Le nom patronymique
attribué aux enfants trouvés

reflet de l'attitude de la société,

l'exemple des hôpitaux montbrisonnais (1)


L'Ancien Régime : du simple prénom au jeu de mots

Dès qu'un enfant a été "levé" et porté à l'hôtel-Dieu de Montbrison par le garde, un nom lui est donné, nom qui figure dans l'acte de baptême - après 1792 dans l'acte de naissance - ainsi que dans le registre d'entrée de l'hôpital. Le choix de ce nom, bien que fait à la va-vite par l'aumônier de l'hôtel-Dieu Sainte-Anne puis, après 1792, par l'officier d'état civil de Montbrison, est pourtant révélateur de l'évolution de l'état d'esprit de la société envers les enfants abandonnés.

Avant la Révolution, l'enfant est toujours baptisé sous condition même si un écrit affirme qu'il l'est déjà. Il porte naturellement le nom du parrain si c'est un garçon, celui de la marraine si c'est une fille. C'est son nom de chrétien, le seul considéré comme ayant de l'importance, aussi tant que le nombre des enfants trouvés est peu important se contente-t-on de ce seul prénom comme patronyme. Ces prénoms, peu variés, sont ceux qui sont les plus employés dans la société de l'époque. A ce point de vue rien ne différenciera l'enfant trouvé des autres sinon que toute sa vie on l'appellera Jean, Pierre ou Marie, sans plus de précision.

Pour les garçons, les comptages permettent de dénombrer seulement 41 prénoms différents pour 193 cas, de 1773 à 1788. Les dix prénoms les plus utilisés regroupent 80 % des cas. Ce sont :

Jean 42 cas 21,7 % Jacques 11 cas
Pierre 22 cas 11,4 % Mathieu 10 cas
Benoît 19 cas 9,8 % François 10 cas
Antoine 14 cas 7,2 % Joseph 7 cas
Claude 12 cas 6,7 % Etienne 7 cas

Il y a encore 4 Louis, 3 Georges, 2 André, 2 Robert, 2 Annet, 2 Balthazard, 2 Christophe, 2 Michel, 2 Gilbert, 2 Philibert, 2 Denis, et 20 prénoms représentés une seule fois : Aimé, Alexis, Barthélemy, Bernard, Bonnet, Damien, Gabriel, Guillaume, Haubin, Hubert, Joachim, Julien, Martin, Maurice, Nicolas, Simon, Thomas, Urbain, Valentin, Vital.

En ce qui concerne les filles l'éventail des prénoms est encore plus restreint : 31 prénoms pour 201 cas (de 1773 à 1788). Les dix prénoms les plus utilisés regroupent 82 % des cas ; il s'agit de :

Marie 52 cas 25,8 % Catherine 14 cas
Jeanne 17 cas   Madeleine 11 cas
Claudine 16 cas   Françoise 9 cas
Antoinette 15 cas   Marguerite 9 cas
Anne 14 cas   Benoîte 8 cas

Quatre cas : Louise ;

trois cas : Agathe ;

deux cas : Julie, Simone, Etiennette, Pierrette, Elisabeth, Germaine, Michelle, Marthe ;

un cas : Alexis (employé comme prénom féminin), Justine, Claire, Jacqueline, Fleurie, Denise, Josèphe, Victoire, Gabrielle, Marianne, Laurence, Charlotte et Noëlle.

Après 1770, avec la multiplication des abandons, s'appeler Pierre, Benoît ou Jeanne ne suffit plus. Pour éviter les confusions, plusieurs prénoms ou un nom en forme d'adjectif numéral sont attribués : Jean Joseph Marie (trouvé le 15 juin 1776), Marthe Anne Françoise, (trouvée le 15 mai 1775), Hubert Second (exposé le 17 mai 1775), Anne Troisième (exposée le 17 mai 1775)...

