lu
par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison au début des années
2000
André
Berger, petit garçon
pour écouter cliquer ci-dessous
(9 min 20 s)
Ce soir, je vais vous expliquer comment ça
se passait dans les camps de jeunesse, du temps de Pétain,
quand "les Frisous" occupaient tout le pays. Comme il
n'y avait pas de régiment [de service
militaire], le Pétain il avait inventé
qu'on devait faire, à la place, huit mois de camp dans la
montagne.
Pas d'armes, pas de fusils mais travailler à
couper du bois, faire des routes, arranger les chemins, faire des
stages pour les vendanges et même cultiver quelques parcelles
de terre. C'est ce qui m'est arrivé, à moi. C'est
pas bien loin de Clermont.
Les premiers jours de juillet 1942, il fallut
partir du côté de Messeix. Je suis tombé dans
l'équipe dont le chef était une [de
mes] connaissance[s].
Pour les gens de Verrières : Jean Faure ! Qui est-ce que
le connaît ? Il a mon âge. Non, il doit avoir 82 [ans].
Il attendait la "quille" [pendant]
encore quelques jours. Dans cette équipe il y avait quinze
anciens et trois "bleus", nouveaux. Alors, on en a bavé
la première nuit. Ils nous ont jetés du lit, passés
au polochon Parce que c'était la coutume quand arrivait
une nouvelle incorporation.
Le lendemain matin, une bonne nouvelle ! Les
chefs nous ont annoncé que les trois bleus de l'équipe
devaient monter à la ferme du Bialon et qu'on allait trouver
la bonne planque, qu'on avait, nous autres - comme ça se
disait à ce moment et que ça se dit toujours - le
cul bordé de nouilles. Eh oui ! les conversations volent
bas dans l'armée, même quand elle n'a pas de fusils.
Au Bialon, pas de chef, pas d'emmerdes, pas de
classes à faire, pas de marches de nuit. C'est une autre
connaissance qui est venu nous chercher avec le cheval et le char
à bancs. Oui, c'est André Michel, le zingueur de Montbrison,
le [son] père était maçon chez Dubost. Et il
nous a emmenés dans le petit hameau du Bialon où nous
sommes restés quatre mois, logés dans une vieille
bâtisse, une vieille ferme.
Nous nous sommes joints tous les trois aux anciens
qui avaient fait déjà quatre mois. Et au bout de deux
trois jours, plus tard, Durand, qui était un Berrichon est
allé faire le jardinier chez [...]. Je vous dirai qui c'est.
Mougeard est parti au peloton pour prendre du galon. Et moi, je
me suis retrouvé tout seul comme nouveau, eh oui, comme bleu.
Et j'ai compris que je devais conduire les deux tracteurs à
gazogène pour y défricher les communaux du hameau
et y semer des pommes de terre, de l'avoine, l'année suivante.
Content, bien sûr, une paire de bufs,
une jument, un brabant pour labourer, une faucheuse Puzenat, quelques
chars, je ne pouvais pas mieux tomber. Michel, de Montbrison, faisait
la soupe ; Barge, de Saint-Just-en-Bas, il s'occupait des bufs.
Et moi j'avais fait équipe avec l'Albert Daurelle de Saint-Jean-Soleymieux,
l'ancien maire. Oui. Il était sursitaire, il avait un an
de plus que moi. On défrichait la bruyère et les ajoncs
avec le tracteur [ ?] et le brabant [ ?]. La végétation,
il y avait de la végétation, bien sûr, elle
était coupée avec la faucheuse. Et on ramassait ce
qui avait été coupé (les
déchets : le z'ébourdji)
pour faire la litière [étarnir]
des chevaux des chefs qui étaient tous des militaires, sans
fusils, bien sûr, je le répète. Mais - on en
parlera à la fin, sûrement des résistants, on
l'a su plus tard, ça.
Dans le courant de l'été, il a
fallu traiter les pommes de terre - on avait des pommes de terre
-, moissonner au "volant (1)" une poignée d'avoine
et la battre, bien sûr continuer à labourer. Les paysans
nous voyaient mal parce qu'ils ne pouvaient plus mettre leurs vaches
à paître dans les communaux. C'était normal.
Au mois de novembre les anciens sont repartis chez eux et l'André
Berger est remonté au camp tout seul. J'ai pensé :
qu'est-ce qu'ils vont faire de moi pour les quatre mois qui restent.
