Patois vivant


Le bouc saoul

Marie Coiffet

 

Le bouc saoul

une histoire de Marie Coiffet (née en 1919) enregistrée en 1998
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison


(patois de Champdieu)

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 21 s)

Une histoire d'autrefois... ça se passait dans les années 30, 32, à peu près. C'était dans les pentes [les rampioles], pas les "carcagniaules" de Maurice [Maurice Brunel] mais enfin pas bien loin. Alors c'était le Baptiste. Il avait une petite ferme.

Il avait six vaches ; il y en avait deux de dressées. Il avait une jument parce qu'il avait quelques bonnes "cartonnées"
[la cartonnée = environ un are] de vigne, du gamay. Il faisait du bon vin. Il en vendait quelques "cempotes" [la cempote = environ 100 litres] à un "gavot"
de Chalmazel qui aimait le bon vin.

Il avait un garçon, une espèce de grand "gougnant" [garnement]. Et il [le garçon] avait un copain, le voisin, qui était son conscrit. Alors, lui, c'était un "ratajé" [?], mais il n'en manquait pas une, de sottises. Et ils s'entendaient tous les deux pour faire des blagues [...?].

Alors arrive le moment des vendanges. Il avait fait une bonne vendange, le Baptiste ; il était content. Il avait tiré sa cuve ; ça avait bien pissé. Alors, il était allé chercher le pressoir du Marius. Ce Marius, il n'avait pas de bétail pour le traîner, ce pressoir, alors il [Baptiste] était allé chercher les boeufs du voisin, qu'il [le voisin] avait achetés à la Bouteresse, qui étaient plus costauds que ses deux vaches.

Et alors ils installent le pressoir dans le cuvage et nos deux garnements qui étaient par là, qui tournaient.
[Il dit ?] à son Jean-Marie : "Va-t-en donc aider ta mère qui ramasse les derniers "carentins" [ancienne variété de pois]. Il avait mis des carentins à la fin de l'été. Ils étaient bien [franc] jolis. Ils n'avaient pas du tout de maladie. Et c'était bien bon, à ce moment, de cueillir des carentins si tard. Et il y avait même encore quelques "calabres" [autre ancienne variété de pois].

Parce qu'il faut vous dire que le Baptiste était un petit peu proche de ses intérêts. Il était un peu "tâte-cul de poule"
[pour savoir si la poule a pondu] alors il n'aimait pas trop donner l'argent de la récolte, de [...?], de son vin, de son bétail. Alors la Génie [Eugénie] se débrouillait. Si elle voulait acheter quelques belles affaires, parce que, bon, pour Pâques, les femmes, à cette époque, s'habillaient toujours bien. Alors ça lui faisait quelques sous. Elle ramassait des calabres, des carentins en premier puis les calabres et elle les portait à Champdieu, chez Job, à cette époque. C'était pas encore Dubreuil qui ramassait ça. Alors ça faisait quelques jolis petits sous.

Alors, en attendant, ce jour ils pressaient [la vendange]. Il a bien dit au Jean-Marie d'aller lui aider, à sa mère mais il n'a pas obéi, évidemment. Il y avait le copain ! Alors ils s'arrêtent. Ils ont poussé la barre [du pressoir]. Eh hardi ! Eh hardi ! Eh hardi ! Et puis, bon, ils se sont arrêtés un moment et ils sont allés dans la cave [...] enfin les hommes... Ils se rendaient bien le temps à cette époque. Alors ils sont allés boire un canon, [du vin] de la saison passée, bien entendu.

Alors le petit "raquazé", ce Tonin, il dit au Jean-Marie :

- Oh ! la la ! On va se faire rire, va.

- Et qu'est-ce que tu veux faire encore ?

- Viens seulement.


Ils ont ramassé une "gandole"
[un mauvais récipient métallique] dans la cour. Ils y ont fait pisser du vin "bourru" [qui venait d'être tiré]. Puis ils sont passés par le talus entre les noisetiers et les osiers et ils sont allés chez la Julie.

La Julie c'était une vieille fille qui avait appris le métier de tailleuse. Mais quand ses parents avaient été morts, elle avait gardé les chèvres ; ça fait que, maintenant, elle ne faisait presque que du raccommodage. Et elle livrait son raccommodage au bourg dans une maison où il y avait beaucoup d'enfants. Alors elle avait tout le temps du travail.

Alors ils l'avaient vu partir, en vélo, avec sa balle
[de linge].

- Oh ! la la ! La Julie est partie, viens seulement.

Alors ils vont vers les chèvres. Ils ouvrent
le bouc [l'étable du], du "brequïn" et ils lui font boire ce vin. Eh ! bon sang ! il l'a trouvé bon. Et puis ils ont dit :

- On va rigoler, on va voir ce qu'il va faire
.

Mais tout d'un coup, ils n'ont que vu la Julie qui arrivait. Oh ! la ! ils se sont sauvés. Ils ont même laissé la gandole. Ils n'ont pas eu le temps...

Alors la Julie, elle range son vélo, tout ça. Puis, après, elle va sortir ses chèvres qu'elle voulait mener un petit peu dans les pentes, hein ! Et elle voit ce bouc. Et elle dit :

- Mais qu'est-ce qu'il a ce bouc ?

Il faisait des sauts ! Et puis, tout d'un coup, il s'est écroulé [aclapé] comme une bouse. Et impossible de le faire bouger !

- Oh ! la la ! Mais qu'est-ce qui lui arrive ?

Alors, elle va chez le Baptiste et lui dit :

- Oh ! la la ! mon bouc est malade. Je ne sais pas ce qu'il a. Tu veux pas venir voir ?

Alors le Baptiste est venu. Oh ! il a vite compris. Il a dit :

- Ton bouc, ce n'est pas qu'il est malade, c'est qu'il est saoûl. Il est en train de ronfler.

- Mais,bon sang, qui est-ce qui l'a fait boire ?

- Qu'est-ce que tu penses ? C'est ces deux garnements
[charipes]. Va-t-en les rattraper ! Mais, sûr, ils entendront parler de moi.

Oui, mais les charipes étaient partis, hein , tous les deux !

Et il a compris parce qu'il avait vu la casserole qui avait encore un peu de vin au fond. Alors il lui dit :

- Mais ne tire pas peine Julie, tu n'as pas à te casser la tête, parce que, quand il sera dessaoulé, tes chèvres seront bien contentes parce qu'il sera encore bien plus "arbirou"
[courageux, plein d'allant] qu'avant.

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