Un complément de lieu ou de temps en rapport direct avec la découverte permet aussi de préciser de quel enfant il s'agit.
Nous relevons ainsi :

Alexis du Chapeau Rouge (trouvé le 27 août 1773 à la porte du sieur Roche qui tient l'hostellerie à l'enseigne du "Chapeau Rouge") ;

Mathieu Benoît de la Foire (trouvé le 4 juin 1778, place du Marché) ;

Claude Marie Joseph de la Barrière (abandonné à la porte de M. de l'Argentière, rue de la Barrière, le 16 janvier 1782) ;

Etienne de la Croix
(exposé le 28 mai 1782, près de la porte de la Croix) ;

Jean du Marché
(exposé le 30 novembre 1783, place du Marché) ;

François le More
(exposé "dans une bêne" le 10 novembre 1783, à la "Tête noire", une auberge du faubourg de la Madeleine) ;

Anne de Saint-André
(exposée le 30 novembre, fête de saint André, de l'an 1785) ;

Anne du Printemps
(exposée le 3 avril 1786), Françoise de May (exposée le 7 mai 1787 à la porte de la Charité)...

Progressivement la préposition et l'article sont abandonnés et un vrai nom patronymique est attribué. Il est le plus souvent en relation avec les circonstances de l'exposition.

Il peut s'agir du lieu :

Louis Porcherie (exposé le 24 septembre 1782, quartier de la Porcherie) ;
Jean Charité (exposé le 21 février 1783 devant la Charité) ;

des conditions météorologiques du moment :

Pierre Beaujour (exposé le 14 juillet 1774) ;
Louise Bontemps (exposée le 15 juin 1787) ;
Pierre Froid (trouvé le 30 novembre 1787) ;
Simone Beautemps (exposée le 15 avril 1788) ;

ou encore de la saison :

Jean Printemps (exposé le 10 avril 1785) ;

Marie Dété (exposée le 30 juin 1785) ;
Antoinette Hivert (trouvée le 21 décembre 1785, premier jour de l'hiver)...

Le nom peut venir d'un objet destiné à permettre une reconnaissance ultérieure :

Benoît Carte exposé le 15 avril 1776 ;
Antoine Carreau trouvé le 14 juin 1785, avec un sept de carreau dans ses langes ;
Claude Bleu exposé le 14 janvier 1783 "ayant un ruban bleu au bras droit"...

Il peut découler de considérations sur le destin de l'enfant ou encore de son aspect physique :

Agathe Lajoye exposée le 14 juin 1784 ;
Catherine Ladoulleur exposée le 21 juin 1785 ;
Joseph Bienvenu trouvé le 20 août 1784 ;
Claudine Laventure trouvée le 31 août 1784 ;
Antoine Jolicœur exposé le 22 novembre 1784 ;
François Belair trouvé le 26 mars 1788...

On passe ensuite à l'astuce, au jeu de mots pour trouver d'autres patronymes :

Jacques Président
est exposé le 24 mai 1784 à la porte de l'hôtel de M. de Meaux, lieutenant général au bailliage ;
Marie Farine, trouvée le 29 avril 1774 ;
Claude Dusson ("du son"), trouvé le 6 octobre 1783 ;
Jeanne Froment, trouvée le 7 novembre 1783, Pierre Dupin, trouvé le 25 janvier 1785 et Jean Paillon, trouvé le 22 avril 1788, ont été abandonnés devant des boulangeries de la ville ;
Magdeleine Fricot est exposée le 6 février 1787 à la porte de l'auberge du "Lion d'or" ;
Françoise Capucine reçoit ces noms charmants parce qu'elle est trouvée le 24 février 1777 dans le parloir des Capucins de la ville qui sont, comme on sait, disciples de saint François...

