Patois vivant

 

Le moulin à huile des Massons


Souvenirs de Jean Chambon

 

Le tré d'iolou de vé Mossou
(Le moulin à huile des Massons)


Jean Chambon

(patois de Saint-Bonnet-le-Courreau)

enregistré en 1979 au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs

pour écouter cliquer ci-dessous

(8 min 40 s)

Aux Massons, où je suis né, il y avait une grosse maison où il y avait toujours quatre hommes et trois femmes à travailler. Il y avait tellement de bâtiments qu'on aurait dit un hameau. Ce village se trouve le long de la grande rivière qui s'appelle le Vizézy qui sépare la commune de Roche de celle de Saint-Bonnet, entre les hameaux de Fraisse et de Courreau.

Ici, entre les deux guerres, il y avait un moulin à huile qu'on appelait un tre d'iolou qui tournait à l'eau. Toutes les maisons de Saint-Bonnet, de Roche et de Châtelneuf venaient faire de l'huile aux Massons. Les gens portaient un bichet (1) de graines de colza et une cantine (une sorte de bidon en fer-blanc avec une poignée pour le porter), d'autres avaient une petite bonbonne empaillée avec de l'osier.

Ceux qui venaient d'un peu loin arrivaient avec le cheval et le char à bancs, d'autres avec le tombereau, et les plus proches venaient à pied avec le sac sur le dos attaché bien long. Derrière c'était le colza et devant c'était la cantine qui pendait. Il y en a aussi qui arrivaient avec un bât.

Dans toutes les fermes situées en dessous de mille mètres on semait pour les besoins de la maison une, deux ou trois cartonnées (2) de colza qu'on moissonnait à la faucille au mois de juin. On mettait les gerbes en meule pour qu'elles sèchent bien et s'il pleuvait beaucoup le colza moisissait et ça donnait un goût de moisi à l'huile.

Certaines fermes dans le bas de la commune de Saint-Bonnet et de Châtelneuf cultivaient dix ou quinze cartonnées de colza pour la vente. C'était dans les entrecôtes qu'on faisait le colza qui avait le plus de rendement.

Parfois, aux Massons, se trouvaient trois ou quatre clients en même temps. C'était le premier arrivé, bien sûr, qui passait d'abord. Il y avait aussi aux Massons une grande écurie pour les chevaux de ceux qui attendaient leur tour.
Dans les maisons, on mettait la cantine dans un dépôt ou un grenier. On venait en tirer avec une bouteille et, au fond de la cantine, il y avait toujours un dépôt d'huile qui s'appelait la poutole. On le récupérait dans une boîte de fer-blanc et on s'en servait pour graisser les chars.

Pour faire cette huile de colza, il fallait une demi-heure au moins pour un bichet qu'on appelait une serrée et qui rendait à peu près quatre ou cinq litres. La turbine d'eau, c'était une roue en fer qui avait des palettes tout autour, tournait à l'horizontale comme une toupie (3). Sur un côté arrivait l'eau qui descendait de la retenue (4) par une sorte de conduit en bois, grand au départ et qui allait sur la roue en se resserrant. La cave où arrivait cette eau s'appelait la
rouétéri, où il y avait une vanne de fermeture commandée du moulin à huile.

Pour faire l'huile il fallait monter le colza sur le dos au premier étage par les escaliers. Il fallait faire bien attention de ne pas glisser dans les escaliers parce qu'ils étaient graisseux. Il fallait être deux hommes, le patron et le petit valet. Le patron faisait d'abord passer le colza entre deux cylindres d'acier. Il fallait ouvrir la vanne presque à fond pour que les cylindres tournent vite. Le colza écrasé tombait dans un grand
bachat en pierre peu profond et bien rond. Dans ce bac après le cylindrage tournait une grosse meule en pierre qui finissait d'écraser le colza. Alors il fallait ouvrir la vanne à fond parce que la meule était lourde. Il ne fallait pas qu'elle tourne trop vite car ça éparpillait le colza à travers le moulin. La serrée d'avant était en train de cuire dans une grande chaudière en fonte qui chauffait au bois et, le plus souvent, avec des déchets de bois qui venaient de la scierie qui tournait à côté. Dans cette chaudière tournait, en même temps que la meule, des palettes qui raclaient le fond pour empêcher le colza de coller au fond et de brûler.

