Patois vivant





Noël Durand

 

Noël Durand

(patois de Marcoux)
Enregistrés
aux Trois-Noyers (Marcoux) le 8 avril 2011

La renaissance de Goutelas



pour écouter cliquer ci-dessous

(11 min 48 s)

 

Parler de l'histoire du château de Goutelas, ce n'est pas bien facile et pourtant le château, l'église, ç'a toujours vécu tout ensemble. C'était tout imbriqué l'un dans l'autre. Les gens avaient affaire au châtelain. Ça se passait tout à l'église quand il y avait des réunions à faire, à l'église ou après la messe qu'ils y faisaient. Les mairies n'existaient pas, enfin c'était comme ça.

Le dernier seigneur qu'il y a eu à Goutelas - il s'appelait François (1) -, il a été fusillé à Feurs en [17]94, juste après la Révolution. Alors de ce temps il y a quelques histoires qui restent. D'abord, il commençait à y avoir un petit peu de récriminations, des histoires avec les gens. Il y avait une année les gens du seigneur n'étaient pas venus chercher la vendange. Et au bourg, il y avait une famille, les Duclos, c'était un peu des fortes têtes, pas des fortes têtes, mais c'étaient des gens qui avaient un peu de caractère. Il [le seigneur] n'était pas venu chercher la vendange, ils versèrent les bennes par terre. Mais le dimanche d'après, aussi, ils étaient attachés au carcan. Ce n'est pas méchant le carcan, c'est un machin, un pilori… ils étaient attachés et les gens les voyaient. Ce n'était pas méchant. On ne leur faisait pas des misères. Enfin, c'est pour dire.

Et puis ces Duclos, à la Révolution, au moment de la Révolution, ils avaient peur - au milieu du bourg il y avait une grande croix -, ils avaient peur qu'ils viennent, les révolutionnaires, démolir la croix. Ça s'est passé à d'autres endroits d'ailleurs. Alors un soir, ces Duclos qui arrivaient de piocher leurs vignes, je ne sais pas quoi, ils virent les gens qui étaient autour de la croix. Ils dirent :

  • Qu'est-ce que vous allez faire ?
  • On a peur que les révolutionnaires viennent et on va rentrer cette croix. Mais c'est qu'elle est lourde.

Ils dirent : allez, [tu vas voir ?]. Ils attrapèrent cette croix. Ils les aidèrent. Ils descendirent, d'un seul bloc. Ils rentrèrent ça dans leur cave. Elle resta jusqu'à ce que la Révolution fut passée. C'est pour dire que ça n'allait pas toujours tout seul avec le seigneur.

Ah ! bon, il fut fusillé. Mais aussi il y avait toujours un peu de relation. Il y a une famille […?], ils étaient allés vendre des pommes à Feurs et ils étaient allés le voir. Il paraît qu'il n'était pas désagréable. Il s'appelait François Papon de… Il en recrutait toujours [des noms]. Son ancêtre s'appelait Papon. Il y avait un autre ancêtre qui venait de la Lozère, de Montmars. Alors c'était de Papon de Montmars de Goutelas. C'est étonnant qu'on ne lui ait pas mis de Montaubourg (2). Enfin c'était comme ça. Alors ils étaient allés le voir. Il avait dit : Non, non, mais je crois que… - il paraît que ce n'était pas le mauvais diable - mais je crois qu'ils vont bientôt me relâcher, ils n'ont rien trouvé contre moi. Mais ils n'avaient pas passé le pont sur la Loire qu'ils entendirent qu'ils entendirent une fusillade. Le François, il passa, avec les autres, l'arme à gauche.

C'est pour dire que ç'a toujours été un peu… Alors, bon, il était mort ce François. Et alors le château fut mis sous… – je ne sais pas comment ça s'appelait à l'époque – enfin il ne fut pas vendu parce que s'il avait été vendu ce serait terminé, quand c'était vendu il n'y avait rien [à faire]. Il fut mis – ils appelaient ça – sous séquestre, je crois. Alors il avait une nombreuse famille et, entre parenthèses, il avait son frère qui s'était marié avec une de ses nièces – c'est bien comme ça ? C'était des affaires qui étaient un peu "emmanchées" dans ces familles. Alors dès qu'il y a eu la Révolution, ils avaient admis le divorce. Ils se dépêchèrent de divorcer pour pouvoir supprimer ça, d'être obligé de se marier avec, je ne sais pas quoi, avec sa nièce.

Il restait deux filles […] et il y en a une qu'ils appelèrent la "dame noire". Les gens du pays la connaissaient comme la "dame noire". C'était une chanoinesse, de Leigneux. Elle se promenait… Elle est morte dans la misère à Paris. Elle avait une sœur, mais elle, elle était partie, je ne sais pas où, dans la Lozère… Et le seigneur se promenait à cheval… mais, elle, elle se promenait sur un âne. C'était la misère. Ce n'était pas bien brillant.

Et le château, petit à petit, après, ç'a toujours été en déclinant. Après le dernier qui fut de la famille, plus ou moins directe, c'était de Campredon qui était maire de Marcoux, qui a fait pas mal parler de lui. A Marcoux c'est lui qui était maire […?]. Ce fut vendu […?] mort sans postérité, comme on disait. Ce fut vendu au tribunal de Montbrison.

