|
Le
nom patronymique
attribué aux enfants trouvés
reflet
de l'attitude de la société,
l'exemple
des hôpitaux montbrisonnais (1)
L'Ancien Régime : du simple prénom au jeu de mots
Dès qu'un enfant
a été "levé" et porté à
l'hôtel-Dieu de Montbrison par le garde, un nom lui est
donné, nom qui figure dans l'acte de baptême - après
1792 dans l'acte de naissance - ainsi que dans le registre d'entrée
de l'hôpital. Le choix de ce nom, bien que fait à
la va-vite par l'aumônier de l'hôtel-Dieu Sainte-Anne
puis, après 1792, par l'officier d'état civil de
Montbrison, est pourtant révélateur de l'évolution
de l'état d'esprit de la société envers les
enfants abandonnés.
Avant la Révolution, l'enfant est toujours baptisé
sous condition même si un écrit affirme qu'il l'est
déjà. Il porte naturellement le nom du parrain si
c'est un garçon, celui de la marraine si c'est une fille.
C'est son nom de chrétien, le seul considéré
comme ayant de l'importance, aussi tant que le nombre des enfants
trouvés est peu important se contente-t-on de ce seul prénom
comme patronyme. Ces prénoms, peu variés, sont ceux
qui sont les plus employés dans la société
de l'époque. A ce point de vue rien ne différenciera
l'enfant trouvé des autres sinon que toute sa vie on l'appellera
Jean, Pierre ou Marie, sans plus de précision.
Pour les garçons, les comptages permettent de dénombrer
seulement 41 prénoms différents pour 193 cas, de
1773 à 1788. Les dix prénoms les plus utilisés
regroupent 80 % des cas. Ce sont :
Jean
|
42 cas |
21,7
% |
Jacques |
11 cas |
Pierre
|
22 cas |
11,4
% |
Mathieu |
10 cas |
Benoît
|
19 cas
|
9,8
% |
François |
10 cas |
Antoine |
14 cas
|
7,2
% |
Joseph |
7 cas |
Claude |
12 cas |
6,7
% |
Etienne |
7 cas
|
Il y a encore 4 Louis,
3 Georges, 2 André, 2 Robert, 2 Annet, 2 Balthazard, 2
Christophe, 2 Michel, 2 Gilbert, 2 Philibert, 2 Denis, et 20 prénoms
représentés une seule fois : Aimé, Alexis,
Barthélemy, Bernard, Bonnet, Damien, Gabriel, Guillaume,
Haubin, Hubert, Joachim, Julien, Martin, Maurice, Nicolas, Simon,
Thomas, Urbain, Valentin, Vital.
En ce qui concerne les filles l'éventail des prénoms
est encore plus restreint : 31 prénoms pour 201 cas (de
1773 à 1788). Les dix prénoms les plus utilisés
regroupent 82 % des cas ; il s'agit de :
Marie |
52 cas
|
25,8
% |
Catherine |
14 cas
|
Jeanne |
17 cas |
|
Madeleine
|
11 cas |
Claudine
|
16 cas |
|
Françoise |
9 cas |
Antoinette |
15 cas |
|
Marguerite |
9 cas |
Anne |
14 cas |
|
Benoîte |
8 cas
|
Quatre cas : Louise
;
trois cas : Agathe ;
deux cas : Julie, Simone, Etiennette, Pierrette,
Elisabeth, Germaine, Michelle, Marthe ;
un cas : Alexis (employé comme
prénom féminin), Justine,
Claire, Jacqueline, Fleurie, Denise, Josèphe, Victoire,
Gabrielle, Marianne, Laurence, Charlotte et Noëlle.
Après 1770, avec la multiplication des abandons, s'appeler
Pierre, Benoît
ou Jeanne ne suffit plus.
