Patois vivant


Nicolas à la foire de la Saint-Blaise

 

Nicolas à la foire de la Saint-Blaise

à Pouilly-lès-Feurs


Damien Ruffier

(patois des montagnes du Matin)

enregistré au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant le 3 février 1999
au Centre social de Montbrison, 13, place Pasteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(10 min 9 s)

Présentation du récit (en français) par Damien Ruffier ( 36 s) :

Je suis de la campagne... La foire de la Saint-Blaise, sabots et "bartasson"...



La foire de Pouilly du 3 février. La veille de la Saint-Blaise, la foire de Pouilly, le pauvre Nicolas, des Crêtoux, de Civens, dit à sa femme, la Phrasie [
Euphrasie] :

- Demain j'ai envie d'aller à la foire.
- Qu'est-ce que tu vas allé traîner là-bas ? Te saouler encore, je parie.
- Mais tu sais bien que je ne bois plus depuis que le médecin m'a défendu le vin rapport à mes douleurs. Je veux acheter deux paires de sabots : une paire à bride et une paire de "bartasson". Ils sont bien moins
chers que dans les magasins et je les aurais à meilleur marché.
- Oui, oui, oui ! tâche moyen de revenir en ribote et je t'enverrai coucher à l'étable des porcs.
- N'aie pas peur, Femme ! N'aie pas peur ! Je te jure que je ne boirai pas plus d'une bouteille.

Le lendemain, le pauvre Nicolas, il fit son pansage [
le soin au bêtes] de bonne heure ; il prit sa blouse neuve et son bâton et il s'achemina du côté de Pouilly. Il faisait bon, un froid sec et le pauvre Nicolas qui n'avait pas ses rhumatismes ce jour-ci, il marchait comme un jeune qui va "fréquenter". Arrivé à Pouilly il alla tout droit vers les marchands de sabots qui se tiennent à côté de l'église.

Ah ! c'était pas les sabots qui manquaient ! Il y en avait en fayard, en verne [
aulne], en peuplier, en noyer. Il y en avait de toutes les sortes, de toutes les grandeurs et de tous les prix. Le pauvre Nicolas, il se chicana au moins deux heures avec les marchands. Les sabots avaient des noeuds, ou bien avaient des fentes. Les uns étaient trop lourds, les autres étaient trop légers. Il y en a qui lui faisaient mal aux orteils, les autres lui écorchaient la cheville. Les "bartassons" lui faisaient mal au coup de pied. Et surtout ils étaient trop chers. Pensez donc, une paire de sabots en noyer quatre francs et dix sous ; ça ne s'était jamais vu ! Enfin, à force de discuter, de marchander, il finit par faire le marché. Il paya. Il attacha ses sabots deux par deux. Il les mit sur l'épaule : une paire devant et les bartassons derrière.

Et juste comme il allait partir plus loin vers la foire [quelqu'un] lui tape sur l'épaule et lui dit :

- Mais c'est le pauvre Nicolas ! Tu ne me reconnais pas.

Après hésitation, le pauvre Nicolas :

- Ah ! C'est le Marius. Ils se mettent à rire. Ils se serrent les mains tous les deux à n'en plus finir. Il y a bien longtemps que nous ne nous sommes pas vus.
- Oh ! il y a au moins dix ans.
- Oh ! non, il n'y a que cinq, six ans.


Ils étaient aussi têtus l'un que l'autre et prêts à se dire des sottises. Le pauvre Nicolas lui dit :

- Allons boire un canon, j'ai bien soif à force de piailler.

Le pauvre Nicolas paya un pot. Le Marius en paya un autre. Et ils discutaient, ils discutaient.

- Tu te rappelles quand on avait mis la Marie dans une "boge" [
sac de jute pour les pommes de terre] et le coup où on avait fait peur à la Tinette [Etiennette], le nez [...]. Et ils rigolaient. Voici qu'arrive un voisin au Marius qui alla payer son pot, et le Marius en paya encore un autre et encore une autre connaissance qui vint s'asseoir et payer son pot.

Mais c'est que les caanons commençaient à faire effet. Le Marius se mit à chanter la Marseillaise. C'était chez lui une maladie. Dès qu'il avait deux canons dans le fusil, il fallait qu'il chante la Marseillaise. Et le pauvre Nicolas dont la femme, la Phrasie, était de Cottance, a chanté :

A Cottance, les chèvres blanches
A Pouilly, les hérissons
...

Ce manège dura jusqu'à deux heures de l'après-midi mais quand il fallut se lever, eh bien, ça ne fut pas la même ! Enfin, tant bien que mal chacun s'en alla de son côté en se donnant rendez-vous à l'an prochain. Le pauvre Nicolas retrouva la route de Civens tant bien que mal. Il n'avait pas oublié ses sabots ni son bâton. C'était déjà bien. Mais le chemin était long, il lui fallait toute la largeur de la route. Et le pauvre homme s'arrêtait tout raide, et les sabots faisaient l'équilibre. Un coup en avant, un coup en arrière, la canne piquée en avant. Il faillit tomber au moins dix fois : ça faisait au moins dix ans qu'il n'avait pas été aussi saoul qu'aujourd'hui. Mais il s'en rendait compte. Les jambes se croisaient et il ronchonnait sans arrêt en se disant: eh bien ! gare ! la Phrasie.

