Les farces
du Joanny
Le Joanny
et le Nonor. En prenant des années la Phrasie [Euphrasie]
était devenue pénible. Pour le comprendre, il faut
dire qu'elle n'avait pas eu d'enfants. Soi-disant que son Joanny
il avait pris les oreillons au régiment et qu'il n'avait
pas été soigné comme il faut. Elle avait
donc porté son affection sur toutes les petites bêtes
de la ferme. Elle dorlotait toujours quelques poussins, [
?]
Elle avait toujours la mue [jabiole
(1)]
autour du poêle parce que la chaleur, disait-elle, est le
meilleur des remèdes. Elle avait même gardé
un chevreau [
?]
à la cuisine et quelques lapins qui avaient le gros ventre
[lo
boge].
Un jour
la truie [caille] avait fait une portée [éna
nia]
de petits porcs. Il y en avait treize et, bien sûr, il n'y
avait que douze tétons. Elle s'aperçut que le dernier
[le
retiolon : le dernier, le plus faible]
crevait de faim. Il prit le [
?],
le poil tout droit. Il n'était plus [
?].
La Phrasie voulut donc l'élever au biberon. Mais les petits
cochons ont les dents pointues et, ce petit vorace, il perçait
toutes les tétines en caoutchouc. Elle mit donc du lait
dans un bol et le lui fit sucer avec un doigt, comme un chevreau
qu'on veut garder mais le bol devint vite trop petit. Le petit
porc en mettait de partout ("bassouiller"),
il fallut prendre un petit seau. A partir de ce moment il fut
sauvé [échape].
Il se mit à grossir ["profiter"]
tant et mieux. Soigné et pouponné comme un bébé
[mami],
le petit porc était toujours à la maison. Elle l'appelait
le Nonor et il savait bien son nom. Il était affectueux
comme tout, et il avait de l'intelligence [éme]
ce petit porc, tout plein. Il venait vous manger dans la main.
Il montait sur les chaises. Il suivait la Phrasie de partout même
quand allait dans les terres ramasser des pissenlits ["barabans"]
dans les prés. Il lui frottait les jambes, et comme il
avait le nez froid, ça la chatouillait. Elle était
contente, son Joanny n'en faisait pas autant.
Et puis
un jour le Nonor prit un refroidissement [éna
refrezia].
Il se plaignait des reins, le poil tout droit, il ne pouvait plus
marcher et n'avait plus voulu manger à midi. Affolée,
la Phrasie le bouchonna avec de l'arquebuse. Elle le porta à
la chambre après l'avoir bien empaqueté avec des
guenilles. Et même, elle avait pris le tricot du Joanny.
Elle se disait : la chaleur lui fera du bien et si ce soir il
ne va pas mieux, je lui ferai des cataplasmes de moutarde.
Le cochon
était tout content. Il avait l'air de comprendre qu'il
fallait qu'il se tienne tranquille. Il poussait des petits grognements
et il regardait la Phrasie avec des petits yeux amoureux. Et puis,
bien réchauffé, il ne tarda pas à s'endormir.
Toute contente la Phrasie alla ramasser de l'herbe pour ses lapins.
Et puis voilà que vers les quatre heures le Joanny alla
manger une portion et boire un canon. Après s'être
bien rempli la panse, il alla à la chambre pour chercher
un paquet de tabac qu'il tenait au frais dans le fond de l'armoire.
Il était en train de chercher son paquet quand il entendit
: "hein, hein, hein". Le Joanny se leva [d'un coup?]
et il vit le Nonor qui dormait sur la descente de lit. Eh ben
! nom de goui ! Ce bougre de cochon, tu parles d'une frayeur qu'il
m'a faite ! Il regarda de plus près et il comprit que
c'était sa femme qui l'avait emmené ici. Eh ben
! bougre ! Et puis encore, [on
a pris ?]
mon tricot ! Eh ben ! pendant que tu étais après
t'avais qu'à le mettre dans le lit !
Et cette
réflexion lui donna une idée
de le mettre
dans le lit. Il prit le cochon et il le mit dans le lit, à
la place de la Phrasie. Regarde donc comme tu seras bien. Tu vas
t'endormir comme un petit ange. Et il le couvrit avec les draps.
Tout content de son coup il bourra sa pipe et il retourna [dans
sa terre ?]
arracher [des
?]
avec son "bigue (2)". Et la Phrasie revint de panser
ses petites bêtes. Elle but son café sans se presser
et mit cuire la soupe.
Tout d'un
coup elle pensa à son cochon. Ouh ! la la ! elle dit. Et
le Nonor ? Elle entrouvrit la porte de la chambre sans faire de
bruit au cas où il dorme toujours. Oh ! la la ! Malheur
de malheur ! le cochon ne dormait plus. Il était sur le
lit en train de tout ravager ["mouger"
: fouiller avec le groin]
les draps. Il en avait déchiré un et avait tout
foutu en l'air. Mais le pire de tout c'était l'odeur !
Ça sentait mauvais ["embouconner"]
à s'en bouger le nez. Et puis, dis donc, il avait laissé
des souvenirs parfumés de partout. Et le plus gros morceau,
il était sur la coiffe [ou
bonnet de nuit ?]
de la Phrasie ! Devant ce désastre elle se mit à
pousser des hurlements : Oh ! la la ! le bougre de saligaud !
Qu'est-ce que tu n'as pas fait dans mon lit ! Tout en criant elle
prit le Nonor à brassée et le mit dehors. Comme
elle le serrait sur le ventre il me mit à pisser tout son
saoul sur le tablier de la Phrasie. Il y en avait une pleine chambre
!
Juste
à ce moment, le Joanny, qui guettait de loin, arriva avec
son "bigue" sur l'épaule et il prit un air innocent.
Oh ! ben, Phrasie, qu'est-ce qui arrive ? Y a-t-il le feu dans
la cheminée ? La Phrasie balança le porc dans
la cour. Le feu ! le feu ! C'est bien pire que le feu, je ne
sais pas qui a laissé la porte ouverte mais cette vermine
de cochon est monté sur le lit et a chié partout.
Le Joanny
prit le fou rire [
?]. Et il pensa : Ah ! Tu ne veux pas
me dire qui l'a mis dans la chambre, eh ben, moi, je ne vais pas
te dire qui l'a mis dans le lit. Mais comme il ne se sentait
pas la conscience bien tranquille, et que la Phrasie était
tout ennuyée, il prit le parti de la calmer :
- Allons, allons, femme, ne te retourne pas les sangs de cette
façon. Il a beau avoir de l'intelligence [d'éme],
un porc est un porc, hein ! Et quant aux draps, ça te
fera l'occasion de les laver. Et puis mon tricot aussi, hein.
Depuis six mois qu'ils sont au lit, les draps, ils commencent
à sentir le renfermé [fagana
(3)].
Et tout
est bien qui finit bien. Depuis ce jour la Phrasie ne laissa plus
le Nonor mettre les pieds à la maison.
(1) Cf. jabiôla : cage à poulet, Louis-Pierre
Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(2) Bigue : pioche à trois dents ; cf. bigot, Louis-Pierre
Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(3) Fagana : odeur de linge sale ; cf. aussi Louis-Pierre
Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.