Pour éviter les confusions, plusieurs prénoms ou
un nom en forme d'adjectif numéral sont attribués
: Jean Joseph Marie (trouvé le 15 juin 1776), Marthe Anne
Françoise, (trouvée le 15 mai 1775), Hubert Second
(exposé le 17 mai 1775), Anne Troisième (exposée
le 17 mai 1775)...
Un complément de lieu ou de temps en rapport direct avec
la découverte permet aussi de préciser de quel enfant
il s'agit.
Nous relevons ainsi :
Alexis du Chapeau Rouge (trouvé
le 27 août 1773 à la porte du sieur Roche qui tient
l'hostellerie à l'enseigne du "Chapeau Rouge")
;
Mathieu Benoît de la Foire
(trouvé le 4 juin 1778, place du Marché) ;
Claude Marie Joseph de la
Barrière (abandonné à
la porte de M. de l'Argentière, rue de la Barrière,
le 16 janvier 1782) ;
Etienne de la Croix (exposé le 28 mai 1782, près
de la porte de la Croix) ;
Jean du Marché (exposé le 30 novembre 1783,
place du Marché) ;
François le More (exposé "dans une bêne"
le 10 novembre 1783, à la "Tête noire",
une auberge du faubourg de la Madeleine) ;
Anne de Saint-André (exposée le 30 novembre,
fête de saint André, de l'an 1785) ;
Anne du Printemps (exposée le 3 avril 1786), Françoise
de May (exposée le 7 mai 1787 à la porte de la Charité)...
Progressivement la préposition et l'article sont abandonnés
et un vrai nom patronymique est attribué. Il est le plus
souvent en relation avec les circonstances de l'exposition.
Il peut s'agir du lieu :
Louis Porcherie (exposé le
24 septembre 1782, quartier de la Porcherie) ;
Jean Charité (exposé
le 21 février 1783 devant la Charité) ;
des conditions météorologiques du moment :
Pierre Beaujour (exposé le
14 juillet 1774) ;
Louise Bontemps (exposée le
15 juin 1787) ;
Pierre Froid (trouvé le 30
novembre 1787) ;
Simone Beautemps (exposée
le 15 avril 1788) ;
ou encore de la saison :
Jean Printemps (exposé le
10 avril 1785) ;
Marie Dété (exposée
le 30 juin 1785) ;
Antoinette Hivert (trouvée
le 21 décembre 1785, premier jour de l'hiver)...
Le nom peut venir d'un objet destiné à permettre
une reconnaissance ultérieure :
Benoît Carte exposé
le 15 avril 1776 ;
Antoine Carreau trouvé le
14 juin 1785, avec un sept de carreau dans ses langes ;
Claude Bleu exposé le 14 janvier
1783 "ayant un ruban bleu au bras droit"...
Il peut découler de considérations sur le destin
de l'enfant ou encore de son aspect physique :
Agathe Lajoye exposée le 14
juin 1784 ;
Catherine Ladoulleur exposée
le 21 juin 1785 ;
Joseph Bienvenu trouvé le
20 août 1784 ;
Claudine Laventure trouvée
le 31 août 1784 ;
Antoine Jolicur exposé
le 22 novembre 1784 ;
François Belair trouvé
le 26 mars 1788...
On passe ensuite à l'astuce, au jeu de mots pour trouver
d'autres patronymes :
Jacques Président est exposé le 24 mai 1784
à la porte de l'hôtel de M. de Meaux, lieutenant
général au bailliage ;
Marie Farine, trouvée le 29
avril 1774 ;
Claude Dusson ("du son"),
trouvé le 6 octobre 1783 ;
Jeanne Froment, trouvée le
7 novembre 1783, Pierre Dupin, trouvé
le 25 janvier 1785 et Jean Paillon,
trouvé le 22 avril 1788, ont été abandonnés
devant des boulangeries de la ville ;
Magdeleine Fricot est exposée
le 6 février 1787 à la porte de l'auberge du "Lion
d'or" ;
Françoise Capucine reçoit
ces noms charmants parce qu'elle est trouvée le 24 février
1777 dans le parloir des Capucins de la ville qui sont, comme
on sait, disciples de saint François...