Juste avant 1789 apparaissent quelques noms d'objets usuels, de fleurs, de fruits, d'animaux :

Anne Marie Besace
, exposée le 1er juillet 1780 ;
Catherine Roze, exposée le 24 juin 1784 ;
Catherine Griotte, exposée le 20 juin 1788…

Pour Anne Rossignol le clin d'œil est évident : elle est trouvée le 25 février 1787 à la porte de "M. le Chantre, au cloître de Notre-Dame" qui, peut-être, n'était pas un très bon chanteur…

La Révolution et l'Empire : excentricité puis manque d'imagination

La période révolutionnaire apporte peu de changements en ce qui concerne les prénoms. Simplement, ils sont un peu plus variés : Alexandre, Arnaudin, Basile, Césaire, César, Isaac, Paterne, Pothin ainsi qu'Adélaïde, Fortunée, Laurentine, Lucrèce, Zélie, Zoé... font leur apparition. De l'an II à l'an XI, 142 prénoms différents sont utilisés (80 pour les garçons, 62 pour les filles) pour 417 cas mais Jean et Pierre, pour les garçons, et Anne et Marie, pour les filles, gardent toute la faveur des officiers d'état civil. Pourtant le décret du 29 floréal an II (18 mai 1794) avait fait disparaître du calendrier les noms des saints au profit de vocables prétendus " républicains " tirés de l'histoire naturelle, de l'agriculture, de l'Antiquité…

Surtout apparaissent alors des patronymes liés au contexte politique. Jean des Etats (les Etats Généraux) admis à l'hôtel-Dieu le 21 juillet 1789 ouvre la série. Suivent : Claude Mirabot, exposé le 28 avril 1790 et que le scribe de l'hôpital enregistre sous le nom de Claude Demoingt, Philippine Liberté, exposée le 10 avril 1792 et nommée Philippine Nationnalle à l'hôpital, Chalier (2) exposé le 6 pluviôse de l'an II, Jean le Républicain, exposé le 22 pluviôse de l'an II, 26 janvier 1794…

Un enfant, trouvé le 24 ventôse de l'an II, est nommé simplement Montbrisé (3). Georges Loire, exposé le 2 floréal de l'an IV (21 avril 1796) porte ce patronyme en l'honneur du nouveau département créé le 12 août 1792 par démembrement du département de Rhône-et-Loire. Justine et Sophie, enfants jumelles trouvées le 28 pluviôse de l'an V, sont nommées toutes deux Sanson, du nom du bourreau qui exécuta Louis XVI, peut-être parce qu'elles étaient toutes deux déposées dans une corbeille, sinistre allusion au panier de son...

On relève encore Jean Marie Marat, trouvé le 14 pluviôse de l'an II, Jean Egalité, trouvé le 9 germinal de l'an IX, Toussaint Louverture [du nom du héros haïtien], exposé le 13 ventôse de l'an X, et Charlotte Cordée [sic], exposée le 19 brumaire de l'an XI, en souvenir de la vraie Charlotte Corday qui après avoir assassiné Marat avait été guillotinée dix années plus tôt, le 17 juillet 1793.

Dans ces listes, héros de la Révolution et de la contre-Révolution se mêlent allègrement et certains noms sont, on le comprend, bien difficiles à porter.

Au rang des innovations il faut mettre les mois du calendrier républicain qui font des noms assez bien venus tels Barthélemy Germinal, admis à l'hôpital le 21 germinal de l'an VII, fils naturel de Claudine Roux, Claudine Frimaire, exposée le 4 frimaire de l'an VI, ainsi que les nouvelles unités de mesure comme Eléonore Centimètre, exposée le 21 germinal de l'an XI.

Les personnages de l'Antiquité ont aussi un certain succès : Pauline Vespasie (de l'empereur Vespasien), trouvée le 12 fructidor de l'an IX, Thérèze Agripine, exposée le 10 vendémiaire de l'an X, Alexandre Legrand, trouvé le 10 ventôse de l'an XI, Paulin Virgile, exposé le 2 messidor de l'an XI. Les héros de romans ou de pièces de théâtre apparaissent : Etienne Donquichotte, exposé le 16 thermidor de l'an XI, Guillaume Othello, exposé le 2 floréal de l'an X…

Des patronymes péjoratifs ou totalement fantaisistes font leur apparition à partir de 1791 :

Jérôme Misère
, exposé le 2 janvier 1791 ;
Barthélemye Tripot, exposée le 31 mai 1791 ;
Magdeleine Lagueulle, exposée le 6 juillet 1791 ;
Benoîte Béquille, exposée le 11 juillet 1791 ;
Pierre Lacloche, exposé le 24 octobre 1791 ;
André Battard, exposé le 25 pluviôse de l'an III ;
Jean Renégat, exposé le 27 frimaire de l'an XI ;
Jean Turlubrelut, exposé le 11 germinal de l'an XI ;
Guillaume Hipocondriaque, exposé le 17 floréal de l'an XI ;
Marcel Caracola, exposé le 11 brumaire de l'an XI.

