Patois vivant



La quête du renard


Jean Chambon

 

La quête du renard

Jean Chambon

(patois de Saint-Bonnet-le-Courreau)

enregistré au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs
(début des années 1980)

pour écouter cliquer ci-dessous

(56 s)

La quête du renard

Dans nos montagnes du Forez, quand les chasseurs tuaient un renard en automne ou en hiver sur la neige, ils font la quête ou, s'ils sont un peu âgés, ils la font faire par des jeunes. Ca m'est arrivé une fois. Mon frère et les chasseurs du hameau tuèrent un renard dans le bois des Peux (1). C'était au mois de décembre et nous n'étions pas très pressés. Ils me demandèrent si nous voulions faire la quête, mon frère et moi. Les sous seraient pour nous. Nous ne demandions pas mieux, cela faisait un peu d'argent de poche pour sortir le dimanche.

Et nous voici partis à travers la commune, le renard en bandoulière sur le dos, une ficelle reliait les pattes de devant à celles de derrière. Nous commençons par les hameaux les plus proches du bois du Puy, les villages de Monate, de Loibe, de Bucherolles et de Germagneux.

Nous faisions cette quête pour nous faire récompenser de ce que le renard ne mange plus les poules des villages des alentours. Les gens n'étaient pas très généreux, alors on avait peu de revenu dans les fermes. Les oeufs et la pidanse (2) n'étaient pas chers. Ils nous donnaient deux, cinq, dix et parfois vingt sous. Ca ne faisait pas beaucoup d'argent, mais à force de faire des portes, nous sommes arrivés à totaliser cent francs chacun.

Quand on allait dans les maisons où il y avait des jeunes filles il fallait faire attention à la queue du renard parce que pendant que l'une venait coutarger (3) l'autre passait par derrière et, avec des ciseaux (4) la coupait. Après le renard ne pouvait plus se vendre au marché, c'était la queue qui lui donnait toute sa valeur. Une fois, les chasseurs de Châtelneuf faisaient la quête comme ça. Une fille coupa la queue, ils furent obligés de la coudre avec du fil pour pouvoir continuer la quête.

Quand on passait dans le haut de la commune, on disait que le renard avait été tué dans le bois de Chavanne, et quand on passait vers Châtelneuf, c'était au mont Semiol, et vers Sollègue (5), à Rouille. Mais les chasseurs étaient bien au courant et riaient dans leur barbe. Quand un renard était tué, la nouvelle se répandait loin. La quête durait deux ou trois jours. Heureusement c'était l'hiver, car le troisième jour c'était tout juste si ça ne sentait pas le faisandé à force de le porter sur le dos à la chaleur du corps.

Cette fois-là, ça m'arrangeait bien. Ca me fit de la monnaie pour faire le Grand Samedi (6) qui se trouvait le samedi suivant. Aujourd'hui les renards ne se vendent plus. Il faut seulement porter la queue au garde-chasse pour avoir une prime.

(Patois Vivant, n° 12, mai 1983)


(1) Les Peux, au-dessus du hameau de Planchat.
(2) Pidansi : les petits produits de la ferme (beurre, fromage...).
(3) Coutarger : bavarder en plaisantant.
(4) Ciseaux : tozouére en patois.
(5) Sollègue : hameau de la commune de Châtelneuf.
(6)
La foire de Noël, à Montbrison.


Qui était Jean Chambon ?
Jean Chambon (1915-1994)

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mise à jour le 24 septembre 2010