Juste avant 1789 apparaissent quelques noms d'objets usuels, de
fleurs, de fruits, d'animaux :
Anne Marie Besace, exposée le 1er juillet 1780 ;
Catherine Roze, exposée le
24 juin 1784 ;
Catherine Griotte, exposée
le 20 juin 1788
Pour Anne Rossignol le clin d'il
est évident : elle est trouvée le 25 février
1787 à la porte de "M. le Chantre, au cloître
de Notre-Dame" qui, peut-être, n'était pas un
très bon chanteur
La Révolution
et l'Empire : excentricité puis manque d'imagination
La période révolutionnaire
apporte peu de changements en ce qui concerne les prénoms.
Simplement, ils sont un peu plus variés : Alexandre, Arnaudin,
Basile, Césaire, César, Isaac, Paterne, Pothin ainsi
qu'Adélaïde, Fortunée, Laurentine, Lucrèce,
Zélie, Zoé... font leur apparition. De l'an II à
l'an XI, 142 prénoms différents sont utilisés
(80 pour les garçons, 62 pour les filles) pour 417 cas
mais Jean et Pierre, pour les garçons, et Anne et Marie,
pour les filles, gardent toute la faveur des officiers d'état
civil. Pourtant le décret du 29 floréal an II (18
mai 1794) avait fait disparaître du calendrier les noms
des saints au profit de vocables prétendus " républicains
" tirés de l'histoire naturelle, de l'agriculture,
de l'Antiquité
Surtout apparaissent alors des patronymes liés au contexte
politique. Jean des Etats (les Etats
Généraux) admis à l'hôtel-Dieu le 21
juillet 1789 ouvre la série. Suivent : Claude
Mirabot, exposé le 28 avril 1790 et que le scribe
de l'hôpital enregistre sous le nom de
Claude Demoingt, Philippine Liberté,
exposée le 10 avril 1792 et nommée Philippine
Nationnalle à l'hôpital, Chalier
(2) exposé le 6 pluviôse de l'an II, Jean
le Républicain, exposé le 22 pluviôse
de l'an II, 26 janvier 1794
Un enfant, trouvé le 24 ventôse de l'an II, est nommé
simplement Montbrisé (3).
Georges Loire, exposé le 2 floréal de l'an IV (21
avril 1796) porte ce patronyme en l'honneur du nouveau département
créé le 12 août 1792 par démembrement
du département de Rhône-et-Loire. Justine
et Sophie, enfants jumelles trouvées
le 28 pluviôse de l'an V, sont nommées toutes deux
Sanson, du nom du bourreau qui exécuta
Louis XVI, peut-être parce qu'elles étaient toutes
deux déposées dans une corbeille, sinistre allusion
au panier de son...
On relève encore Jean Marie Marat,
trouvé le 14 pluviôse de l'an II, Jean
Egalité, trouvé le 9 germinal de l'an IX,
Toussaint Louverture [du
nom du héros haïtien], exposé
le 13 ventôse de l'an X, et Charlotte
Cordée [sic], exposée le 19 brumaire de l'an
XI, en souvenir de la vraie Charlotte Corday qui après
avoir assassiné Marat avait été guillotinée
dix années plus tôt, le 17 juillet 1793.
Dans ces listes, héros de la Révolution et de la
contre-Révolution se mêlent allègrement et
certains noms sont, on le comprend, bien difficiles à porter.
Au rang des innovations il faut mettre les mois du calendrier
républicain qui font des noms assez bien venus tels Barthélemy
Germinal, admis à l'hôpital le 21 germinal
de l'an VII, fils naturel de Claudine Roux,
Claudine Frimaire, exposée
le 4 frimaire de l'an VI, ainsi que les nouvelles unités
de mesure comme Eléonore Centimètre,
exposée le 21 germinal de l'an XI.
