lu
par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison en 2006
André
Berger, petit garçon
pour écouter cliquer ci-dessous
(3 min 45 s)
Le Bialon,
un petit hameau du côté de Messeix (1), c'est le lieu
où j'ai fait les camps de jeunesse, en 42, pendant la guerre.
Nous étions dans une vieille ferme. Ils faisaient pousser
des pommes de terre, de l'avoine et un peu de foin pour donner à
manger aux chevaux et aux bufs qu'on attelait pour travailler
les terres. Bien sûr qu'il y avait des filles. Et comme, nous
avions vingt ans, on ne pouvait pas faire autre [chose] que
les regarder. Et si on allait - Monsieur le Curé [interpellation
à l'adresse d'un prêtre de l'assistance, ami du conteur]
- si on allait à la messe le dimanche, c'était plus
pour voir les "drôles" que pour prier le bon Dieu.
La plus jolie, c'était la Bernadette B.,
la fille de la grosse ferme d'à côté. Mais c'était
les gradés qui y allaient. Bien sûr qu'elle ne couchait
pas avec tout le monde. C'est sûr. C'était la maison
bien, qui avait beaucoup de bêtes. L'autre voisine, c'était
l'Armandine. Elle n'était pas mal, moins bien vêtue
que la Bernadette, une fille de paysan qui avait quelques vaches
et trois, quatre chèvres. C'est avec elle qu'on allait "donner
la main en champ les vaches" [aider à garder les
vaches] le dimanche après-midi.
On lui parlait de la vie de chez nous. Ça
faisait du bien de parler du pays, de penser à l'autre qui
était restée à Savigneux. Ça nous donnait
à réfléchir et on passait du caractère
de gamins à celui de vrais hommes qu'on allait devenir par
la suite.
Quelquefois, nous nous échappions, la
semaine, pour aller la voir. Ses jolis cheveux blonds sentaient
bien un peu la bouse mais pour moi, fils de paysan, je savais bien
que c'était normal de s'appuyer la tête contre le flanc
de la bête pour la traire. Elle recevait bien des coups de
queue, merdeuse, quelquefois. Oui, oui, oui ! Mais la maman préparait
la bassine d'eau chaude, le dimanche matin et elle allait à
la première [messe]. Monsieur le curé, la première
? [nouvelle interpellation à l'adresse
du prêtre de l'assistance ami du conteur]
Pendant ce temps, le corps, le joli corps de
l'Armandine, qu'on devinait la semaine, sous son tablier, le dimanche,
dans sa plus jolie robe, passait à l'ablution. Quelques gouttes
d'eau de Cologne faisaient la différence et elle partait
avec les copines à la "grande" [messe]
du village. Ce sont des bonnes [personnes]
ces filles de paysans ! Et comme disait la Mémé Henriette
- ma grand-mère c'était une Henriette, encore une
Henriette maintenant ! - il vaut mieux en prendre une comme ça
avec sa seule chemise sur le derrière qu'une de la ville
avec ses sous plein les poches.
Armandine, les après-midi de dimanche
nous étions plusieurs à t'accompagner "en champ".
Nous chahutions quand tu commandais ton chien : "Piqua-la
! Piqua-la !" Et quand il
avait fait son travail : "Grata saï ! grata saï
!" Tu étais bonne, sérieuse et bien gentille.
On savait bien qu'il ne fallait pas te toucher et, dans l'après-midi,
beaucoup de fois tu tirais ta robe sur tes genoux. Et nous autres,
nous devinions bien, nous n'essayions pas d'aller plus loin dans
ton domaine que tu as su garder vierge et que tu as donné
à celui qui t'a plu et que tu as aimé plus que les
autres...
[fin en français : 30 s]
(1) Commune du Puy-de-Dôme, arrondissement
de Clermont, canton de Bourg-Lastic.