin, il n'a
jamais pu retourner filer à Grénieux ! Ç'a
été fini pour lui.
(1) Hameau de la commune de Nervieux
où se tient une importante foire.
(2) Prendre le rouge : 6 à 8 semaines
après leur naissance, les caroncules des dindonneaux
apparaissent. C'est un moment délicat au cours de
leur élevage.