Patois vivant



Colporteurs et vanniers

Souvenirs d'André Berger

 

Colporteurs et vanniers

(patois de Savigneux)

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison en 2006


André Berger, petit garçon

pour écouter cliquer ci-dessous

(7 min 2 s)


Vous, les anciens, vous rappelez-vous quand passaient de maison en maison des gens qui faisaient les paniers, aiguisaient les couteaux, les ciseaux ? D'autres réparaient les parapluies quand les baleines étaient cassées.

Il y en a un qui passait, je m'en souviens bien, avec une valise et qui vendait des produits pour soigner le bétail. C'était dans la plaine, c'était à Savigneux : le liquide météorifuge Ménard frères - je me rappelle bien de la marque. Les vaches, quand elles avaient trop mangé de trèfle, gonflaient. Et de la poudre [Ribou ?] pour mettre dans les poulaillers quand les poules avaient attrapé la grippe aviaire du temps passé et bien d'autres drogues pour frotter les bêtes qui avaient pris froid.

Le vannier, eh ! bien, dans l'hiver, le Chambeyron - c'était le nôtre - passait à la maison pour faire quelques corbeilles longues qui servaient pour décharger - des corbeilles bien longues - qui servaient à décharger les pommes de terre quand on vidait ["détrapper"] le tombereau sans en mettre la moitié par terre.

Quand il travaillait, il ne voulait pas que je regarde. Et je ne m'approchais pas trop près [de lui] parce que je risquais de ramasser un coup de "riôte" (long brin d'osier] par les jambes. Il était jaloux, cet animal. Le premier [panier] que j'ai fait ressemblait à ce "matru" [petit, chétif : français local] que j'ai fait hier. La femme va me l'apporter :

- Apporte-le-moi.

Je me suis manqué pour le faire parce que les brins d'osier ne valent… ne sont pas bons. Voilà [on montre un panier d'osier]. Je l'ai fait hier. C'est pour ramasser les œufs. Et le père, qui ne m'encourageait pas toujours, me dit qu'il [le premier panier d'André Berger] ressemblait plus à un nid de corbeaux qu'à un panier. J'avais à peu près dix-sept ans et le père faisait pousser - attention ! - sept cents à huit cents kilos d'osier ["ambre"], des "vorzines", des "riôtes" [variétés d'osier]. Les […?] étaient dans une terre qu'on appelait la Bileuse. Elle existe toujours. Elle est vers le golf, à côté du golf, elle touche au golf, le golf de Savigneux bien sûr. L'auteur de mes jours l'avait achetée pleine de chiendent [le "grame"]. Le propriétaire n'était pas bien "bileux" [actif, courageux]. Il avait un poil dans la main et c'est de là qu'est venu le nom [de la terre] qui est resté jusqu'à aujourd'hui.

Je parle maintenant du Jean Gatt. Ce Jean Gatt il achetait cet osier et il était bien [en bons termes] avec nous. C'était des braves gens. Je me rappelle que c'est moi qui ai mis la cocarde à la fille quand nous faisions la classe, avec cette précision : c'était le 12 février 1942 et il ne faisait pas chaud ce jour-[là].
Qu'est-ce qu'on en faisait ? Les plus longues "vorzines", les "riôtes", servaient à attacher les fagots - quand on tondait les arbres - pour faire chauffer la chaudière pour faire cuire les pommes de terre et les collets-verts. Il fallait bien donner à manger aux cochons.

Il se faisait des "jabioles" [mue : grande cage à claire-voie pour une poule et ses poussins]. Ces jabioles c'était pour confiner les mères poules [clousses] alors que les poussins pouvaient sortir sans aller bien loin. Est-ce que c'est vrai ? Oui, oui ! [réponse du public]. Il se faisait aussi de jolis paniers [à provisions] pour porter au marché les œufs, le fromage. Comment ça s'appelle aujourd'hui ? Les b.o.f. C'est bien ça ? Oui, il n'y a pas d'épicier ici ?

De la même façon, la maman Marie s'en servait pour acheter et mettre les épices, le café, la moutarde, le chocolat Pupier et d'autres choses et c'était au Caïffa ou au Zanzibar que ça s'achetait à cette époque. Qui est-ce qui se rappelle du Caïffa ?

Les petites branches de l'osier étaient mises en "revorse" [à demi enterrées] - ce n'est pas mon métier ça - les petites brindilles étaient mises en "revorse" dans le jardin. Elles devaient servir plus tard pour attacher les sarments dans les vignes qui étaient sur des fils de fer. Eh ! Ces 54 et ces 7 000 [noms de cépages], qui est-ce qui n'en a pas planté, il y a cinquante ans ? Tout le monde en avait. Et, comme disaient les ouvriers agricoles, ce vin de sept degrés, il ne faisait que pisser. Il fallait s'empiffrer deux ou trois litres pour être un peu éméché. Les gendarmes pouvaient toujours faire souffler…

Quand j'ai commencé mon métier de pépiniériste, dans les années trente-huit - ce n'est pas hier - j'en ai planté deux lignes dans une terre que j'avais louée au Bruchet, sur Moingt. Ils m'ont bien servi pour attacher les paquets d'arbres sur les marchés de Sury et de la "Ville" [Montbrison]. On en utilisait beaucoup de cet osier pour redresser les plants qui se tordaient dans les plantations. Et aussi pour attacher les paquets de rosiers et de petits plants [plançons]. Les petits plants, il y en avait cinquante à la fois… Eh oui ! Le temps a passé. Plus de soixante ans se sont écoulés et la façon de travailler a changé. L'osier a disparu et la ficelle de plastique a pris la relève.

Je pense à mon copain, le Paul Croix, qui était dans le même métier que moi. Il nous a quittés, il y a déjà quelques années, ce brave garçon. Bien jeune, il venait me voir, le soir, dans la maison de ma grand-mère. Avec moi, il a appris à les tresser les brins d'osier. Et il savait faire les paniers. Il était presque voisin, par ses grands-parents - le père et la mère Moulin - qui demeuraient chemin Bayard. Il arrivait après la soupe. Ils allaient chercher les filles, mes voisines. Je faisais couiner l'accordéon et nous faisions la pantomime jusqu'à très tard. Eh ! la la la la. Elles avaient de quinze à vingt ans et commençaient à "cachonner" par-devant et à prendre des petites meules par derrière. Eh oui ! en ce temps il ne fallait pas toucher, il ne fallait pas toucher, on ne pouvait pas toucher. Et ce n'était pas possible de passer la barrière des genoux, de passer la barrière des genoux. Oh non ! Jusqu'aux genoux, ça allait encore…

Ben ! Avec l'âge qui avance, et en ce jour, votre conteur a pris la nostalgie du bon vieux temps qui est bien passé, qui ne reviendra pas.


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Patois du Forez

Mise à jour le 1er mars 2013