Eh
bien ! voilà, il y a bien longtemps de ça, je
suis née à Saint-Laurent, une petite commune
du canton de Boën. C'est une commune qui n'a pas bien
d'habitants mais qui est bien grande. Et c'était au
hameau [vialage]
de Chadenat et, dans la maison, il y avait déjà
pas mal de gamins parce que j'étais la septième.
Alors il y avait du monde à la maison pour m'accueillir.
Et après c'était
bien gentil dans le hameau mais il faut aller à l'école
à Saint-Laurent et le bourg était un peu loin.
Il fallait commencer à six ans, sept ans à peu
près. On y allait à pied, bien sûr, il
n'y avait pas de ramassage en ce temps [sézon
: année, an, temps
].
On n'avait que des sabots pour y aller. Et puis l'hiver il
y avait de la neige, nous prenions des galoches montantes.
La semelle était en bois mais la tige était
en cuir. Il y avait des lacets [de
yan] pour attacher.
On n'avait pas de manteaux ni de bottes. On avait des vestes
de laine. Et puis il y avait des congères, "des
moments" pour descendre alors il fallait passer par la
terre parce que le chemin était bouché. Et puis
sur la croix de la Valette il y avait trop de verglas [ia
: verglas] c'était
tout gelé. Il fallait passer par le bois de pin [lo
garnasse], au-dessus.
Alors ça faisait un peu plus loin. Et puis il fallait
traverser le Champ de la Grive, comme on l'appelait.
Et puis arrivé à
l'école, bien sûr, il n'y avait que les filles,
les garçons étaient à part. C'était
chauffé avec un poêle au lieu de la classe. Pendant
les récréations on allait sur la place de l'église,
il n'y avait pas de cour. Et il y avait un préau qui
était
Il y avait des tuiles dessus, un toit [cuvère]
mais c'était l'ancien cimetière, ce coin et
il n'avait pas été cimenté. Il n'y avait
que de la terre, par terre. Souvent, en jouant, on trouvait
des morceaux d'os qui étaient ressortis, ce n'était
pas rare. Il y avait des bancs pour s'asseoir tout autour.
Ce n'était pas comme
aujourd'hui, pas du tout "la même". Quand
il y avait des baptêmes, la semaine, madame Bonnefoy
qui nous faisait l'école nous laissait sortir pour
aller ramasser les dragées, ou à un mariage,
à la récréation pour ramasser les dragées.
Et puis, le soir, il fallait
remonter. Il fallait une heure pour remonter. Et comme c'était
loin et que l'hiver c'était l'heure du soleil il fallait
partir à trois heures et demie de Saint-Laurent pour
arriver avant qu'il ne fasse nuit à Chadenat. Mais
on n'était pas lasses en arrivant mais contentes de
s'amuser, de faire pas mal de choses. Il fallait faire les
devoirs avant, bien sûr.
Et puis après, une
fois que j'ai été grande, il fallait travailler
à la ferme. On n'a pas bien travaillé dur mais
c'était pénible : s'occuper de beaucoup de choses,
s'apprendre à traire, commencer par les chèvres,
après les vaches. Et puis il fallait garder les brebis,
garder les vaches. Alors il fallait aller "en champ",
un peu loin, par des terrains pentus [rampioles],
pas très commode tout ça. Je me rappelle un
jour, j'ai eu peur. Il y a une vache qui était tombée
dans un "gourd (1)" de la rivière. J'avais
peur de me faire disputer. Et puis il n'y eut pas de mal.
Ça se passa comme ça. Et puis, une fois grande,
il fallut partir pour nous, parce qu'on avait acheté
des machines [agricoles]
pour travailler. Mon père avait acheté une lieuse
pas une lieuse, une moissonneuse mais il n'y avait pas de
lieuse alors, [pour]
les filles, il fallait lier les javelles par derrière.
Et puis après mon
frère s'est marié, tout ça, alors je
suis partie. Et j'ai continué ma vie ailleurs
Pour les récréations
on n'avait pas grand-chose pour jouer. On avait des cordes
à sauter. Et puis on faisait des rondes. Et puis on
jouait à la "patte à cacher" comme
on disait. Et on allait se cacher, des moments, dans la cour
de chez Millet, derrière les grandes portes. On ne
nous voyait pas, là. Et puis on avait plus le droit
d'y aller parce qu'il y en a une qui s'était fait accrocher
par une voiture, un jour, en traversant. Alors la place de
l'église fut coupée en deux, il n'y avait plus
que le devant de l'école. On n'avait moins de place.
Autrement on n'avait pas bien de jeux, bien sûr. Ça
n'existait pas tout ça [les
jeux d'aujourd'hui].
Enfin on trouvait toujours le moyen de s'amuser un peu.
On mangeait dehors tant
qu'il faisait beau temps, sous le préau. Quand il faisait
trop froid, l'hiver, on mangeait dedans, dans la classe. On
mangeait froid tous les jours, il n'y avait rien pour faire
chauffer. C'était toujours à peu près
"la même", toujours les mêmes choses,
et puis la portion de dix heures, la portion de quatre heures
qu'on mangeait en remontant, le soir. Mais c'est loin tout
ça. Ça rappelle beaucoup de choses.
Puis après, si on
devait passer le certificat, il fallait aller en pension parce
qu'elle n'en amenait pas [au
certificat], madame
Bonnefoy. Elle apprenait à coudre, à tricoter,
à faire le ménage, à faire la cuisine,
mais l'instruction, il ne fallait pas aller trop loin. Elle
n'était pas bien sévère, on était
bien avec elle. Elle nous [em]menait
promener de temps en temps jusqu'à la Roche [
?]
quand il faisait beau. J'y suis restée de six ans jusqu'à
onze ans. Puis après je suis partie à l'école
de Leigneux pour prendre le certificat, avec d'autres qui
étaient à l'école avec moi, en même
temps. Il y avait beaucoup de monde à Leigneux, bien
sûr. C'était un grand pensionnat qui marchait
très bien, à ce moment. Il y avait "du
monde" de Lyon, - d'Alsace je me rappelle -, et puis
d'autres de Say (2), de Boën. Ça allait tout à
Leigneux à ce moment. Et puis il fallut revenir à
la maison pour travailler, bien sûr.
(1) Gourd : creux profond dans une rivière,
cf. Louis-Pierre Gras, Dictionnaire du patois forézien,
1863.
(2) Hameau de Marcilly-le-Châtel.