J'ai couché une nuit dans la baraque de l'équipe hors-rang
- l'équipe hors-rang, pour les femmes surtout, j'explique,
c'était le vaguemestre, les cuisiniers, tous les planqués.
Et le lendemain il a fallu repartir en détachement. C'était
pas si mal que ça. C'est à T (?)
que nous nous sommes retrouvés, à l'école des
chefs de groupe. Ah, non, non ! pas pour faire un chef, non, non
! Il y avait Jean Chatut [?]
de Montbrison, Marius Favier [?]
de Prétieux [?],
Jean Chavaren de La Valla - Jean doit le connaître (2), le
danseur mondain comme on l'appelait.
Le chef Malville [?]
nous attendait à la gare de Clermont et à pied nous
sommes montés à Fontfrède [?]
tout à fait à côté du Puy de la Vache.
Nous y avons passé les quatre derniers mois, encore dans
une maison civile. Qu'est-ce qu'on y faisait à cette école
des grands chefs ? On a vu passer tous les grands pontes : le général
de La Porte du Theil, le chef de La Chapelle On faisait une
route pour desservir les baraques. Et comme ils passaient à
côté de nous autres qui creusions avec des pics et
des pelles, tout seul, le chef saluait ce grand monde. Nous autres,
on ne s'en occupait pas.
Il nous est arrivé un incident : les paquetages
n'avaient pas suivi et nous sommes restés presque deux mois
sans changer de vêtements ! Ah ! on ne sentait pas trop la
rose ! On se lavait, quand même, le nez et les pieds à
la fontaine du village. Les manches de la chemise s'étaient
déchirées et elles faisaient de bonnes chaussettes
russes. Mais c'est bon. On était à peu près
bien nourris et Bourge, Bourge de Sail - son père tenait
le barrage - qui est mort, il faisait le cuistot. Il se débrouillait
bien pour nous acheter des pommes de terre chez les paysans d'à
côté. Nous autres, on recevait des rutabagas et des
topinambours - il ne faut pas oublier - mais c'était les
cochons et les vaches des paysans qui les mangeaient et en compensation,
on achetait un peu de lait, et puis tout. Un jour les paquetages
sont arrivés et c'était bien le moment parce que j'avais
quelques copains qui marchaient sur la France (3). Il commençait
à ne pas faire chaud. C'était au mois de décembre.
J'ai un bon souvenir. C'est quand le chef Malville nous a fait apprendre
le Gloria in excelsis deo. Si, si, si. Qu'on a chanté
à la messe de minuit, dans la petite chapelle de Fonfrède.
Et quelque temps, trente quarante ans après Eh bien
! les filles du pays qui étaient qui avaient fait comme
nous autres, qui avaient pris de l'âge, s'en rappellent :
Gloria etc. Je vais pas vous chanter le Gloria.
Au mois de janvier, nous sommes partis en permission
de dix jours. Oh ! la la ! Ça filait pour descendre à
Clermont pour prendre le train pour Montrond. Nous sommes arrivés
à dix heures du soir. Nous avons fait les douze kilomètres
à pied, parce que, à vingt ans, pour rentrer chez
soi, ça ne [nous] faisait pas de peine. En 43, c'était
le moment le plus fort des restrictions : pas d'essence, pas d'auto.
Faire japper les chiens à deux heures du matin, réveiller
tout le monde, embrasser la famille, et après ouvrir la porte
du dressoir pour manger une part de saucisson, un morceau de chevroton
[fromage de chèvre],
le faire glisser avec un demi-verre de vin, ça c'était
quelque chose ! C'était à la maison.
La maman Marie me dit :
- Mais, tu sens mauvais. Je vais te laver
tes guenilles pour aller à la ville, demain matin.
C'était samedi.
- Ah non ! Je prends les affaires civiles, pas ces saletés
de guenilles vertes pour aller au marché pour voir les filles
et les copains. Non !
Il fallut repartir pour faire les deux mois qui
restaient. Et vers la fin du petit février nous sommes rentrés
à la maison, contents comme de grands hommes que nous étions
devenus.
[fin en français]
Je vous signale que trois mois plus tard, il fallut repartir en
Allemagne. Messieurs, dames, je vous remercie d'avoir bien voulu
m'écouter.
(1) Grande faucille.
(2) A l'adresse d'un des participants de la veillée : Jean
Chavaren, originaire de La Chamba.
(3) Qui avaient des chaussures trouées.