enregistré au
cours d'une veillée
du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs
(début des années 1980)
pour écouter cliquer ci-dessous
(56 s)
La
quête du renard
Dans
nos montagnes du Forez, quand les chasseurs tuaient un renard
en automne ou en hiver sur la neige, ils font la quête ou,
s'ils sont un peu âgés, ils la font faire par des
jeunes. Ca m'est arrivé une fois. Mon frère et les
chasseurs du hameau tuèrent un renard dans le bois des
Peux (1). C'était au mois
de décembre et nous n'étions pas très pressés.
Ils me demandèrent si nous voulions faire la quête,
mon frère et moi. Les sous seraient pour nous. Nous ne
demandions pas mieux, cela faisait un peu d'argent de poche pour
sortir le dimanche.
Et nous voici partis à travers la commune, le renard en
bandoulière sur le dos, une ficelle reliait les pattes
de devant à celles de derrière. Nous commençons
par les hameaux les plus proches du bois du Puy, les villages
de Monate, de Loibe, de Bucherolles et de Germagneux.
Nous faisions cette quête pour nous faire récompenser
de ce que le renard ne mange plus les poules des villages des
alentours. Les gens n'étaient pas très généreux,
alors on avait peu de revenu dans les fermes. Les oeufs et la
pidanse (2) n'étaient
pas chers. Ils nous donnaient deux, cinq, dix et parfois vingt
sous. Ca ne faisait pas beaucoup d'argent, mais à force
de faire des portes, nous sommes arrivés à totaliser
cent francs chacun.
Quand on allait dans les maisons où il y avait des jeunes
filles il fallait faire attention à la queue du renard
parce que pendant que l'une venait coutarger
(3) l'autre passait par derrière et, avec des
ciseaux (4) la coupait. Après le renard ne pouvait plus
se vendre au marché, c'était la queue qui lui donnait
toute sa valeur. Une fois, les chasseurs de Châtelneuf faisaient
la quête comme ça. Une fille coupa la queue, ils
furent obligés de la coudre avec du fil pour pouvoir continuer
la quête.
Quand on passait dans le haut de la commune, on disait que le
renard avait été tué dans le bois de Chavanne,
et quand on passait vers Châtelneuf, c'était au mont
Semiol, et vers Sollègue (5),
à Rouille. Mais les chasseurs étaient bien au courant
et riaient dans leur barbe. Quand un renard était tué,
la nouvelle se répandait loin. La quête durait deux
ou trois jours. Heureusement c'était l'hiver, car le troisième
jour c'était tout juste si ça ne sentait pas le
faisandé à force de le porter sur le dos à
la chaleur du corps.
Cette fois-là, ça m'arrangeait bien. Ca me fit de
la monnaie pour faire le Grand Samedi
(6) qui se trouvait le samedi suivant. Aujourd'hui les renards
ne se vendent plus. Il faut seulement porter la queue au garde-chasse
pour avoir une prime.
(Patois
Vivant, n° 12, mai 1983)
(1)
Les Peux,
au-dessus du hameau de Planchat.
(2) Pidansi : les petits
produits de la ferme (beurre, fromage...).
(3) Coutarger : bavarder
en plaisantant.
(4) Ciseaux : tozouére
en patois.
(5) Sollègue : hameau
de la commune de Châtelneuf.
(6) La
foire de Noël,
à Montbrison.