Selon nous, ce choix n'est pas innocent. Ces noms, où perce la dérision, traduisent un changement d'attitude des responsables et de la société envers le flot toujours grossissant des enfants abandonnés. Transparaît là un certain mépris, signe d'un rejet que l'on ne percevait pas nettement dans les périodes précédentes.

Sous l'Empire, la circulaire du 30 juin 1812 règlemente l'attribution des noms aux enfants trouvés. Des instructions sont parfois données pour le choix des patronymes par des préfets conscients des abus :

On les prendra soit dans l'histoire des temps passés, soit dans les circonstances particulières à l'existence de l'enfant, telles que sa conformation, ses traits, son teint, le pays, le lieu, l'heure où il a été trouvé.

Il convient d'éviter toute dénomination qui serait indécente ou ridicule, ou rappellerait à l'enfant qu'il est un enfant trouvé.
Ces recommandations sont partiellement suivies. Les noms inspirés de la situation politique du moment disparaissent mais bien des patronymes attribués, sans être inconvenants, restent difficiles à porter et proclament, par leur forme même, l'origine de l'enfant
(4).

De 1806 à 1810, dans près du tiers des cas, c'est le règne végétal qui inspire les officiers d'état civil montbrisonnais :

Les fruits

Jean de la Pomme (1806) Marie la Melonide (1808)
Gilbert Cerise (1807) Jacques la Groseille (1808)
François le Marron (1807) Jacques Descourges (1808)
Jean la Prune (1807) Jacques L'Amande (1808)
Jacques du Melon (1807) Marie Lagriote (1809)
Simon Lafigue (1807) Marie Lafraise (1809)
Jeanne Pêche (1807) Louise Lagrenade (1810)
Jeanne Catherine Lanoisette (1808)    

Les légumes

Jacques Duchoux (1806) Jean de l'Asperge (1806)
Jean de l'Oignon (1806) Jeannette de la Salade (1806)

Les racines potagères sont particulièrement en faveur :

· La pastonade, nom local du panais : Jacques François Pastonade (1806), Marianne Pastonnade (1807), Agathe Pastonade (1810)...

· La carotte : Jean Baptiste de la Carrotte (1806), Josephine Carrotte (1807), Claudine Françoise Carotte (1808), Claudine la Carotte (1808)...

Ainsi que la rave, l'humble légume des jardins campagnards : Denis Delarave (1806), Marie Delarave (1806), Claudine Larave (1809)...

Nous trouvons encore : Jérôme Epinard (1808), Christophe Lartichaud (1809), Marie la Rhubarbe (1810) et même quelques noms de médicaments provenant de plantes médicinales : Nicolas Sené (1810) (5), Nicolas Camphre (1810) (6), Nicolas Casse (1810) (7).

Parmi les fleurs, la rose et la tulipe se distinguent particulièrement, attribuées aussi bien aux filles qu'aux garçons :

Balthazard Larose (1807) Gabrielle Latulipe (1807)
Jeanne Larose (1808) Léonard Latulipe (1810)
Jean Baptiste Larose (1810) Benoît Latulipe (1810)

On utilise aussi d'autres fleurs plus modestes : Antoine Dubluet (1808), Jacques Lebluet (1809), Claude Louis Hippolyte Laviolette (1809) ou, tout simplement, l'appellation "la Fleur" : François la Fleur (1809), Annet la Fleur (1810)…

Les animaux viennent en deuxième position et fournissent 17 % des patronymes avec une prédilection marquée pour les oiseaux. Le rossignol, la fauvette, la caille et le canard se retrouvent souvent :

