(dessin du docteur Noëlas, archives Diana)

Les déclarations de grossesse en Forez
sous l'Ancien Régime

 

 

 

Marie Dusson

 

Acte du 11 février 1744

Notaire : Morel

Archives de la Diana

(Antenne des archives départementales)

 

 

Marie Dusson, servante chez Guy Gras un vigneron du faubourg

de la Madeleine à Montbrison

Documents


Résumé

       Marie Dusson, âgée de "27 à 28 ans", native du hameau de la Rivière, paroisse de Bard, fait sa déclaration le 11 février 1744. C'est la fille de Jean Dusson, vigneron, et de défunte Marie Laurent.

       Elle s'adresse à Etienne Pasturel, chanoine de Notre‑Dame de Montbrison et l'un des recteurs de l'hôtel‑Dieu Sainte‑Anne. L'acte est passé dans la maison du chanoine. Il semble que  Marie Dusson ait prévu, après son accouchement, de remettre son enfant au bureau de l'hôtel‑Dieu,  qu'elle soit allée trouver l'un des recteurs et que celui‑ci l'ait invitée à dire toute la vérité sur son cas. Après quoi, le notaire Morel a été appelé pour consigner sa déclaration et permettre ainsi à l'hôtel‑Dieu d'entreprendre une procédure contre le séducteur.

       Marie Dusson est restée de Noël 1742 à la veille de la Saint‑Luc 1743 au service de Guy Gras l'aîné, "demeurant vis‑à‑vis l'église Sainte‑Madeleine". Elle a été séduite par son maître, un vigneron veuf.

       Marie Dusson revient d'abord sur une précédente déclaration :

       "... luy a dit et exposé que sy bien elle a fait acte de declaration de grossesse des faits d'Antoine Arthaud pardevant ledit notaire la verité est qu'elle n'a jamais eu aucun commerce fréquentation ny connoissance avec ledit Arthaud qu'au contraire il ne luy a parlé qu'en vüe de mariage, et très rarement, toujours en présence de gens non suspects, qu'il n'a non plus monté avec elle dans la fenière de Guy Gras... "

       "Elle n'a fait lad. déclaration que par les pressantes sollicitations qui luy ont été faites par ledit Gras l'ayné..."

       Puis elle parle du comportement de son maître :

       "... Le motif des sollicitations dudit Gras provenoient de ce qu'il avoit abusé d'elle et luy avoit ravy son honneur pendant le temps qu'elle a été son domestique, nottament dans le temps de la levée du regain..."
       "... Gras profittant de la proximitté de son lit avec celuy de ses servantes qui tous deux étoient dans la même chambre, vint trouver ladite Dusson qui estoit couchée dans son lit avec l'autre servante, et ledit Gras proposa à lad. Dusson de le laisser coucher auprès d'elle à quoy elle ne voulut consentir et s'estant aperçu que l'autre servante nommée Symonne Duchez ne dormoit point ledit Gras pris le party de se retirer dans son autre lit..."

       Le maître décide alors de se débarrasser d'un témoin gênant, la deuxième servante :
       "... Quelques jours après il donna le congé à ladite Duchez et la sortit de sa maison."

       Il poursuit ensuite son entreprise :

       "... Peu de jours après ladite Dusson se trouvant seule dans son lit qui étoit dans la chambre dudit Gras, ce dernier la vint joindre dans son lit et la connut charnellement une seule fois, et continua ce commerce de temps à autre..."

"A LA SAINT‑MICHEL... TROUVER UN TEMPERAMENT POUR L'EPOUSER"

       S'étant aperçue qu'elle était enceinte Marie Dusson informe son maître :

       "...qui luy dit qu'il voudroit trouver un tempérament pour l'épouser sans que ses parents puissent s'y opposer" car Marie a encore sa mère.

       Il lui conseille de rechercher un certain Peragüe pour le forcer à l'épouser. Marie veut parler d'Antoine Arthaud qui avait été domestique auparavant en même temps qu'elle dans la maison de Peragüe au hameau d'Estiallet ; Antoine Arthaud est d'ailleurs le beau‑frère du maître, Peragüe. Le vigneron, pour sa part, promet que "pour faciliter ce maria­ge il donneroit cent écus".

       Dans un premier temps, le stratagème semble réussir :

       "...Effectivement elle
auroit rencontré ledit Peragüe [Antoine Arthaud] le jour de St‑Michel [29 septembre] dernier et l'auroit engagé de contracter mariage avec elle ce qu'il fit le meme jour par acte receu Duby notaire."