Alors après c'est des "bourgeois" d'Usson, les Lagnier, qui achetèrent ça. Ils n'y venaient que de temps en temps. Je ne sais pas bien pourquoi ils avaient acheté ça. Ils étaient d'Usson-en-Forez.

- Ça devait être pour le terrain ? [intervention de Mme Durand]
 
Ils avaient acheté tout le domaine… Après ce fut la décadence continuelle. Il y avait des fermiers qui s'appelaient B. Alors le B., lui, la religion ne devait pas bien le gêner, il enfermait les porcs dans la chapelle. Authentique ! Après ce B., il alla habiter - il n'y avait personne - , il alla habiter dans le château, carrément. Il était le chef. C'était la décadence, quoi. Alors le [B ?], il était un peu le patron. Bon, mais tout ça a une fin, il arriva un moment où il fallait bien que ça se vende. Et en 1920, ça se vendit. Et le notaire - ç'a avait été en vente pendant la guerre de 14 et il ne s'était pas trouvé d'acquéreur et puis ce n'était pas recherché à ce moment ; les gens n'avaient pas bien envie d'acheter des domaines – alors ça se vendit… le notaire qui le vendait "calcula" son affaire. Il dit : je vais faire des lots, comme ça les paysans ça leur fera moins grand. C'est comme ça que mon oncle acheta le terrain pour faire une vigne qui est sous le château. Et puis le notaire lui dit : M. Guyot, il reste le château, il y a un hectare six ; ça coûte je ne sais pas combien. - Oh ben ! il dit… Et il l'acheta. Il y avait des locataires. Mais mon oncle c'était un vieux garçon, il n'y a jamais fait faire des réparations et les locataires y sont restés jusqu'à un peu avant la guerre [de 1939-45] et ils s'en allèrent. Il n'y avait pas l'électricité, il n'y avait pas l'eau [courante]. Alors après ç'a été le déclin.

Alors moi, bon, j'avais hérité – il n'avait jamais été marié cet homme – c'est moi qui avais hérité mais j'étais plutôt embarrassé de ça. Qu'est-ce que ça allait devenir ? Je voyais bien que c'était envahi par les ronces, ça allait tomber. Et c'est là qu'en 1961, il y a 50 ans, il y a qu'un beau jour, un jeune de Marcilly, pas de Marcilly, il était avocat à Lyon mais sa famille était de Marcilly, [arriva] avec le curé, le curé Dumas, tous deux. J'étais à l'étable en train de traire les vaches. Alors ils me dirent :

- Qu'est-ce tu veux en faire de ton château ?

- Eh ben, je n'en sais rien.

Alors ils me proposèrent… Eh bien je dis : il n'y a qu'à y aller. Eh  ben ! tant pis… Parce que je n'avais pas bien envie de le vendre parce que quand c'est vendu… Tous gens de Marcoux, tout le temps, ça s'est trafiqué [tout le monde venait]… vers ce château. Les anciens combattants y avaient fait une kermesse en 1920, les jeunes y avaient fait une fête en 1951. Il y avait toujours eu des relations avec le "pays" [le village]… Alors si ça s'était vendu - d'abord, ceux qui l'auraient acheté, l'auraient-ils démoli, l'auraient-ils restauré, qu'est-ce qu'ils auraient fait ? – de toute façon, ils auraient fermé les portes : "défense d'entrer". Moi, j'aurais bien voulu que ça reste au pays. C'est pour ça que ce que Bouchet (3) proposa ça m'a plu. Et je dis : Eh ben ! allez il n'y a qu'à y aller. Ça fera ce que ça fera.

C'était un petit peu, c'était un petit peu hasardeux parce que faire des trucs comme ça, il y avait des frais quand même. Enfin, petit à petit, Bouchet et ses amis surent bien entraîner des gens alors petit à petit ils surent mettre le système en marche et petit à petit ça s'est restauré. Ça n'allait pas toujours tout seul mais enfin… Ils ne se brouillèrent pas entre eux parce qu'ils auraient pu se chamailler et puis ç'aurait été terminé. Ça continua et les gens de Marcoux y allèrent. Et puis, maintenant, c'est bien. Je suis bien content dans le fond. J'y ai passé de bons moments parce que ça me plaisait bien d'aller voir les gens, de travailler un peu. Bien sûr il y avait des corvées mais après il se buvait quelques canons… Des moments, le soir, il y avait un casse-croûte… On discutait avec les autres. Moi j'aimais bien, même que j'allais y passer un peu trop de temps d'ailleurs parce qu'une fois mon vétérinaire qui s'appelle […?] me dit comme ça : Au lieu d'aller faire le singe à Goutelas, tu ferais mieux de t'occuper un peu de tes affaires… Enfin c'est comme ça. J'ai passé de bons moments là-bas, le château est réparé. Il est resté à la commune, il est resté au pays. On est bien contents, aussi bien l'un que l'autre [les époux Durand].

 

 
(1) Philippe-François du Cros Papon de Montmars exécuté à Feurs en février 1794.
(2) Petit éminence dominant le château de Goutelas.
(3) L'avocat Paul Bouchet, l'un des principaux acteurs de la renaissance du château de Goutelas, cf. l'ouvrage de Maurice Damon, Goutelas par lui-même, mémoire intime d'une renaissance, publication de l'université de Saint-Etienne, 2006.

 

 

 

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