Les personnages de l'Antiquité ont aussi un certain succès
: Pauline Vespasie (de l'empereur
Vespasien), trouvée le 12 fructidor de l'an IX, Thérèze
Agripine, exposée le 10 vendémiaire de l'an
X, Alexandre Legrand, trouvé
le 10 ventôse de l'an XI, Paulin Virgile,
exposé le 2 messidor de l'an XI. Les héros de romans
ou de pièces de théâtre apparaissent : Etienne
Donquichotte, exposé le 16 thermidor de l'an XI,
Guillaume Othello, exposé
le 2 floréal de l'an X
Des patronymes péjoratifs ou totalement fantaisistes font
leur apparition à partir de 1791 :
Jérôme Misère, exposé le 2 janvier
1791 ;
Barthélemye Tripot, exposée
le 31 mai 1791 ;
Magdeleine Lagueulle, exposée
le 6 juillet 1791 ;
Benoîte Béquille, exposée
le 11 juillet 1791 ;
Pierre Lacloche, exposé le
24 octobre 1791 ;
André Battard, exposé
le 25 pluviôse de l'an III ;
Jean Renégat, exposé
le 27 frimaire de l'an XI ;
Jean Turlubrelut, exposé le
11 germinal de l'an XI ;
Guillaume Hipocondriaque, exposé
le 17 floréal de l'an XI ;
Marcel Caracola, exposé le
11 brumaire de l'an XI.
Selon nous, ce choix n'est pas innocent. Ces noms, où perce
la dérision, traduisent un changement d'attitude des responsables
et de la société envers le flot toujours grossissant
des enfants abandonnés. Transparaît là un
certain mépris, signe d'un rejet que l'on ne percevait
pas nettement dans les périodes précédentes.
Sous l'Empire, la circulaire du 30 juin 1812 règlemente
l'attribution des noms aux enfants trouvés. Des instructions
sont parfois données pour le choix des patronymes par des
préfets conscients des abus :
On
les prendra soit dans l'histoire des temps passés, soit
dans les circonstances particulières à l'existence
de l'enfant, telles que sa conformation, ses traits, son teint,
le pays, le lieu, l'heure où il a été trouvé.
Il convient d'éviter toute dénomination qui serait
indécente ou ridicule, ou rappellerait à l'enfant
qu'il est un enfant trouvé.
Ces recommandations sont partiellement suivies. Les noms inspirés
de la situation politique du moment disparaissent mais bien des
patronymes attribués, sans être inconvenants, restent
difficiles à porter et proclament, par leur forme même,
l'origine de l'enfant (4).
De 1806 à 1810, dans près du tiers des cas, c'est
le règne végétal qui inspire les officiers
d'état civil montbrisonnais :
Les fruits
Jean
de la Pomme |
(1806) |
Marie
la Melonide |
(1808) |
Gilbert
Cerise |
(1807) |
Jacques
la Groseille |
(1808)
|
François
le Marron |
(1807)
|
Jacques
Descourges |
(1808) |
Jean
la Prune |
(1807) |
Jacques
L'Amande |
(1808) |
Jacques
du Melon |
(1807) |
Marie
Lagriote |
(1809) |
Simon
Lafigue |
(1807) |
Marie
Lafraise |
(1809) |
Jeanne
Pêche |
(1807) |
Louise
Lagrenade |
(1810) |
Jeanne
Catherine Lanoisette |
(1808) |
|
|
Les légumes
Jacques
Duchoux |
(1806) |
Jean
de l'Asperge |
(1806) |
Jean
de l'Oignon |
(1806) |
Jeannette
de la Salade |
(1806) |
Les racines potagères
sont particulièrement en faveur :
· La pastonade, nom local du panais : Jacques
François Pastonade (1806), Marianne
Pastonnade (1807), Agathe Pastonade
(1810)...