Au bout de vingt minutes, c'était cuit. Il fallait arrêter l'eau
[fermer la vanne] et mettre le colza qui était cuit dans le pressoir en fer massif bien enveloppé de couvertures faites de crins, couvertures très épaisses. Au-dessus du pressoir, il y avait une grande roue dentée avec une vis au milieu. On faisait décoller cette grosse roue à la main autant qu'on pouvait serrer (il y avait des poignées en dessous pour forcer à la main). Quand nous ne pouvions plus tourner à la main, il y avait une petite roue dentée qui s'enclenchait sur la grande. On ouvrait la vanne et une courroie entraînait tous ces engrenages jusqu'à ce que la courroie patine. Après il fallait finir le serrage en montant à une grande roue qui avait des bâtons tout autour comme une roue d'écureuil, jusqu'à ce que le poids du valet ne puisse plus faire tourner cette grande roue. Et l'huile sortait par un trou sur le côté du pressoir.

Quand ça ne coulait plus, il fallait desserrer mais ça faisait moins forcer. Le restant du colza après avoir rendu l'huile s'appelait le maton que le client emportait dans le sac qui lui avait servi pour apporter le colza. Mais avant de donner le maton à son propriétaire le petit valet le rognait, enlevait les bavures tout autour. Ces bavures restaient au moulin à huile et le patron s'en servait pour abreuver le bétail des Massons. Quand on rognait ce maton le client nous regardait de travers, c'était autant qui ne rentrait pas dans son sac pour faire des lavailles (5) pour abreuver
[les bêtes].

Je me rappelle que le prix de la
serrée était de quarante sous (6), après il passa à cinquante puis à trois francs.

Quand il n'y avait pas de client, nous faisions de l'huile pour vendre en ville le samedi. Donc le samedi il fallait se lever de bonne heure pour faire manger les chevaux, le
Mousse et le Kaki, deux braves bêtes qui étaient attelées de front à un grand char à bancs. Dans ce char à bancs il y avait quatre grands bidons de cinquante litres pleins d'huile, une dizaine de matons à vendre au marché, le panier à pidanse (7) qui contenait le beurre, le fromage et les oeufs, et toutes les serrées qu'on avait montées le samedi précédent du marché où mon grand-père avait une place à l'angle de la place de la Mairie et de la rue Victor-de-Laprade. On prenait les serrées de tous les environs.

Donc, à midi, le grand-père et la grand-mère mangeaient au restaurant en ville. De même, il y avait beaucoup de paysans qui en faisaient autant, ils ne partaient qu'à quatre heures pour remonter.

Quand, avant de souper, nous entendions le bruit du char derrière la maison tous les hommes se levaient pour aller dételer les chevaux et décharger le char qui était rempli de sacs de colza et de serrées de tous les clients qui avaient une étiquette avec leur nom et le sac marqué au crayon encre. Pour les chevaux, le vendredi, on bourrait deux grandes boges (8) de foin avec le pied pour que ça fasse moins de volume.

(extrait de Jean Chambon, "Ceux de Saint-Bonnet", Village de Forez, septembre 1979)

(1) Un double décalitre.
(2) Une cartonnée, ancienne mesure agraire : environ 1 000 m2.
(3) Toupie : pèro viro en patois.
(4) L'onchiozo (l'enclôse) : retenue d'eau d'un moulin.
(5) Les lôvaille (lavailles) préparées pour le bétail avec de l'eau tiède, du son...
(6) Quarante sous valent deux francs.
(7) Provisions.
(8) Boge : sac grossier en toile de jute.


Une meule
du tré d'iolou de vé Mossou


Qui était Jean Chambon ?

Jean Chambon (1915-1994)

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mise à jour le 20 janvier 2010