Une
histoire d'autrefois... ça se passait dans les années
30, 32, à peu près. C'était dans les
pentes
[les rampioles],
pas les "carcagniaules" de Maurice [Maurice
Brunel]
mais enfin pas bien loin. Alors c'était le Baptiste.
Il avait une petite ferme.
Il avait six vaches ; il y en avait deux de dressées.
Il avait une jument parce qu'il avait quelques bonnes "cartonnées"
[la cartonnée = environ un are] de
vigne, du gamay. Il faisait du bon vin. Il en vendait quelques
"cempotes" [la
cempote = environ 100 litres]
à un "gavot"
de Chalmazel qui aimait le bon vin.
Il
avait un garçon, une espèce de grand "gougnant"
[garnement].
Et il [le
garçon]
avait un copain, le voisin, qui était son conscrit.
Alors, lui, c'était un "ratajé"
[?],
mais il n'en manquait pas une, de sottises. Et ils s'entendaient
tous les deux pour faire des blagues [...?].
Alors
arrive le moment des vendanges. Il avait fait une bonne
vendange, le Baptiste ; il était content. Il avait
tiré sa cuve ; ça avait bien pissé.
Alors, il était allé chercher le pressoir
du Marius. Ce Marius, il n'avait pas de bétail pour
le traîner, ce pressoir, alors il [Baptiste]
était allé chercher les boeufs du voisin,
qu'il
[le voisin]
avait achetés à la Bouteresse, qui étaient
plus costauds que ses deux vaches.
Et alors ils installent le pressoir dans le cuvage et nos
deux garnements qui étaient par là, qui tournaient.
[Il dit ?] à son Jean-Marie : "Va-t-en donc
aider ta mère qui ramasse les derniers "carentins"
[ancienne variété de pois]. Il avait mis
des carentins à la fin de l'été.
Ils étaient bien [franc] jolis. Ils
n'avaient pas du tout de maladie. Et c'était bien
bon, à ce moment, de cueillir des carentins
si tard. Et il y avait même encore quelques "calabres"
[autre ancienne variété de pois].
Parce qu'il faut vous dire que le Baptiste était
un petit peu proche de ses intérêts. Il était
un peu "tâte-cul de poule" [pour savoir
si la poule a pondu] alors il n'aimait pas trop donner
l'argent de la récolte, de [...?], de son
vin, de son bétail. Alors la Génie [Eugénie]
se débrouillait. Si elle voulait acheter quelques
belles affaires, parce que, bon, pour Pâques, les
femmes, à cette époque, s'habillaient toujours
bien. Alors ça lui faisait quelques sous. Elle ramassait
des calabres, des carentins en premier puis
les calabres et elle les portait à Champdieu,
chez Job, à cette époque. C'était pas
encore Dubreuil qui ramassait ça. Alors ça
faisait quelques jolis petits sous.
Alors,
en attendant, ce jour ils pressaient
[la vendange].
Il a bien dit au Jean-Marie d'aller lui aider, à
sa mère mais il n'a pas obéi, évidemment.
Il y avait le copain ! Alors ils s'arrêtent. Ils ont
poussé la barre
[du pressoir].
Eh hardi ! Eh hardi ! Eh hardi ! Et puis, bon, ils se sont
arrêtés un moment et ils sont allés
dans la cave [...]
enfin
les hommes... Ils se rendaient bien le temps à cette
époque. Alors ils sont allés boire un canon,
[du
vin] de
la saison passée, bien entendu.
Alors
le petit "raquazé", ce Tonin, il dit au
Jean-Marie :
- Oh ! la la ! On va se faire rire, va.
- Et qu'est-ce que tu veux faire encore ?
- Viens seulement.
Ils ont ramassé une "gandole" [un mauvais
récipient métallique] dans la cour. Ils
y ont fait pisser du vin "bourru" [qui venait
d'être tiré]. Puis ils sont passés
par le talus entre les noisetiers et les osiers et ils sont
allés chez la Julie.
La Julie c'était une vieille fille qui avait appris
le métier de tailleuse. Mais quand ses parents avaient
été morts, elle avait gardé les chèvres
; ça fait que, maintenant, elle ne faisait presque
que du raccommodage. Et elle livrait son raccommodage au
bourg dans une maison où il y avait beaucoup d'enfants.
Alors elle avait tout le temps du travail.
Alors ils l'avaient vu partir, en vélo, avec sa balle
[de linge].
- Oh ! la la ! La Julie est partie, viens seulement.
Alors ils vont vers les chèvres. Ils ouvrent le
bouc [l'étable du], du "brequïn"
et ils lui font boire ce vin. Eh ! bon sang ! il l'a trouvé
bon. Et puis ils ont dit :
- On va rigoler, on va voir ce qu'il va faire.
Mais tout d'un coup, ils n'ont que vu la Julie qui arrivait.
Oh ! la ! ils se sont sauvés. Ils ont même
laissé la gandole. Ils n'ont pas eu le temps...
Alors
la Julie, elle range son vélo, tout ça. Puis,
après, elle va sortir ses chèvres qu'elle
voulait mener un petit peu dans les pentes, hein ! Et elle
voit ce bouc. Et elle dit :
- Mais qu'est-ce qu'il a ce bouc ?
Il
faisait des sauts ! Et puis, tout d'un coup, il s'est écroulé
[aclapé]
comme
une bouse. Et impossible de le faire bouger !
- Oh ! la la ! Mais qu'est-ce qui lui arrive ?
Alors,
elle va chez le Baptiste et lui dit :
- Oh ! la la ! mon bouc est malade. Je ne sais pas ce
qu'il a. Tu veux pas venir voir ?
Alors le Baptiste est venu. Oh ! il a vite compris. Il a
dit :
- Ton bouc, ce n'est pas qu'il est malade, c'est qu'il est
saoûl. Il est en train de ronfler.
- Mais,bon sang, qui est-ce qui l'a fait boire ?
- Qu'est-ce que tu penses ? C'est ces deux garnements [charipes].
Va-t-en les rattraper ! Mais, sûr, ils entendront
parler de moi.
Oui,
mais les charipes étaient partis, hein , tous
les deux !
Et il a compris parce qu'il avait vu la casserole qui
avait encore un peu de vin au fond. Alors il lui dit :
- Mais ne tire pas peine Julie, tu n'as pas à te
casser la tête, parce que, quand il sera dessaoulé,
tes chèvres seront bien contentes parce qu'il sera
encore bien plus "arbirou" [courageux,
plein d'allant] qu'avant.
