Patois vivant




Attelage de vaches

(dessin de Vincent Durand)

 

La jambe cassée

André Vial

(patois de Saint-Jean-la-Vêtre)

enregistré au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant

au Centre social de Montbrison, 13, place Pasteur le 6 février 2013

pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 7 s)


Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé quand j'avais douze ans. A cette époque mon père faisait bâtir [une maison] et, chez nous, nous faisions le mortier avec du "gore" (1), pas avec du sable. Ça fait que mon père attelait les vaches au char à deux roues [la chartuére] et on allait tirer du gore pour que les maçons puissent faire le mortier.

Et c'était une carrière à [la Suche?], donc[…?] une carrière. On piquait avec un pic (une marre) et on chargeait le gore sur la charrette. Ces carrières de gore, par-dessus le gore il y avait une épaisseur de terre, de déblai (de salouparia). Il y poussait des […?], des […?], des choses comme ça. Et les gens piquaient en dessous, et puis ils ne se cassaient pas la tête, celui qui venait après faisait tomber le dessus de la terre, quoi. Et ce jour c'était moi qui piquais. J'avais douze ans, mon père et mon oncle à côté de moi. Et ça s'est éboulé et ça m'a enseveli, quoi. J'ai été un peu écorché [égrogné], le nez, mais pas trop de mal. Et quand j'ai cru de me relever, ma jambe ne me tenait plus. Enfin, ils me chargèrent sur la charrette et puis quand j'arrivai chez nous, ma mère me dit : Nous allons te mettre de l'eau avec du gros sel dans […?] tu mettras tremper ton pied et tu verras ça te fera du bien, ça ira mieux.

Le lendemain, ça n'allait pas mieux. Ils dirent : Il faudra faire quelque chose. Ils me menèrent chez le rhabilleur [le rebouteux]. Mais le rhabilleur c'était à Vollore-Montagne (2), dix kilomètres plus haut que Noirétable. Je ne sais pas si vous connaissez. C'était un paysan qui s'appelait [Teyolle ?]. Alors il fallait trouver quelqu'un pour me transporter. Il n'y avait pas d'auto dans le hameau. Enfin mon père dit : On ira voir le Yusse (3). Le Yusse c'était un scieur, quoi. Il avait une scie [mécanique]. Tu l'as bien connu le Yusse ? quoi. Il sciait. A cette époque on sciait encore à l'eau, quoi. Il y avait une retenue d'eau [une enclose]. Il faisait, il faisait… Et ils me menèrent là-haut, à Vollore-Montagne. C'était un paysan qui s'appelait Teyolle. Il m'allongea sur la table. Il me tripota. Il dit : Ce n'est pas bien grave, c'est le péroné qui est cassé. C'était le péroné. Je vais t'arranger ça, dans trois semaines tu marcheras. Il découpa… il découpa des petites planchettes dans un cageot, un petit cageot. Il me banda bien avec une bande velpeau. Après il cassa deux trois œufs, [mit] le blanc d'un côté. Il y mit du plâtre dedans. Il m'emplâtra toute la jambe par-dessus le machin.

Et ça a bien guéri. Je ne sais même pas celle qui était cassée. Ça me gêne juste aujourd'hui pour courir les filles mais pas tant que ça.


(1) Gore : Terre provenant de la décomposition des roches cristallines (Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, Fayard, 1997).
(2) Vollore-Montagne, commune du Puy-de-Dôme.
(3) Sans doute le diminutif de Marius.


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mise à jour le15 février 2013