· La carotte :
Jean Baptiste de la Carrotte (1806),
Josephine Carrotte (1807), Claudine
Françoise Carotte (1808), Claudine
la Carotte (1808)...
Ainsi que la rave, l'humble
légume des jardins campagnards : Denis
Delarave (1806), Marie Delarave
(1806), Claudine Larave (1809)...
Nous trouvons encore
: Jérôme Epinard (1808),
Christophe Lartichaud (1809), Marie
la Rhubarbe (1810) et même quelques noms de médicaments
provenant de plantes médicinales : Nicolas
Sené (1810) (5), Nicolas Camphre
(1810) (6), Nicolas Casse (1810)
(7).
Parmi les fleurs, la rose et la tulipe se distinguent particulièrement,
attribuées aussi bien aux filles qu'aux garçons
:
Balthazard
Larose |
(1807) |
Gabrielle
Latulipe |
(1807) |
Jeanne
Larose |
(1808) |
Léonard
Latulipe |
(1810) |
Jean
Baptiste Larose |
(1810) |
Benoît
Latulipe |
(1810) |
On utilise aussi d'autres
fleurs plus modestes : Antoine Dubluet (1808),
Jacques Lebluet (1809), Claude
Louis Hippolyte Laviolette (1809) ou, tout simplement,
l'appellation "la Fleur" : François
la Fleur (1809), Annet la Fleur (1810)
Les animaux viennent en deuxième position et fournissent
17 % des patronymes avec une prédilection marquée
pour les oiseaux. Le rossignol, la fauvette, la caille et le canard
se retrouvent souvent :
Jean
Rossignol |
(1807) |
Anne Lacaille |
(1806) |
Marie
Elisabeth Rossignol |
(1810)
|
Jean de la Caille |
(1807) |
Jean
la Fauvette |
(1806) |
Anne Lacaille |
(1810) |
Anne
la Fauvette |
(1808)
|
Etienne Canard |
(1806) |
Raymond
la Fauvette |
(1810) |
Claude
Lecanard |
(1806)
|
Jeanne
Lacanne (sic) |
(1808) |
|
|
Il y a aussi : Jacques
le Canari (1806), Georges la Perdrix
(1806), Louise Lagrôle
(1806) du nom de la corneille en patois de la région, Jacques
l'Hirondelle (1807), Augustin Leperroquet
(1807), Benoîte la Grive (1807),
Benoîte Poularde (1808), Antoinette
Lapie (1810)...
Poissons, batraciens, gastéropodes et quelques autres animaux
complètent ce petit bestiaire : Jean
Lamerluche (1808), Simone Laperche
(1810), Simone Lablette (1810), Agathe
la Grenouille (1808), Jacques la
Grenouille (1809), Jean François
l'Escargot (1806), Mathieu l'Ecrevisse
(1806), Marie l'Ecrevisse
(1807), Caprais des Mouches
(1809), André Lataupe
(1809)...
En revanche, ne figure qu'un seul animal domestique utilisé
comme nom de famille avec le cas d'Antoine
Dumouton (1809).
Divers noms de choses fournissent 15 % des patronymes :
Instruments de musique :
Jacques
Latrompette |
(1807)
|
Marcellin
Latrompe |
(1810) |
Jacques
Cornemuse |
(1807)
|
Nicolas
Laharpe |
(1810) |
Louise
Lacloche |
(1807) |
|
|
Objets familiers de la
maison et du jardin :
Jacques
Desmouchettes (8) |
(1806)
|
Marguerite
Durasoir |
(1806) |
Jean
de l'Ecritoire |
(1806)
|
Marie
du Sabot |
(1806) |
Louis
de la Bouteille |
(1806) |
Jean
Tirebouchon |
(1807) |
André
Biscuit |
(1806)
|
Marie
Lapompe |
(1807) |
La perle, objet précieux
mais de petite taille qui se perd et se retrouve - y a-t-il, là,
un symbole ? - est utilisée plusieurs fois : Simone
Laperle (1807), Mathieu Laperle
(1809), Marie Laperle (1810).