Et puis tout un coup juste devant la ferme de chez P. il bute une pierre et tout droit au fossé. Et [
...] deux ouvriers charpentiers étaient en train de refaire un plancher à la ferme. Ils l'avaient vu venir :

- Ouh ! Il y en a un qui dit à l'autre, regarde donc ce qui vient de là-bas. [...] Il doit revenir de la foire. Il n'ira pas loin. Les jambes ne le suivent pas. Il en a plus qu'il ne peut en porter.
- Mais tiens, ça y est, il est au fossé
.

Au bout d'un moment, voyant qu'il ne se relevait pas, ils se dirent : oh ! Il nous faut aller le ramasser pour le mettre ici sur la paille. Au moins il dessoulera.

Ils vont le ramasser et le pauvre Nicolas s'était endormi et il ne se rendit compte de rien du tout. Impossible de le réveiller. Eh bien, ma foi, il n'y a qu'à le laisser cuver. Au bout de presque une heure [
un "bord d'heure"] il y en a un qui dit à l'autre : attends, on va lui faire une farce.

Il prit un bouchon, le bouchon du litre et avec son briquet, le fit brûler d'un côté et quand le bouchon fut bien charbonné, il alla s'accroupir à côté du pauvre Nicolas et, tout doucement, il se mit à lui savonner la figure, comme pour le raser, le front, les joues, le menton. Le pauvre Nicolas, deux ou trois fois, il fit bien un peu la grimace mais il ne se réveilla pas. Il aurait pu dire à un ramoneur : je suis plus noir que toi, sans se tromper. Il dormit comme ça jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Et quand il se réveilla il était presque nuit [à "bord de nuit"]. Un mal de tête épouvantable. Il ramassa ses sabots sans rien dire et reprit son bâton en se disant : eh bien ! gare à la femme. Il lui fallait encore une heure de trajet pour rentrer à la maison.

Et pendant ce temps la Phrasie avait fait le travail, allumé la lampe à pétrole, trempé la soupe. Et comme elle refroidissait elle se mit à la manger en ronchonnant :

Mais enfin qu'est-ce qu'il fait en chemin à cette heure ? Oh ! oui, oui, il sait bien partir mais pour revenir ! Pourvu qu'il ne soit pas trop saoul.

Elle avait à peu près fini de manger sa soupe quand elle entendit les pas de son vieux sur le chemin.

Le voici tout de même ! Oh ! Il accroche bien les pierres. Il ne doit pas être seul.

Eh ! j'arrive !
cria le pauvre Nicolas en ouvrant la porte. La Phrasie se [
ravisa ?], leva les yeux. Elle ne put rien dire en le ragardant. Elle se mit à gueuler : oh ! là, là ! mon Dieu. 0h ! là, là ! Mais c'est le diable.

Elle se cacha la figure avec les deux mains pendant que le pauvre Nicolas qui ne savait qu'en dire resta planté derrière la porte avec ses sabots sur les reins. Alors la Phrasie qui tremblait comme une feuille se mit à lui dire :

Sacré grand "brandel" ! Mais qui t'a mis dans cet état ? Sacré grand fainéant ! C'est le diable qui t'a barbouillé de cette façon !

Elle s'arrêta un moment et voyant que son vieux était aussi [étonné] qu'elle, elle ne comprenait rien. Elle s'approcha pour le regarder de plus près.

Sacré soulard de mandrin ! lui dit-elle, tu pues la vinasse à plein nez. Tu as encore trouvé le moyen de te saouler ! Regarde-toi dans la glace. Et puis fous-moi le camp te coucher à l'étable. Et tu te débarbouilleras demain.

Le pauvre Nicolas n'insista pas. Il repassa la porte et alla se coucher avec les deux vaches. Il n'avait rien compris. Il se passa la main sur la figure et se dit : Mais où j'ai bien pu prendre ça ? Le lendemain le pauvre Nicolas se débarbouilla. Il n'a toujours pas compris ce qui lui est arrivé. Mais la Phrasie a toujours cru qu'il l'avait fait exprès pour lui faire peur. Elle le mène encore plus dur qu'avant, son pauvre homme. Et pour comble de malheur ses rhumatismes sont revenus [...].

Ah ! Il s'en souviendra de la foire de Pouilly. Je crois bien qu'il n'y est jamais retourné.


Les marchands de sabots qui se tiennent à côté de l'église

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Damien Ruffier
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mise à jour le 28 janvier 2010