Quand
j'étais enfant de choeur
dans la paroisse de Saint-Bonnet...
Kan j'érïn Klér de lo porochi
de vé San-Boune
Jean Chambon
(patois
de Saint-Bonnet-le-Courreau)
enregistré en 1978
au cours d'une
veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs
pour écouter cliquer ci-dessous
(8 min)
Alors
la paroisse de Saint-Bonnet avait un curé et un vicaire.
Comme le curé était déjà vieux, c'était
le vicaire (l'abbé) qui s'occupait des enfants de choeur
pour servir la messe.
Il cherchait d'abord dans le bourg une famille bien pratiquante,
qui allait bien à la messe et qui avait des enfants de
huit à dix ans. Mon frère aîné servait
déjà, lui. L'abbé vint demander à
ma mère pour que je fasse l'enfant de choeur. Moi, je ne
demandais pas mieux, mais avant il fallait apprendre à
répondre en latin.
Il y avait pas mal de choses à apprendre, surtout le confiteor
qui était long. Le vicaire m'apporta un livre où
se trouvait tout ce qu'il fallait apprendre en latin, et tous
les jours, il me fallait réciter ma leçon au curé
jusqu'à ce que je sache tout par coeur. Ce ne fut que le
quatrième jour où je fus reconnu bon pour servir.
Ensuite on allait à l'église pour s'exercer autour
de l'autel et aussi apprendre à sonner la clochette quand
il fallait. Au bout de deux mois il fallut commencer. C'était
bien un peu difficile pour répondre tout ça en latin
mais le vicaire m'aidait. Pendant la semaine, il fallait aller
servir à sept heures, les deux messes, mais on ne s'habillait
pas en enfant de choeur. Nous étions six et nous servions
chacun notre semaine.
Une fois j'ai demandé à l'abbé pourquoi il
ne faisait pas servir la messe aux filles. Il me répondit
: On n'en sortirait jamais, parce que, au Kyrie eleison, comme
il y a neuf fois à le dire, c'est l'abbé qui dit
la dernière, comme les femmes veulent toujours avoir le
dernier mot, on n'en finirait plus.
Le dimanche, nous étions habillés en soutane et
surplis, et en aube pour les acolytes. Nous étions deux
pour servir la première messe qui était toujours
dite par le curé, mais pour la grand-messe qui était
chantée tout en latin par les chantres et qui durait une
heure - elle était dite par le vicaire - nous étions
quatre : deux pour servir et deux acolytes qui se promenaient
à travers le choeur avec de grands cierges, un coup autour
de l'autel, un coup jusqu'au fond du choeur. C'était toujours
les plus grands et les plus âgés qui faisaient ça.
Pour un baptême, ça se passait toujours l'après-midi,
le dimanche, nous étions deux, l'un qui portait le cierge
et l'autre le sel et l'eau sur les fonts baptismaux. Dès
que le baptême était fini, nous nous dépêchions
de quitter le surplis. Parfois le parrain (ou la marraine) nous
donnait des dragées . Ensuite nous sortions vite de l'église
parce qu'à la sortie le parrain et la marraine, et parfois
d'autres personnes de la famille, jetaient des dragées
à travers la place pour les gamins qui attendaient dehors.
Le plus fait pour rire c'est quand le parrain jetait des dragées
dans le bachat du Plâtre . Mais elles n'y restaient pas
longtemps, les gamins ne prenaient pas le temps de retrousser
les manches pour en avoir le plus possible.
Pour les mariages c'était pareil, on jetait aussi des dragées
à travers la place. Les jeunes de la noce montaient au
clocher pour aider les marguilliers à sonner les cloches
le temps de la messe. Ils allaient aussi chercher un litre ou
deux de vin blanc pour être plus forts ! Il y avait une
grosse cloche pour laquelle il fallait être trois costauds
pour la descendre. Il fallait tirer trois cordes grosses comme
le poignet, et les tirer toutes les trois à la fois.
Pour les enterrements c'était plus long suivant que le
mort était loin du bourg. Il fallait aller attendre le
corps jusqu'à la maison avec le vicaire et la croix. Parfois
il y avait une heure de marche pour y aller et autant pour revenir.
Le corps était porté sur un brancard à quatre
et sur l'épaule. Il fallait huit porteurs ; ils se relayaient
tous les deux ou trois cents mètres. J'ai vu, dans la neige,
le cercueil attaché à une grande barre porté
par deux hommes. Il passait plus facilement à deux qu'à
quatre.
Après la messe d'enterrement il fallait encore descendre
au cimetière, toujours avec la croix devant et le vicaire
derrière. Suivant la classe de l'enterrement, à
l'église on mettait des garnitures noires tout autour du
choeur et à la table de communion (pour une première
classe), et la croix que l'enfant de choeur portait était
plus jolie mais bien plus lourde. Si l'enfant de choeur n'était
pas bien costaud, le vicaire l'aidait à la porter. Pour
la seconde classe, il y avait moins de garnitures autour du choeur,
et pour la troisième, il n'y avait rien du tout sauf un
drap noir sur le cercueil . Pour les enterrements il n'y avait
qu'un seul enfant de choeur qui s'habillait d'une soutane noire
et d'un surplis.
Parfois le vicaire venait chercher un enfant de choeur, quand
c'était sa semaine, pour porter l'extrême-onction
à un malade. L'enfant de choeur passait devant avec une
cloche dans une main et la lanterne dans l'autre, et l'abbé
suivait vêtu du surplis et de l'étole. Il ne fallait
pas se parler et quand nous passions devant quelqu'un, il se mettait
à genoux. Alors il y avait un grand respect du saint sacrement.
Pour servir les offices, pendant la semaine, il y avait un gros
problème à cause de l'école. Il fallait demander
à l'instituteur pour s'absenter le lendemain. C'était
toujours accordé mais pas toujours de bonne grâce.
Alors, à Saint-Bonnet, il n'y avait que l'école
laïque. Les maîtres et les curés n'étaient
pas trop en bons termes ; ils se regardaient plutôt de travers
!
Les gages des enfants de choeur n'étaient pas bien importants.
Je crois que l'abbé nous donnait à chacun quatre
francs et une orange à Noël .
Il y avait les processions des Rogations, le lundi, le mardi et
le mercredi d'avant l'Ascension. Le lundi nous allions en procession
à la croix du Treyve, le mardi vers la croix de Chavanne
et le mercredi il y avait une messe à la chapelle de Courreau
. Et les paysans portaient une poignée de croix en bois
qu'ils avaient fabriquées au couteau. Ils les faisaient
bénir aux Rogations et ils les plantaient dans les blés,
dans les terres...