Jean Rossignol (1807) Anne Lacaille (1806)
Marie Elisabeth Rossignol (1810) Jean de la Caille (1807)
Jean la Fauvette (1806) Anne Lacaille (1810)
Anne la Fauvette (1808) Etienne Canard (1806)
Raymond la Fauvette (1810) Claude Lecanard

(1806)

Jeanne Lacanne (sic) (1808)

Il y a aussi : Jacques le Canari (1806), Georges la Perdrix (1806), Louise Lagrôle (1806) du nom de la corneille en patois de la région, Jacques l'Hirondelle (1807), Augustin Leperroquet (1807), Benoîte la Grive (1807), Benoîte Poularde (1808), Antoinette Lapie (1810)...

Poissons, batraciens, gastéropodes et quelques autres animaux complètent ce petit bestiaire : Jean Lamerluche (1808), Simone Laperche (1810), Simone Lablette (1810), Agathe la Grenouille (1808), Jacques la Grenouille (1809), Jean François l'Escargot (1806), Mathieu l'Ecrevisse (1806), Marie l'Ecrevisse (1807), Caprais des Mouches (1809), André Lataupe (1809)...

En revanche, ne figure qu'un seul animal domestique utilisé comme nom de famille avec le cas d'Antoine Dumouton (1809).

Divers noms de choses fournissent 15 % des patronymes :

Instruments de musique :

Jacques Latrompette (1807) Marcellin Latrompe (1810)
Jacques Cornemuse (1807) Nicolas Laharpe (1810)
Louise Lacloche (1807)    

Objets familiers de la maison et du jardin :

Jacques Desmouchettes (8) (1806) Marguerite Durasoir (1806)
Jean de l'Ecritoire (1806) Marie du Sabot (1806)
Louis de la Bouteille (1806) Jean Tirebouchon (1807)
André Biscuit (1806) Marie Lapompe (1807)

La perle, objet précieux mais de petite taille qui se perd et se retrouve - y a-t-il, là, un symbole ? - est utilisée plusieurs fois : Simone Laperle (1807), Mathieu Laperle (1809), Marie Laperle (1810).

L'observation de l'aspect physique ou du caractère de l'enfant, ou encore des considérations sur son devenir amènent une série de noms pittoresques qui représentent 14 % des cas :

Victor le Mignard (1806) Laurence Lamachurée (9) (1808)
Jacques le Déterminé (1806) Marianne la Pouponne (1808)
Jacques la Têteblanche (1806) Louise la Beauté (1808)
André le Galeux (1806) Jacques la Renommée (1808)
Marianne Bellesgrâces (1806) François le Bienvenu (1808)
Jacques L'Etourdi (1807) Jacques le Bien nourri (1808)
Jacques le Bien nourri (1807) Catherine la Tristesse (1809)
Jean le Blondin (1807) Catherine la Réjouie (1809)
Catherine l'Harpie (1807) Marie la Douleur (1810)

Les patronymes ont le grave inconvénient de manquer de discrétion tout comme ceux qui évoquent le lieu ou le temps de l'exposition (10 % des cas de 1806 à 1810) :


Etienne du Cachot (1806) Antoinette l'Automne (1806)
Benoît Montverdun (1806) Jean Baptiste d'Avril (1807)
Anne de la Foire (1806) Anne la Tempête (1808)
Catherine du Rocher (1806) Claudine de la Neige (1808)
Benoîte Larigole (1806) Etienne de la Neige (1809)
Mathieu d'Uzore (1807) Claudine la Bize (1809)
Jacques du Parc (1807) Etiennette la Neige (1809)
Jacques du Tombereau (1807) Philippe Antoine le Planard (10) (1808)
Jacques Larigole (1807)    

Après avoir été à la mode pendant la période révolutionnaire les noms tirés de l'histoire ancienne et de la mythologie deviennent beaucoup moins nombreux (3 % des cas) : Claire Olympe (1808), Marguerite la Camarde (1808) (11), André Basilic (1808) (12), Philippe Hector (1808)...

En somme, après les excentricités de la période précédente, on en revient, sous le premier Empire, en Forez, à un peu plus de sagesse.

