Patois vivant

 

Antoinette Meunier

 

Le pan an famiye d'otré vé
Le pain en famille autrefois


Antoinette Meunier
(1901-1988)
née avant la Grande Guerre à Verrières

(patois de Verrières)


enregistré au cours d'une veillée patois à l'automne 1976
au Centre social de Montbrison, rue des Clercs

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 1s)

Le pan an famiye d'otré vé

Kant'éran piti dïn notro famiye
Katre garsou è katre fiyé,
Notrou paron, de bravou payizan,
Trimèvon pa ne z' élevè.
El'éron ma rich'on mouénè
E po nou douna la bekè
Fouyi souvon fére le pan.
Ayan bouon apetye, è ch'ol'ère pa blan,
Notrouon pan gri l'amèvan byan.

Ye me rapèl ékelou sé de vèye,
Nou betèvan an rouon tout'otour de la mèye
Pa sugna lou paron kant'é féjion le pan.
Pa nou, ouère ina mèrvèye
Ke vayi be la télé de notrouon ton.

Ou fouyi d'abor amena le levan
è pé ïn chodrouon d'éga choda.
Ina seyè de farena pa ina seyè d'éga.
N'on fouyi kouonta tan ke ne fouyi de pan,
Ena grossa pugna de sè, è pé fouyi tou mélanjè.

Apré mouon pére se troussève lé manjé
E o pétri la pèta on fézan: "Han é han !"
Kan ouère byan pétri, on se raklan lou dé,
O féji por dessu ïn gran signe de kroué.

Le londeman madjïn fouyi tourna pétri
On fézan onkèro : "Han è han !"
E apré dïn la madjinè, ma mère pregni lou payè,
Lou soupoudrève de farena,
A ! é ne kragni pa sa pena.

Do ton ke le four chofève,
Avé de grandé flamé de gro fago de pïn,
Lé man djïn le pétrin, de la pèto é fourmève
De grosse bulé k'apré é l'aplati,
Lé betève dïn lou payè
On lou karéssan tour a tour avé ino pugnè de farena.
E lou betève proche do four pa ké finyéssouon de levè.

E kan le four ère byan cho, le fago figne de brulè,
Raclève lez'éflour avé'na granda rakla,
E avé ino pato mouliè é figni de le néteyè.
Apré, su ina granda pal'on bouè,
D'ïn ko de man adré, féji glissa lou pan
E pé léz'onfournève an byan lez'atéran
Po ké tenézouon tou, é sorève le four.
Fouyi pa louin d'in uro po ké sézon byan koué.

A ! ke vou chïnti bouon kokou mouman apré
Kant'é sortyon do four, kroustiyan, byan doro.
N'on koupavon de pèr kol'ère onkèro cho.
N'i betavan de bure on nou lichan lou dé,
Ouère ena gourmandjize kan le bure ère fré !
Ou de bouné tortchiné de jelé d'ampoua,
Ou be dez'érèlé k'ayan amasso dïn lou boué.
Ah ! byan sur, notrouon pan, kat'o vegni la fïn,
O l'ère pa che bouon, ol'ère ïn po rache.

De vé, mouon père o l'ayi pa le ton de refére en'otro fournè,
Alor, ché le véjïn n'alavan onprïntè
Ena tourto ke lou rondjan apré,
Fouyi be s'ontrédè.
Ouère on famiye dïn le vyalaje è lez'u lez'otrou s'édan,
Tan ke n'ayi de pan dïn lou mouénaje
E de blo o granyé èran tou byan kountan.
Le gaspiyavan pè koumo vé oro é fan.

E kan, lou sé, davan ke s'alè jére,
Nou betavan a jané onson pa la priyére,
Demandavon o bouon Dyo le pan de chake jour,
Alor n'y ayi ïn sans. Ont'é souon kelou jour ?...

Le pain en famille autrefois

Quand nous étions petit dans notre famille,
Quatre garçons et quatre filles,
Nos parents, de braves paysans,
Trimaient pour nous élever.
Ils n'étaient riches que d'enfants.
Et pour nous donner la becquée
Il fallait faire souvent du pain.
Nous avions bon appétit, et si il n'était pas blanc,
Notre pain gris, nous l'aimions bien.

Je me rappelle de ces soirs de veillée,
Nous nous mettions en rond autour de la maie
Pour voir les parents quand ils faisaient le pain.
Pour nous, c'était une merveille
Qui valait bien la télé de notre temps.

Il fallait d'abord apporter le levain
Et puis un chaudon d'eau chaude,
Un seau de farine pour un seau d'eau.
Il fallait en compter autant que de pains,
Une grosse poignée de sel, et puis il fallait tout mélanger.

Après notre père se retroussait les manches
Et il pétrissait la pâte en faisait : "Han et han !"
Quand c'était bien pétri, en se râclant les doigts,
Il faisait par-dessus un grand signe de croix.

Le lendemain matin, il fallait recommencer à pétrir
En faisant encore : "Han et han !"
Et après dans la matinée,
ma mère prenait les paillats (1),
Les saupoudrait de farine,
Ah ! Elle ne craignait pas sa peine.

Pendant que le four chauffait,
Avec de grandes flammes de gros fagots de pin,
Les mains dans le pétrin, avec de la pâte il formait
De grosses boules qu'après il aplatissait.
Il les mettait dans les paillats
En les caressant tour à tour avec une poignée de farine.
Et les mettait près du four pour qu'ils finissent de lever.

Et quand le four était bien chaud, les fagots finis de brûler,
Il râclait les cendres avec une grande râclette,
Et avec un chiffon mouillé il finissait de nettoyer.
Après. avec une grande pelle en bois,
D'un coup de main adroit, il faisait glisser les pains
Et puis les enfournait en les rangeant bien
Pour qu'ils tiennent tous, et il fermait le four.
il fallait près d'une heure pour qu'ils soient bien cuits.

Ah ! Que ça sentait bon un moment après
Quand ils sortaient du four, croustillants, bien dorés.
Nous en coupions des tranches alors qu'ils étaient encore chauds.
Nous y mettions du beurre en nous lèchant les doigts,
C'était une gourmandise quand le beurre était frais !
Ou de bonnes tartines de gelée de framboises,
Ou bien d'airelles que nous avions ramassées dans les bois.
Ah ! bien sûr, notre pain, quand venait la fin,
Il n'était pas aussi bon, il était un peu rassis.

Parfois, mon père n'avait pas le temps de refaire une fournée,
Alors, chez le voisin, nous allions emprunter
Une tourte que nous leur rendions ensuite,
Il fallait bien s'entraider.
C'était en famille dans le village et les uns les autres s'aidant,
Tant qu'il y avait du pain dans le ménage
Et du blé au grenier nous étions tous bien contents.
Nous ne le gaspillions pas comme on fait aujourd'hui.

Et quand, le soir, avant d'aller se coucher,
Nous nous mettions à genoux ensemble pour la prière,
Nous demandions au bon Dieu le pain de chaque jour,
Alors il y avait un sens. Où ils sont ces jours ?...

(1) Corbeilles presque plates en paille de seigle.


Four à pain (Monts du Forez)

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mise à jour le 16 janvier 2010