L'observation de l'aspect physique ou du caractère de l'enfant,
ou encore des considérations sur son devenir amènent
une série de noms pittoresques qui représentent
14 % des cas :
Victor
le Mignard |
(1806) |
Laurence
Lamachurée (9) |
(1808)
|
Jacques
le Déterminé |
(1806) |
Marianne
la Pouponne |
(1808)
|
Jacques
la Têteblanche |
(1806)
|
Louise
la Beauté |
(1808) |
André
le Galeux |
(1806) |
Jacques
la Renommée |
(1808) |
Marianne
Bellesgrâces |
(1806) |
François
le Bienvenu |
(1808)
|
Jacques
L'Etourdi |
(1807)
|
Jacques
le Bien nourri |
(1808) |
Jacques
le Bien nourri |
(1807)
|
Catherine
la Tristesse |
(1809) |
Jean
le Blondin |
(1807) |
Catherine
la Réjouie |
(1809)
|
Catherine
l'Harpie |
(1807) |
Marie
la Douleur |
(1810) |
Les patronymes ont le
grave inconvénient de manquer de discrétion tout
comme ceux qui évoquent le lieu ou le temps de l'exposition
(10 % des cas de 1806 à 1810) :
Etienne
du Cachot |
(1806) |
Antoinette
l'Automne |
(1806) |
Benoît
Montverdun |
(1806)
|
Jean
Baptiste d'Avril |
(1807) |
Anne
de la Foire |
(1806) |
Anne
la Tempête |
(1808) |
Catherine
du Rocher |
(1806) |
Claudine
de la Neige |
(1808) |
Benoîte
Larigole |
(1806) |
Etienne
de la Neige |
(1809) |
Mathieu
d'Uzore |
(1807) |
Claudine
la Bize |
(1809) |
Jacques
du Parc |
(1807) |
Etiennette
la Neige |
(1809) |
Jacques
du Tombereau |
(1807) |
Philippe
Antoine le Planard (10) |
(1808) |
Jacques
Larigole |
(1807)
|
|
|
Après avoir été
à la mode pendant la période révolutionnaire
les noms tirés de l'histoire ancienne et de la mythologie
deviennent beaucoup moins nombreux (3 % des cas) : Claire
Olympe (1808), Marguerite la Camarde
(1808) (11), André Basilic
(1808) (12), Philippe Hector (1808)...
En somme, après les excentricités de la période
précédente, on en revient, sous le premier Empire,
en Forez, à un peu plus de sagesse.
Restauration
et monarchie de Juillet
Sous la Restauration
et la monarchie de Juillet les noms communs et les adjectifs donnés
en guise de patronymes sont beaucoup moins nombreux :
Mois et saisons : Marie Printems
(1832), Antoine Eté (1832),
Jeannette Janvier (1833)...
Fleurs et fruits : Marie Raisin (1830),
Etienne Jonquille (1832), Claude
Tilleul (1832), Antoine Laviolette
(1832), Benoîte Marie Tulipe
(1832), Marie Orange (1832), Jeanne
Renoncule (1832), Marianne Rose
(1832), Guillaume Citron (1832),
Charles la Poire (1832)...
Qualificatifs : Jean Claude Tranquille
(1832), Etienne Bon (1832), Jeanne
Bonne (1832).
Aliments : Jean Poivre (1832), Jean
Marie Sel (1833).
Domaine scientifique : Françoise
Graphomètre (1833) (13), Blanche
Alidade (1833) (14), François
Cicloïde (1833) (15).
