(dessin du docteur Noëlas, archives Diana)

Les déclarations de grossesse en Forez
sous l'Ancien Régime

 

 


Benoîte Chataigner

Acte du 4 avril 1769

Notaires : Bernard et Barrieu

Archives de la Diana

(Antenne des archives départementales)

 

 

Benoîte Chataignier abandonnée par le sieur Roche écrivain

Documents :

1- déclaration






2 - Lettre de Roche à Benoîte Chataigner




(Analyse)

Benoîte Chataigner

BENOITE CHATAIGNER ABANDONNEE PAR LE SIEUR ROCHE, ECRIVAIN

 

       Déclaration de Benoîte Chataigner contre le sieur Roché, écrivain :
      
       "Cejourd'hui quatrième avril mil sept cent soixante neuf après midy pardevant les no[tai]res royaux au baillage de Forez à Montbrison soussignés est comparue Benoitte Chataigner fille mineure de Jacque Chataigner jour­nailler et de deffunte Marie Picq demeurante à Montbrison, rue des Bouchers (1) paroisse de St‑Pierre.

       laquelle a déclaré auxd[its] no[tai]res qu'est a eut le malheur de faire la connoissance il y a environ dix mois du sieur Roché écrivain demeurant  cy‑devant en la ville de St‑Chamont et antérieurement en celle d'Annonay qui sé­journa quelque tems en cette ville, que led[it] Roché luy témoigna être dans l'intention de contracter mariage avec elle, et sous l'espérance dont il la flatta à cet égard chercha à la sédui­re, qu'ayant resistée long tems à ses sollicitations, sa vertu lassée de combat­tre succombat enfin, et que led[it] Roché toujours sous la promesse réitérées de l'épouser la connut plusieurs fois charnellement, qu'elle se trouve enceinte de ses faits et est dans le neufvième mois de sa grossesse,

       mais que led[it] Roché bien loin de tenir ses promesses la abandonné et s'est retiré dans la promesse d'où il luy a écrit de la ville de Marseille sui­vant la lettre qu'elle a reçu par la poste dattée du sept décembre dernier qu'elle nous a exhibé et remise pour être par nousdits notaires parraphées et jointe et annexée aux présentes pour servir et valoir ce que de raison,

       et comme lad[ite] Benoitte Chataigner est informée de l'obligation où elle est de déclarer sa grossesse, pour satisfaire à ladite obligation elle a fait la présente décaration auxd[its] no[tai]res qu'elle a affirmé sincère et véritable et de laquelle ainsi que de la remise de lad[ite] lettre par nous parraphée, elle a requis acte que nous luy avons octroyé pour servir et valloir ce que de raison 

       aud[it] Montbrison dans le domicille de lad[ite] Chataigner où nous nous sommes transportés à sa prière lesd[its] jour et an

       et a lad[ite] Chataigner déclarée ne scavoir signer de ce enquise et sommée.

                                                                               Bernard                         Barrieu" (2)

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       Nous pouvons faire plusieurs observations à propos de cette déclaration :

       . Le notaire emploie une tournure élégante et délicate pour dire que Be­noite a été séduite : "sa vertu lassée de combattre succomba enfin".
       . Une lettre "reçue par la poste" est annexée à l'acte.
       . L'acte est passé au domicile de Benoîte, par deux notaires et sans té­moins, ce qui est inhabituel. 
       . L'"écrivain" circule beaucoup : cinq lieux de résidence différents sont indiqués dans l'acte.
       . Enfin la missive du "maître écrivain" (texte qui suit) est assez bien tournée mais comprend de nombreuses fautes d'orthographe.

