Patois vivant


 

La chèvre nommée

la Curate

 

La chèvre nommée la Curate

raconté par Joseph Couturier né à saint-bonnet-le-Courreau

enregistré au début des années 2000 au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison
, 13, place Pasteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(6 min 3 s)

(traduction : Joseph Barou)


L'histoire de cette chèvre est difficile à transcrire en français à cause du débit rapide du conteur et de son élocution. Il y a, semble-t-il, un mélange de plusieurs patois : montagnes du Matin et monts du Forez…

Mais cette chèvre-là [premiers mots en français], nous l'appelions la Curate (1). Baste pour son nom mais elle était vraiment spéciale, cette Curate, parce qu'elle avait de grandes cornes et surtout des grandes jambes. Des grandes jambes de derrière, et quand elle se levait elle tenait debout. Elle aurait pu aller dans un cirque parce que, avec ses jambes de devant elle amenait les fleurs des arbres fruitiers. Oh ! Grand-père, il faisait vilain, bon sang ! parce que mon grand-père s'appelait Pierre Meunier, Pierre-Marie "Porcuro" (2), qu'on l'appelait, de Germagneux. Et moi, on m'appelait le "dè", je ne sais pas pourquoi […?] jusqu'à quinze ans, environ.

Alors, cette chèvre - hum ! -, elle avait du lait, beaucoup de lait ! Et du bon lait. Et avec du bon lait, nous faisions de bons cabrions (3). La grand-mère faisait de bons cabrions. Eh ! par hasard, elle choisissait sa nourriture, attention, hein ! Pas de mauvais foin et de bonne paille pour faire du bon lait. Non, non, non ! Elle allait marauder, un peu partout, des fleurs, n'importe quoi… Hum ! Ça ne fait rien, ça payait quand même parce qu'elle faisait beaucoup de lait.

Et puis un jour, nous revenions "d'en champ" [du pré], avec ma tante, la Marie - et pour ceux qui connaissent Germagneux, il y a un bachat (4) en-haut, dans le hameau. Et puis les vaches buvaient en passant, en revenant quoi. La tante Marie me dit :

- Tiens, accompagne donc les chèvres jusqu'à la maison parce que les Porcuro habitaient en-bas du village, ça descendait. Alors elle me dit :
- Fais surtout bien attention à la Curate parce qu'elle a sauté dans le jardin de chez Labbe, elle a mangé les choux, cette garce.
- Alors, c'est bien, t'en fais pas !

Penses-tu, cette chèvre, bon sang, monte sur le talus, la voilà dans le jardin de chez Labbe. Bon sang ! Je pars à sa poursuite. Je dis :

- C'est pas parce que ce n'est pas ma tante, méfie-toi, je vais te rejoindre ! Surtout que c'est à la descente, un peu plus loin. Je l'aurai, sûr.

Et j'y allais ! … Je serai le maître, quoi !

Quand je suis arrivé au fond, il y avait une pierre [éna roche] qui était un peu plus haute que les autres, je m'affale… Oh ! Bon sang, je me suis fait mal ! Oh ! la la la la ! Les genoux tout en sang ! Parce que j'avais encore des culottes courtes en ce moment, j'avais pas de pantalon. Les larmes coulaient. […] Sur la place, il y avait 3 ou 4 "fillasses" [grandes filles] qui rigolaient. Parmi ces fillasses, il y avait une [fille] Couchaud. Vous connaissez les Couchaud ?
 - C'est ma tante [réponse d'André Guillot].

Ah ! C'est la tante à l'André, ah ! la la ! Il y avait la Jeanne P, la […] ; elles rigolaient, elles rigolaient :

- Il y a le "dè" de "chez Pierre Marie", il s'est cassé la gueule, quel con !

Eh ben, ma foi, - oh ! la la ! - la moutarde me monta au cerveau, mon vieux. Je ramassai deux ou trois cailloux […?].