En revanche, la plupart des patronymes attribués sont totalement
inventés. Ainsi en 1831 et 1832 trouve-t-on d'impressionnantes
listes de noms commençant par "A". Ces appellations,
bien que fantaisistes, ont le mérite - peut-être
? - de dire moins clairement l'origine de l'enfant :
Jeanne Abizag, Marie Abigail, Georges Aaron,
Raphaël Antoine Abailard, Marie Elisabeth Abuer, Jeanne Abidene,
Marie Antoinette Acasis, Jeanne Marie Acacé, Jean Antoine
Abarin, Sophie Acaste (enfants trouvés à
Montbrison du 6 au 28 décembre 1832).
Félicité Antoinette Accarse,
Gabrielle Acaze, Marie Antoine Abbon, Cécile Benoîte
Achille, André Abbon, Antoine Abbot, Jean Abbalouzine,
Etienne Abdécame, Benoît Abdias, Appolline Benoîte
Addisson, Françoise Benoîte Adelaïde, Magdeleine
Ariost, Charlotte Adelaïde, Luc Antoine Abel, Antoine Abely,
Agnès Jeanne Adeline, Thimothée Etienne Abia, François
Alexandre (enfants abandonnés à Montbrison
du 10 janvier au 20 février 1832).
On trouve encore, mais plus rarement, des patronymes "parlants"
comme ceux donnés aux deux petites filles trouvées
le 23 novembre 1830 à Curtieux chez Michel Perache : Marguerite
Délaissée qui a trois ans et demi et Marie
Labandonnée qui a dix-huit mois.
Il n'y a plus de patronymes vraiment malsonnants bien que l'officier
d'état civil se laisse encore aller à faire quelques
jeux de mots. Citons seulement deux cas : Antoine
Vanveille (A. Vanveille, "avant-veille"), Antoine
Niversaire (A. Niversaire, "anniversaire").
Vers
des patronymes plus ordinaires
Une nouvelle
étape est franchie après 1841. Par sa circulaire
du 13 août de cette année-là, le ministre
de l'Intérieur rappelle que les prénoms choisis
ne doivent pas être discriminatoires. De plus en plus souvent
des noms qui se retrouvent fréquemment dans la région
sont attribués aux enfants abandonnés :
Marie
Longin |
(1851)
|
Onésime
Courbon |
(1853)
|
Pierre
Clairet |
(1855) |
Paul
Rizand |
(1851) |
Jean
Joseph Fenon |
(1853)
|
Félix
Dumas |
(1855)
|
Jean
Fournier |
(1851)
|
Baptiste
Dufour |
(1853)
|
Germaine
Bonnefoi |
(1855)
|
Bénigne
Bruyère |
(1851) |
Antoinette
Grange |
(1853)
|
Antoinette
Esserte |
(1856) |
Ambroise
Chaux |
(1851)
|
Marie
Dutreuil |
(1853) |
Félicité
Giraud |
(1856)
|
François
Xavier Dupin |
(1851)
|
Simon
Louis Drevet |
(1854)
|
Antoinette
Faverjon |
(1856)
|
Marie
Grange |
(1852) |
Aurélien
Rousset |
(1854)
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Jeanne
Marie Simonet |
(1856)
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Marguerite
Faure |
(1852)
|
Just
Delorme |
(1854)
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Cyrille
Vaillant |
(1856)
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Jean
Bouchet |
(1852)
|
Jean
Baptiste Roux |
(1854)
|
Joseph
Grangeon |
(1856) |
Clotilde
Combe |
(1852)
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Françoise
Baroux |
(1854)
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Pierre
Marie Durand |
(1857)
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Jean
Marie Soleillant |
(1852)
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Adèle
Montet |
(1854) |
Célestin
Roche |
(1858) |
Sylvestre
Rival |
(1852)
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Claudine
Duchamp |
(1855)
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A la même
époque l'usage d'un deuxième prénom servant
de nom patronymique devient fréquent :
Thérèse
Alain |
(1851) |
Etienne
Noël |
(1852) |
Marie
Thomas |
(1852) |
Aubin
Grégoire |
(1853) |
Rose
Damien |
(1852) |
Jean
Bernard |
(1853) |
Jean
Marie Simon |
(1852)
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Alexandre
Vital |
(1854) |
Jean
Rémi |
(1852) |
Marie
Louise Pascal |
(1857) |
Thècle
Clément |
(1852) |
Louise
Françoise Marie |
(1857) |
Jean
Baptiste André |
(1852) |
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On en revient,
en quelque sorte, à la pratique de l'Ancien Régime,
l'attribution de simples prénoms. Ces nouvelles habitudes
sont à mettre en relation avec d'autres efforts faits dans
le même temps pour améliorer la condition des enfants
abandonnés, notamment l'élaboration du Règlement
du service des enfants assistés de 1859. Hommes
politiques et économistes s'inquiètent de plus en
plus de la baisse de la natalité et portent un intérêt
nouveau aux enfants trouvés. Un vrai
nom facilitera, bien évidemment, leur insertion
dans la société, notamment le mariage des garçons.
