Patois vivant



Le grand Samedi


racontée par André Berger

 

Le grand Samedi

(patois de Savigneux)

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison dans les années 2000


André Berger, petit garçon

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 8 s)


Le grand Samedi d'autrefois était la foire importante de l'année. Elle se passait le dernier samedi avant Noël. Ça commençait de bon matin et elle durait presque jusqu'à minuit. C'était le jour où les ouvriers, valets, servantes finissaient leur année de travail dans les fermes. Ils venaient de toucher la paye et étaient venus pour faire la fête et acheter quelques frusques. Pour beaucoup d'autres ils changeaient, ou pas, ou prenaient un autre patron.

La loue se passait sur le pont Saint-Jean. Elle durait tout le jour. Ils changeaient ou ne changeaient pas de patron, c'était selon comment ils étaient contents de la maison où ils avaient passé l'an. Les prix étaient bien discutés et les bons ouvriers étaient payés plus cher et c'était bien normal. La place Saint-Jean était bien occupée avec les manèges qui tournaient très tard, dans la nuit. Il y avait deux, trois bistros du coin ; ils étaient pleins de monde. Et il s'en buvait des canons ! Et se cassait la croûte ! Des canons, des canons ! Il n'y avait pas le whisky…

Dans l'après-midi, les plus chauds, - eh ben ! c'était normal -, les plus chauds cherchaient une "payse (1)". Après ils allaient danser chez Thévenon, rue du Marché. D'autres allaient au [bar ?] des vaches sur le boulevard. Dans la ville il y avait plus de camelots que d'habitude. Beaucoup de valets et de servantes achetaient ce qui était nécessaire durant l'année où ils allaient reprendre à travailler : les galoches, les sabots, ce qu'il faut pour s'habiller. D'autres passaient l'après-midi d'un bistro à l'autre. Et ils traînaient leur "cuite". Et ils se dégrisaient tout seuls sur place. Les inventions de l'an 2000 n'étaient pas encore inventées.

Et les patrons, et les patrons, eux ? Ils étaient privés de main-d'œuvre. Ils étaient obligés de se débrouiller tout seuls. Ma grand-mère, qui était patronne, me l'a expliqué beaucoup de fois. Il fallait se lever très tôt pour charger la nichée de petits cochons dans le char à bancs. Il fallait mettre le filet pour ne pas qu'ils sautent, charger le laitage, y mettre la volaille, les lapins et vite aller dételer la jument chez Dubuisson.

Le Pépé, il "donnait la main" [aidait] pour traîner ça sur les places du marché. Après il allait vers le bétail, sur le boulevard. Selon les jours il achetait ou il vendait. Il rencontrait les cousins, les beaux-frères. Ils vidaient quelques chopines chez le Toine Chassagneux - le bistro du Toine Chassagneux il était à l'entrée du géant Casino - et les autres bistros du boulevard. Et entre-temps il avait vendu la nichée de petits cochons.

A midi il retrouvait la Mémé. La Mémé, elle s'appelait Henriette. [Je ne sais pas] comment j'ai fait pour retrouver la même (2).

Où c'est ? Je ne vois plus clair [André Berger consulte un papier].

Chez Dubuisson, ils s'en allaient pour manger : du pot-au-feu, du plat de côte ave du gras et de la moutarde, du "chevreton "(3), café, et puis, bien sûr, l'indispensable gnôle. Dans l'écurie [étrable en patois, aussi bien pour les vaches que pour les chevaux] ils donnaient un seau d'eau à la jument qui avait mangé sa ration [un farasson] de foin. Ils attelaient le char à bancs et cette brave bête, qui avait bu de l'eau et qui n'était pas saoule, ramenait les patrons à la maison.


(1) Petite amie.

(2) Allusion au prénom de l'épouse d'André Berger : Henriette.
(3) Fromage de chèvre.

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Patois du Forez

Mise à jour le 19 février 2013