Patois vivant


Souvenirs d'école

Anna Reboux

 

Souvenirs d'école

racontés par Anna Reboux (née en 1922)
enregistrée
le 7 juin 2013, à Montbrison

(patois de Saint-Laurent-Rochefort)

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 49 s)

Eh bien ! voilà, il y a bien longtemps de ça, je suis née à Saint-Laurent, une petite commune du canton de Boën. C'est une commune qui n'a pas bien d'habitants mais qui est bien grande. Et c'était au hameau [vialage] de Chadenat et, dans la maison, il y avait déjà pas mal de gamins parce que j'étais la septième. Alors il y avait du monde à la maison pour m'accueillir.

Et après c'était bien gentil dans le hameau mais il faut aller à l'école à Saint-Laurent et le bourg était un peu loin. Il fallait commencer à six ans, sept ans à peu près. On y allait à pied, bien sûr, il n'y avait pas de ramassage en ce temps [sézon : année, an, temps…]. On n'avait que des sabots pour y aller. Et puis l'hiver il y avait de la neige, nous prenions des galoches montantes. La semelle était en bois mais la tige était en cuir. Il y avait des lacets [de yan] pour attacher. On n'avait pas de manteaux ni de bottes. On avait des vestes de laine. Et puis il y avait des congères, "des moments" pour descendre alors il fallait passer par la terre parce que le chemin était bouché. Et puis sur la croix de la Valette il y avait trop de verglas [ia : verglas] c'était tout gelé. Il fallait passer par le bois de pin [lo garnasse], au-dessus. Alors ça faisait un peu plus loin. Et puis il fallait traverser le Champ de la Grive, comme on l'appelait.

Et puis arrivé à l'école, bien sûr, il n'y avait que les filles, les garçons étaient à part. C'était chauffé avec un poêle au lieu de la classe. Pendant les récréations on allait sur la place de l'église, il n'y avait pas de cour. Et il y avait un préau qui était… Il y avait des tuiles dessus, un toit [cuvère] mais c'était l'ancien cimetière, ce coin et il n'avait pas été cimenté. Il n'y avait que de la terre, par terre. Souvent, en jouant, on trouvait des morceaux d'os qui étaient ressortis, ce n'était pas rare. Il y avait des bancs pour s'asseoir tout autour.

Ce n'était pas comme aujourd'hui, pas du tout "la même". Quand il y avait des baptêmes, la semaine, madame Bonnefoy qui nous faisait l'école nous laissait sortir pour aller ramasser les dragées, ou à un mariage, à la récréation pour ramasser les dragées.

Et puis, le soir, il fallait remonter. Il fallait une heure pour remonter. Et comme c'était loin et que l'hiver c'était l'heure du soleil il fallait partir à trois heures et demie de Saint-Laurent pour arriver avant qu'il ne fasse nuit à Chadenat. Mais on n'était pas lasses en arrivant mais contentes de s'amuser, de faire pas mal de choses. Il fallait faire les devoirs avant, bien sûr.

Et puis après, une fois que j'ai été grande, il fallait travailler à la ferme. On n'a pas bien travaillé dur mais c'était pénible : s'occuper de beaucoup de choses, s'apprendre à traire, commencer par les chèvres, après les vaches. Et puis il fallait garder les brebis, garder les vaches. Alors il fallait aller "en champ", un peu loin, par des terrains pentus [rampioles], pas très commode tout ça. Je me rappelle un jour, j'ai eu peur. Il y a une vache qui était tombée dans un "gourd (1)" de la rivière. J'avais peur de me faire disputer. Et puis il n'y eut pas de mal. Ça se passa comme ça. Et puis, une fois grande, il fallut partir pour nous, parce qu'on avait acheté des machines [agricoles] pour travailler. Mon père avait acheté une lieuse… pas une lieuse, une moissonneuse mais il n'y avait pas de lieuse alors, [pour] les filles, il fallait lier les javelles par derrière.

Et puis après mon frère s'est marié, tout ça, alors je suis partie. Et j'ai continué ma vie ailleurs…

Pour les récréations on n'avait pas grand-chose pour jouer. On avait des cordes à sauter. Et puis on faisait des rondes. Et puis on jouait à la "patte à cacher" comme on disait. Et on allait se cacher, des moments, dans la cour de chez Millet, derrière les grandes portes. On ne nous voyait pas, là. Et puis on avait plus le droit d'y aller parce qu'il y en a une qui s'était fait accrocher par une voiture, un jour, en traversant. Alors la place de l'église fut coupée en deux, il n'y avait plus que le devant de l'école. On n'avait moins de place. Autrement on n'avait pas bien de jeux, bien sûr. Ça n'existait pas tout ça [les jeux d'aujourd'hui]. Enfin on trouvait toujours le moyen de s'amuser un peu.

On mangeait dehors tant qu'il faisait beau temps, sous le préau. Quand il faisait trop froid, l'hiver, on mangeait dedans, dans la classe. On mangeait froid tous les jours, il n'y avait rien pour faire chauffer. C'était toujours à peu près "la même", toujours les mêmes choses, et puis la portion de dix heures, la portion de quatre heures qu'on mangeait en remontant, le soir. Mais c'est loin tout ça. Ça rappelle beaucoup de choses.

Puis après, si on devait passer le certificat, il fallait aller en pension parce qu'elle n'en amenait pas [au certificat], madame Bonnefoy. Elle apprenait à coudre, à tricoter, à faire le ménage, à faire la cuisine, mais l'instruction, il ne fallait pas aller trop loin. Elle n'était pas bien sévère, on était bien avec elle. Elle nous [em]menait promener de temps en temps jusqu'à la Roche […?] quand il faisait beau. J'y suis restée de six ans jusqu'à onze ans. Puis après je suis partie à l'école de Leigneux pour prendre le certificat, avec d'autres qui étaient à l'école avec moi, en même temps. Il y avait beaucoup de monde à Leigneux, bien sûr. C'était un grand pensionnat qui marchait très bien, à ce moment. Il y avait "du monde" de Lyon, - d'Alsace je me rappelle -, et puis d'autres de Say (2), de Boën. Ça allait tout à Leigneux à ce moment. Et puis il fallut revenir à la maison pour travailler, bien sûr.


(1) Gourd : creux profond dans une rivière, cf. Louis-Pierre Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.
(2) Hameau de Marcilly-le-Châtel.


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