J'entendis la porte de chez Mathevon qui se fermait : "Ran" ! Oh ! la la la ! Elles ont disparu. Je les voyais plus, quoi ! Mais figurez-vous - vous ne me croirez sûrement pas ? - la douleur avait disparu. Ça ne vous est jamais arrivé, à vous, ça. Eh ben ! oui. C'est bien comme ça.

Je rentre à la maison, j'explique mon histoire, quoi. La grand-mère me met un peu de je ne sais pas quoi sur les genoux. Ils me faisaient mal, bon sang ! […]

Et puis, le soir, au souper, la conversation revint à la table. Chacun voulait trouver une solution pour cette chèvre, quoi… Surtout les hommes. Le grand-père disait : il faut la saigner et en faire des saucissons. Il y a un oncle qui disait : il faut lui mettre un "talot (5)".

Vous savez ce que c'est qu'un "talot" ?
[l'assemblée répond : oui]

Bon ! J'insiste pas mieux [en français].

[reprise en patois]
Et puis un autre : il faut lui attacher une jambe de devant avec une jambe de derrière. Un autre : Il n'y a qu'à faire comme pour les chevaux lui mettre une grosse chaîne, quoi.

Une personne ne disait rien : la grand-mère. La grand-mère ne disait rien. Elle était vers le fourneau. Elle faisait cuire une platée de pommes de terre, vous savez bien. Alors, on avait toujours été en admiration. Comment elle faisait pour retourner sa poêlée de pommes de terre sans trop en faire tomber par terre ? Parce qu'il fallait avoir le coup, hein ! pour toutes les ramasser. Remarquez… Elle les ramassait… Il en tombait toujours par terre parce que les chiens […?] ramassaient les morceaux. Ça fait qu'il n'y avait jamais rien de perdu. Et puis, une chose, très simple, c'est que, tout le milieu de la cuisine, c'était propre comme un sou neuf. Où les chiens allaient, ils nettoyaient [?]. Alors je me dis : les femmes qui vont pour faire le ménage, elles n'ont qu'à faire suivre leur chien, quoi.

Bon ! La grand-mère, ça commençait un peu à lui monter au cerveau, elle aussi. Elle alla vers le placard, sortit un grand couteau pointu, bien emballé dans un journal. Elle prit le couteau qui servait à saigner le cochon, à couper le jambon… Elle apporta le couteau vers le [grand-]père. Elle dit :

- Saigne-la, saigne-la ta chèvre ! On le plaindra pas parce que le fromage j'en mange jamais. Ce n'est pas que je l'aime pas, je l'aime bien le fromage mais je l'aime quand il est bien fait, mais, ce bougre-là, il mange tout, il n'en laisse pas. Je n'y ai jamais droit. Quand arrive le fromage, vous en prenez la moitié de la main et un tout petit morceau de pain, alors il faudrait bien vous en fournir !

Alors elle lui dit :
- Saigne-la, ta chèvre ! Ça me donnera moins de travail, et puis je vous ferai du "piquant" !

Vous savez bien, le piquant ? (6) [en français]

Il y a une berthe (7) qui attend dans le placard.

Eh bien je vous dis que personne ne disait rien. On aurait entendu une mouche. Et, ma foi, la Curate, sursitaire ! Personne ne l'attaquait…

(1) La curate : dans le parler local désigne la bonne du curé.

(2) Surnom d'une famille de Saint-Bonnet-le-Courreau.
(3) Fromages de chèvre.
(4) Abreuvoir rustique.
(5) Talot : morceau de bois suspendu à une corde, que l'on attache au cou des porcs, des vaches pour les empêcher de vaguer (cf. L.-P. Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(6) Le piquant : fromage très fort, fabriqué avec des croûtes de fromage longuement macérées dans du vin blanc, de l'alcool et du bouillon de poireaux (cf. archives sonores : Viallard-Claude-01)
(7) Berthe : récipient pour le lait, en fer blanc, avec couvercle et anse (cf. Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural).

retour


Ecoutons
le patois du Forez




Patois du Forez


page accueil

mise à jour le 22 septembre 2019