Restauration et monarchie de Juillet

Sous la Restauration et la monarchie de Juillet les noms communs et les adjectifs donnés en guise de patronymes sont beaucoup moins nombreux :

Mois et saisons : Marie Printems (1832), Antoine Eté (1832), Jeannette Janvier (1833)...

Fleurs et fruits : Marie Raisin (1830), Etienne Jonquille (1832), Claude Tilleul (1832), Antoine Laviolette (1832), Benoîte Marie Tulipe (1832), Marie Orange (1832), Jeanne Renoncule (1832), Marianne Rose (1832), Guillaume Citron (1832), Charles la Poire (1832)...

Qualificatifs : Jean Claude Tranquille (1832), Etienne Bon (1832), Jeanne Bonne (1832).

Aliments : Jean Poivre (1832), Jean Marie Sel (1833).

Domaine scientifique : Françoise Graphomètre (1833) (13), Blanche Alidade (1833) (14), François Cicloïde (1833) (15).

En revanche, la plupart des patronymes attribués sont totalement inventés. Ainsi en 1831 et 1832 trouve-t-on d'impressionnantes listes de noms commençant par "A". Ces appellations, bien que fantaisistes, ont le mérite - peut-être ? - de dire moins clairement l'origine de l'enfant :

Jeanne Abizag, Marie Abigail, Georges Aaron, Raphaël Antoine Abailard, Marie Elisabeth Abuer, Jeanne Abidene, Marie Antoinette Acasis, Jeanne Marie Acacé, Jean Antoine Abarin, Sophie Acaste (enfants trouvés à Montbrison du 6 au 28 décembre 1832).

Félicité Antoinette Accarse, Gabrielle Acaze, Marie Antoine Abbon, Cécile Benoîte Achille, André Abbon, Antoine Abbot, Jean Abbalouzine, Etienne Abdécame, Benoît Abdias, Appolline Benoîte Addisson, Françoise Benoîte Adelaïde, Magdeleine Ariost, Charlotte Adelaïde, Luc Antoine Abel, Antoine Abely, Agnès Jeanne Adeline, Thimothée Etienne Abia, François Alexandre (enfants abandonnés à Montbrison du 10 janvier au 20 février 1832).

On trouve encore, mais plus rarement, des patronymes "parlants" comme ceux donnés aux deux petites filles trouvées le 23 novembre 1830 à Curtieux chez Michel Perache : Marguerite Délaissée qui a trois ans et demi et Marie Labandonnée qui a dix-huit mois.

Il n'y a plus de patronymes vraiment malsonnants bien que l'officier d'état civil se laisse encore aller à faire quelques jeux de mots. Citons seulement deux cas : Antoine Vanveille (A. Vanveille, "avant-veille"), Antoine Niversaire (A. Niversaire, "anniversaire").

Vers des patronymes plus ordinaires

Une nouvelle étape est franchie après 1841. Par sa circulaire du 13 août de cette année-là, le ministre de l'Intérieur rappelle que les prénoms choisis ne doivent pas être discriminatoires. De plus en plus souvent des noms qui se retrouvent fréquemment dans la région sont attribués aux enfants abandonnés :

Marie Longin (1851) Onésime Courbon (1853) Pierre Clairet (1855)
Paul Rizand (1851) Jean Joseph Fenon (1853) Félix Dumas (1855)
Jean Fournier (1851) Baptiste Dufour (1853) Germaine Bonnefoi (1855)
Bénigne Bruyère (1851) Antoinette Grange (1853) Antoinette Esserte (1856)
Ambroise Chaux (1851) Marie Dutreuil (1853) Félicité Giraud (1856)
François Xavier Dupin (1851) Simon Louis Drevet (1854) Antoinette Faverjon (1856)
Marie Grange (1852) Aurélien Rousset (1854) Jeanne Marie Simonet (1856)
Marguerite Faure (1852) Just Delorme (1854) Cyrille Vaillant (1856)
Jean Bouchet (1852) Jean Baptiste Roux (1854) Joseph Grangeon (1856)
Clotilde Combe (1852) Françoise Baroux (1854) Pierre Marie Durand (1857)
Jean Marie Soleillant (1852) Adèle Montet (1854) Célestin Roche (1858)
Sylvestre Rival (1852) Claudine Duchamp (1855)    