       Et le vigneron du faubourg de la Madeleine se prépare à payer pour cacher sa mauvaise action :

       "... Auquel temps ledit Gras déposa sous main lad. somme de cent écus ou trois cents livres [qu'il] comptat et livrat à Pierre Thynet vigneron de cette ville pour la remettre à ladite Dusson et audit Peragüe lors de leur célébration de mariage."

       Cependant la supercherie est découverte :

       "... Mais les parents de ce dernier et luy même s'estant opposés a la célébration du mariage estant prévenus de la grossesse de ladite Dusson à laquelle ledit Peragüe [Antoine Arthaud] n'avoit aucune part, elle a resté dans l'état present..."

       Marie Dusson s'adresse, une nouvelle fois, à son maître :

       "... Elle auroit fait ses reproches audit Gras et luy auroit remontré l'obligation qu'il avoit contracté de l'épouser après luy avoir ravy son honneur..."

       Avec le même cynisme, Guy Gras s'obstine :

       "... Pour toute satisfaction il luy dit qu'elle n'aurait qu'à faire sa déclaration de grossesse en faveur dudit Peragüe [Antoine Arthaud] moyennant quoy il luy donnoit toujours la même somme de trois cents livres qu'il avoit déposée mais toujours sous condition de ne pas parler de luy..."

DECLARATION FAITE "MAL A PROPOS"

       Le 29 décembre 1743, par acte reçu Morel , Marie Dusson avait fait effectivement, "mal à propos", une déclaration de grossesse contre Antoine Arthaud, un garçon qui l'avait précédemment fréquentée. Elle indiquait aux recteurs de l'hôtel‑Dieu qu'elle est allée il y a "environ deux années et quelques mois" demeurer domestique chez un nommé Peragüe au hameau d'Estiallet de la paroisse Ste‑Madeleine de Montbrison.

       "Dans la même maison résidoit aussy Antoine Arthaud beau frère dudit Peragüe pendant lequel temps ledit Arthaud la poursuivit plusieurs fois pour lui ravir son honneur luy promettant et protestant de l'épouzer, cependant il n'auroit pu y réussir..."

       "Pour füir le danger" elle s'engage chez Guy Gras l'aîné "dans laquelle maison elle fut encore poursuivye par ledit Arthaud qui luy faisoit toujours des promesses de l'épouzer..."

       Enfin il parvient à entrer dans la maison de Guy Gras "sur le commencement de la nuit par une porte de derrière qui étoit ouverte et venoit joindre ladite Dusson dans l'écurie dudit Gras sur laquelle écurie il y a une fenière ou ladite Arthaud auroit suivy ladite Dusson étant seule il l'auroit connû charnellement quelques mois après la feste St‑Jean Baptiste dernière, et auroit ensuitte continué de la venir joindre dans ladite écurie où il la connoissoit de meme charnellement, et la dernière fois étoit environ six jours avant le jour de St‑Michel dernier..."

       Le 19 septembre Antoine Arthaud et Marie Dusson passent un contrat de mariage reçu par le notaire Duby. Marie indique ensuite que "comme il y a eu des opositions à la célébration dudit mariage ledit Arthaud n'a pû l'épouzer quoiqu'il luy promette journellement de le faire". C'est pour cela qu'elle fait sa déclaration en affirmant qu'elle n'a jamais eu d'autres relations qu'avec Antoine Arthaud. 

       Cette déclaration mensongère avait été faite, avoue‑t‑elle au cours de la déclaration suivante "sous la flatteuse espérance de l'obliger à l'épouzer et de pouvoir par la recueillir cette somme consignée."

 

"POUR RENDRE JUSTICE A LA VERITE"

       La démarche de la servante a été vaine. D'une part Antoine Arthaud ne veut plus l'épouser, d'autre part Guy Gras a récupéré la somme consignée :
       "...Gras ayant été informé quelle avoit fait sa déclaration en faveur (!) dudit Peragüe, a suscitté son frère praticien et clerc à M[aîtr]e Chaul de retirer cette somme de trois cents livres des mains dudit Thynet où elle étoit déposée, à quoy ledit Gras a parfaitement reüssy sous les prétextes de vouloir l'as­surer à ladite Dusson." 

        Marie, "forcée par sa conscience et pour rendre justice à la vérité", reconnaît qu'elle a menti en mettant en cause Antoine Arthaud, que le seul responsable est Guy Gras. Elle demande au chanoine Pasturel, pour elle et son enfant, "de vouloir prendre soin du tout et de faire en leur nom toutes diligences et procédures nécessaires contre ledit Gras."