lu
par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison en 2000
André
Berger, petit garçon
pour écouter cliquer ci-dessous
(4 min 6 s)
Les "champages"
de Savigneux. Ce brave Maurice Brunel a bien voulu expliquer ce
qu'étaient les "carcagniaules" d'Essertines. Moi,
je veux bien parler du "champage" et de ces chambons (1)
que j'ai bien connus et que j'ai bien travaillés quand j'étais
jeune. Ce sont de bonnes terres, grasses, qui ont de la valeur,
[venant] des montagnes du Soir et qui se sont déposées
chaque fois que le Vizézy débordait. Maintenant c'est
rare quand il passe à travers les terres, les prés
parce qu'il s'est creusé et que le syndicat du Vizézy
l'a fait arranger en enlevant les bancs de sable, en empierrant
les berges, [là] où il sautait.
Tous
les petits paysans de la ville, Montbrison, bien sûr, en avait
un morceau : les Vidrenne, les Franchisseur, Juban, Faure et les
demoiselles des Périchons, le père Marandon qui y
semait les "pesaces (2)" et bien d'autres
En
parlant du père Marandon, il y descendait de bon matin avec
son âne Frédéric et le chien. Parfois il y avait
la Rosine dans le char à bancs. Il avait de tout dans ce
jardin : un morceau de luzerne pour les lapins, un bout de froment
pour les poules, des choux, des salades - même les "hivernaudes"
(3) faisaient bien dans le temps. Pas de serre pour les faire pousser
et, les légumes, on les mangeait quand ils venaient. Il avait
beaucoup de pêchers, autant qu'il en sortait, autant il en
laissait. Et c'était tout rose au mois d'avril. Etaient-elles
bonnes ces pêches de vigne qui venaient au mois d'août
et au mois de septembre !
Il
y avait beaucoup de cabanes au milieu des terres et il s'en buvait,
des litres ! Et il se passait aussi des parties de fesses, quelquefois,
eh oui ! dans ces cabanes. Eh oui ! quand les femmes étaient
embauchées pour éclaircir les betteraves [betterave
: carotte en patois] ou désherber les collets-verts, ramasser
des pois. Les bonnes, de Montbrison, la Menie, la Peton, la Nini,
elles descendaient aux chambons du "champage" parce qu'il
y avait le saucisson et le canon. Les jours étaient longs
en été. Ils faisaient une sieste, couchés sur
la veste, l'après-midi.
Les
demoiselles des Périchons étaient propriétaires
d'un morceau où il y a, en ce moment, la station d'épuration.
De l'autre côté, du côté du Vizéy,
elles descendaient, par la route de Feurs, tous les après-midi,
leurs vaches avec le chien qui s'appelait Whisky, je me rappelle
bien. Voyez-vous les vaches marquer le stop en l'an 2000.
Je
me rappelle de beaucoup de pantomimes qui se sont passées.
On s'engueulait souvent dans les chambons pour des histoires d'eau,
tout. Et, ces trois vieilles filles, des nobles, n'étaient
pas dressées et, bien sûr, pas commodes. Il ne fallait
surtout pas mettre les pieds dans leurs terres. Oh ! la la ! Ah
! Bordel, une fois, elles se sont engueulées parce que N.
d'Ecotay, qui était jardinier à côté
de chez nous, a voulu couper court pour s'en aller. Oh ! les pauvres,
ils ont ramassé "par les oreilles" tous les mauvais
noms que je ne peux pas dire ici.
Il
s'en est sorti des charrées de betteraves, de collets-verts,
de maïs. Le barrage était en bon état, il y avait
de l'eau pour arroser les prés. Maintenant le barrage n'a
plus de plateau [?], les fossés ne sont pas faits
et sont comblés. Les petites terres ont disparu. Trois quatre
paysans sèment du maïs et du blé. Ils s'amènent
le matin avec le tracteur, la charrue [avec] trois quatre,
cinq socs et le soir il y a deux trois hectares qui sont semés.
Et plus personne dans ces champages qui faisaient le bonheur de
beaucoup de gens, il y a cinquante ans.
(1) Terrain d'alluvion sur les bords d'un cours d'eau,
limoneux et très fertile, cf. Louis-Pierre Gras, Dictionnaire
du patois forézien, 1865.
(2) Variété de pois.
(3) Variété de salade pour l'hiver.