A la même époque l'usage d'un deuxième prénom servant de nom patronymique devient fréquent :

Thérèse Alain (1851) Etienne Noël (1852)
Marie Thomas (1852) Aubin Grégoire (1853)
Rose Damien (1852) Jean Bernard (1853)
Jean Marie Simon (1852) Alexandre Vital (1854)
Jean Rémi (1852) Marie Louise Pascal (1857)
Thècle Clément (1852) Louise Françoise Marie (1857)
Jean Baptiste André (1852)    

On en revient, en quelque sorte, à la pratique de l'Ancien Régime, l'attribution de simples prénoms. Ces nouvelles habitudes sont à mettre en relation avec d'autres efforts faits dans le même temps pour améliorer la condition des enfants abandonnés, notamment l'élaboration du Règlement du service des enfants assistés de 1859. Hommes politiques et économistes s'inquiètent de plus en plus de la baisse de la natalité et portent un intérêt nouveau aux enfants trouvés. Un vrai nom facilitera, bien évidemment, leur insertion dans la société, notamment le mariage des garçons. Mais il aura fallu près d'un siècle et bien des tâtonnements pour arriver, sur ce plan, à une situation plus convenable.

Pour conclure


Constatons simplement que pour nommer les enfants trouvés les pratiques ont grandement varié au cours du temps. Et la région forézienne n'a pas toujours été à l'unisson avec l'ensemble du pays (16). Le choix des patronymes nous renseigne un peu sur la mentalité du moment. Le passage du simple prénom qui est en faveur sous l'Ancien Régime à des dénominations parfois totalement fantaisistes ou péjoratives aux époques suivantes est sans doute révélateur de la façon dont sont accueillis les enfants trouvés : acceptation comme un misère inévitable, embarras, mépris voir rejet puis, à partir de seconde République, une humanisation progressive… Mais le trajet est loin d'être achevé.

Notons aussi que ces patronymes créés de toutes pièces ont notablement enrichi le stock des noms de famille et qu'ils ne sont pas sans poser maintes énigmes aux généalogistes.

Joseph Barou


(1) Article tiré en partie de J. Barou, "Enfants abandonnés en Forez de Louis XV à la IIIe République 1715-1889)", Village de Forez, 1990.
(2) Joseph Chalier qui dirigeait les révolutionnaires lyonnais avait été exécuté le 15 juillet 1793, six mois plus tôt.
(3) C'est ainsi que Javogues avait nommé la ville en représailles après son soutien aux Lyonnais.
(4) Circulaire préfectorale, lettre du préfet de la Seine du 10 août 1812 au maire du XIIe arrondissement, citée par Albert Dupoux, Sur les pas de Monsieur Vincent, Paris, 1958.
(5) Sené : drogue purgative tirée des feuilles du cassier.
(6) Camphre : substance extraite du camphrier.
(7) Casse : pulpe purgative tirée du fruit du cassier.
(8) Les mouchettes sont des ciseaux particuliers servant à moucher les chandelles.
(9) Machuré : terme régional et populaire pour noirci.
(10) Le Planard, l'habitant de la plaine du Forez.
(11) La camarde : la mort, langage populaire.
(12) Basilic : monstre fabuleux, sorte de serpent issu d'un œuf pondu par un coq et couvé par un crapaud.
(13) Graphomètre : instrument servant à mesurer les angles en vue de relever un plan.
(14) Alidade : instrument d'arpentage servant à mesurer les angles.
(15) Cycloïde : ligne courbe produite par l'entière révolution d'un point appartenant à un cercle qui roule sur une droite sans glisser
(16) Cf. l'étude beaucoup plus générale : Noms et destins des sans famille, publié sous la direction de Jean-Pierre Bardet et Guy Brunet, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 2007.

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Enfants abandonnés

 

Enfants abandonnés à Montbrison de 1715 à 1889

(notices)