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LETTRE DE ROCHE A BENOITTE CHATAIGNER

(adresse)

A Mademoiselle Benoite Chatainé
demeurant chez son père
proche la Boucherie
à Montbrison en Forets
par Lyon

De Marseille ce 27e de[cem]bre 1768.
Mademoiselle chere amie
       Je ne sçay par quelle raison vous n'avez pas repondu a ma dernière lettre ce qui m'a causé beaucoup de chagrin et m'en [cause] continuellement
       j'ay lieu de penser ou que vous etes malade ou que vous voulez rompre avec moy 
       pour moy je vous seray fidelle et ne vous oublie point
       je vous diray ma chere avec joye que l'ay enfain obtenu une place a six
lieu de Marseille le long de la mer ou je suis depuis quinze jours
       cette place vaut cinq cent livres
       je vous écrit cependent de Marseille ou je suis venu passer les festes de nouelle (3).
       je souhaite que la présente vous trouve en bonne sancté
       la mienne n'est pas mauvaise il n'y a que vous qui me la derangez en me privant du plaisir de recevoir de vos cheres nouvelles
       je vous prie en grace sitost que vous recevez mes lettres d'y repondre car il y a au moins quinze jours que vous auriez dheue m'ecrire
       je languis après cette heureux moment
       instruisez moy de l'état de votre chere santé de vos affaires ne me cha­chez rien informez moy des nouvelles de votre pere de votre belle mere surtout de vos soeurs que j'embrasse ainsy que vous du meillieure de mon coeur
       faites moy sçavoir si vous avez reçu ma derniere lettre et si ce soldat qui est de chez vous que j'ay veue a avignion est allé au peis et s'il vous a remis une lettre de ma part
       souffrez ma chere que je vous souhaitte en finissant ma lettre par anance une bonne année accompagnée de plusieurs autres et toutes sortes de benediction du ciel et qu'il nous fasse la grace au plustost de nous unir ensemble si c'est pour sa gloire et notre salut
       fasse le ciel que mes voeux soient exaucés
       c'est dans ces sentiments que je finis en vous embrassant derechef et suis sans reserve votre sincere
amy Roché
       je salue votre pere belle mere et soeurs en general
       La ou je demeure c'est le long de la mer
       il y fait assez bon vivre mais dans l'été l'endroit y est fort fievreux
       il ne fait pas encore froid car aujourd'huy jour de nouel j'ay veue bei­gnié des enfans a la mer
       je voudrois pouvoir vous envoyer des fleure et autres chose curieuse comme orange, raisins figue tout cela est abondant
       j'ay comme chez vous les serises dans la saison les oranges valent un liard (4) la pièce

       les fleurs y sont superbes comme chez vous à la St Jean encore plus il y a rose renoncule oeuilliets jasmain violette double simple muguets et toute autre sorte de fleure mais nous sommes trop eloignés avec le temps nous nous raproche­rons et vous metterez en usage toute ces choses
       ménagez votre sancté
       si vous quittez Montbrison dans quelque circonstance faites moy part la ou vous serez car je veux avoir de vos nouvelles
       je vous aime plus que moy même et vous en donneray des marques
       ne manquez sitost la presente receue de m'écrire
       vous adresserez votre lettre a Monsieur Savat garson tapissié demeurant chez Monsieur Dubois maitre tapissier rue de nouaille pour faire tenir s'il luy plaist a Monsieur Roché maitre ecrivain a Berre (5) en Provence
       j'enrage quand j'entend mentir je ne l'ay dit que cette fois depuis vous
       adieu ma chere amie (6)
       parraphé par les no[tai]res souss[ign]és en conséquence de l'acte ci‑dessus fait cejourd'huy quatre avril mil sept sent soixante neuf

 

Bernard             Barrieu"

(1) Actuelle rue de la Préfecture.
(2) Archives Diana, fonds des notaires, Barrieu, 1769.
(3) Noël.
(4) Le quart d'un sou.
(5) Aujourd'hui Berre‑l'étang, chef‑lieu de canton de l'arrondissement d'Aix‑en‑Provence, Bouches‑du‑Rhône
(6)Ces deux dernières lignes qui sont de la même main nous paraissent assez sybillines.