Mais il aura fallu près d'un siècle et bien des
tâtonnements pour arriver, sur ce plan, à une situation
plus convenable.
Pour conclure
Constatons simplement que pour nommer les enfants trouvés
les pratiques ont grandement varié au cours du temps. Et
la région forézienne n'a pas toujours été
à l'unisson avec l'ensemble du pays (16). Le choix des
patronymes nous renseigne un peu sur la mentalité du moment.
Le passage du simple prénom qui est en faveur sous l'Ancien
Régime à des dénominations parfois totalement
fantaisistes ou péjoratives aux époques suivantes
est sans doute révélateur de la façon dont
sont accueillis les enfants trouvés : acceptation comme
un misère inévitable, embarras, mépris voir
rejet puis, à partir de seconde République, une
humanisation progressive
Mais le trajet est loin d'être
achevé.
Notons aussi
que ces patronymes créés de toutes pièces
ont notablement enrichi le stock des noms de famille et qu'ils
ne sont pas sans poser maintes énigmes aux généalogistes.
Joseph
Barou
(1) Article tiré en partie de J. Barou,
"Enfants abandonnés en Forez de Louis XV à
la IIIe République 1715-1889)", Village de Forez,
1990.
(2) Joseph Chalier qui dirigeait les révolutionnaires lyonnais
avait été exécuté le 15 juillet 1793,
six mois plus tôt.
(3) C'est ainsi que Javogues avait nommé la ville en représailles
après son soutien aux Lyonnais.
(4) Circulaire préfectorale, lettre du préfet de
la Seine du 10 août 1812 au maire du XIIe arrondissement,
citée par Albert Dupoux, Sur les pas de Monsieur Vincent,
Paris, 1958.
(5) Sené : drogue purgative tirée des feuilles du
cassier.
(6) Camphre : substance extraite du camphrier.
(7) Casse : pulpe purgative tirée du fruit du cassier.
(8) Les mouchettes sont des ciseaux particuliers servant à
moucher les chandelles.
(9) Machuré : terme régional et populaire pour noirci.
(10) Le Planard, l'habitant de la plaine du Forez.
(11) La camarde : la mort, langage populaire.
(12) Basilic : monstre fabuleux, sorte de serpent issu d'un uf
pondu par un coq et couvé par un crapaud.
(13) Graphomètre : instrument servant à mesurer
les angles en vue de relever un plan.
(14) Alidade : instrument d'arpentage servant à mesurer
les angles.
(15) Cycloïde : ligne courbe produite par l'entière
révolution d'un point appartenant à un cercle qui
roule sur une droite sans glisser
(16) Cf. l'étude beaucoup plus générale
: Noms et destins des sans famille, publié sous
la direction de Jean-Pierre Bardet et Guy Brunet, Presses de l'université
Paris-Sorbonne, 2007.
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Enfants abandonnés
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