L'asile
de l'hôtel d'Allard
(1855-1860)
première école maternelle de Montbrison
Joseph
Barou
Au
début du second Empire la municipalité de Montbrison
ouvre une "salle d'asile" pour les jeunes enfants.
L'institution, toute première école maternelle
de la ville,. s'installe, pour quelques années seulement,
dans l'hôtel particulier que M. d'Allard, mort en 1848,
vient de léguer à la commune. Suivons ses premiers
pas.
Assurer un asile aux enfants
des classes ouvrières
En 1853, le maire, C. Durand, a la
pieuse pensée de doter sa ville d'une aussi admirable
institution. Ainsi les cultivateurs, les ouvriers,
les domestiques, ceux qui passent tout
leur temps d'un soleil à l'autre loin de chez eux, pourront
confier à des mains sûres leurs jeunes enfants,
ces plantes si frêles et si flexibles que le premier souffle
qui les agite pour n'être pas meurtrier, doit s'échapper
de la bouche de Dieu ou du cur d'une mère.
Le ton est donné, il s'agit d'une uvre sociale
à caractère éducatif et religieux. Son
but est d'assurer aux enfants des classes
ouvrières surtout, un asile où ils puissent, avec
les soins physiques dont ils ne sauraient se passer, recevoir
le premier enseignement moral et religieux.
Effectivement beaucoup, parmi les enfants du peuple, manquent
des soins les plus élémentaires : ces
petits malheureux, abandonnés dans les rues, exposés
aux rigueurs et aux intempéries des saisons, passent
ainsi les premières années de leur existence au
milieu des dangers de tous genres, et dans un désordre
où ils prennent des mauvaises inclinations, de mauvais
principes... Et chacun de regretter qu'ensuite, même
à l'école des frères, il soit difficile
de les rendre honnêtes et laborieux.
L'angélique dévouement
des dames de Saint-Charles
M. de Saint-Pulgent, qui succède à M. Durand comme
maire de Montbrison, réalise le projet. Deux salles de
l'hôtel d'Allard, actuel musée de Montbrison, subissent
quelques aménagements, et le 21 juin 1855 l'asile ouvre
ses portes aux petits Montbrisonnais.
Les Dames de Saint-Charles
acceptent d'en assurer la direction. Omniprésentes dans
la cité, elles s'occupent déjà des écoles
communales de filles et de l'hospice de la Charité. C'est
pour les religieuses une satisfaction
de cur de penser qu'elles prennent les
enfants au sortir du berceau et forment la
plupart de ces jeunes âmes, sans interruption jusqu'à
la vie active.
Les premiers pas
Au début, il y a une trentaine d'enfants sous la direction
de Sur Saint-Alphonse qui est aidée par une domestique.
Un vestibule, un petit préau, une salle avec quelques
bancs suffisent.
A la rentrée d'octobre, il y a 75 enfants. Il faut aménager
une nouvelle pièce, avec des gradins. La municipalité
demande instamment le concours d'une nouvelle religieuse. Il
est grand temps : en janvier il y a une centaine d'enfants et
sur Saint-Alphonse tombe gravement malade. Elle meurt
peu après. Sur Saint-Robert reste seule jusqu'à
l'arrivée, en mai 1856,de sur Saint-Emé.
En juin, les effectifs se stabilisent autour de 160 jeunes élèves,
ce qui fait deux bonnes sections de quatre-vingts, rude tâche
pour les deux maîtresses !
L'asile est ouvert de sept heures du matin à six heures,
sept heures, parfois huit heures du soir, soit treize heures
par jour ! Des élèves prennent leur repas de midi
à l'école. Dans le vestibule, ils rangent les
petites provisions dans un panier que
visitent exactement les directrices pour s'assurer de la quantité
et de la qualité des aliments... L'une des directrices
préside toujours ces modestes agapes...
Pour de si longues journées des lits sont bien utiles.
On installe des lits de camp et, observe M. de Saint-Pulgent,
c'est merveille de voir dormir ces
intéressants petits êtres pendant les grosses chaleurs.
Un vestibule bien aéré sépare les deux
salles. Une fontaine avec de l'eau filtrée pour se laver
et se désaltérer est réservée exclusivement
à l'asile.
Les parents, suivant de déplorables
habitudes, laissent leurs enfants dans
un état de malpropreté déplorable pour
la santé, aussi les religieuses font preuve
de vigilance : pour les soins à
donner à la propreté, on se sert de plusieurs
éponges et d'une eau qui se renouvelle et coule sans
interruption... un rouleau autour duquel circule une toile sans
fin pour essuyer les mains ; pour la figure on se sert de serviettes...
Le docteur Rey assure gratuitement les fonctions de médecin
de l'asile. Il effectue les visites médicales et constate
que les enfants ont bien été vaccinés.
L'état sanitaire de l'école est bon si l'on excepte
quelques coqueluches...
Les dames patronnesses
Un arrêté du 27 novembre 1855 du préfet
Ponsard nomme les membres du comité de patronage de la
salle d'asile publique de la Ville. Outre le maire et le curé,
il y a trois dames patronnesses :
Mesdames de Saint-Pulgent, Dorier et Aucher.
Pour installer l'asile, la ville a dépensé plus
de 6 000 F et en 1855 les dépenses annuelles s'élèvent
à 1 150 F, correspondant aux salaires des surs
et de la femme de service.
L'école est gratuite. Les ressources proviennent d'une
subvention de l'Etat (500 F), d'un secours de l'Impératrice
(200 F) et des libéralités du public. M. de Saint-Pulgent
parle d'organiser une loterie au profit de l'asile : Qui
nous refusera son obole pour une uvre aussi intéressante
?
La pédagogie
Il n'y a pas de pédagogie spécifique pour ces
classes préélémentaires. On commence tout
bonnement l'enseignement primaire. Suivons encore le reportage
de M. de Saint-Pulgent en visite à l'asile.
On commence, bien sûr, par la prière récitée
en commun dans la petite salle. Les élèves sont
partagés en groupe de cinq, avec à leur tête
un moniteur qui porte une marque distinctive. Ce petit chef
s'est fait remarquer par son intelligence,
sa piété, son application.
Ensuite, on exécute la marche
muette mais en cadence autour des bancs, puis la marche accompagnée
de chant. Enfin on passe dans la salle aux gradins. On se range
autour des tableaux de lecture. A un signal donné, les
moniteurs prennent leurs baguettes ; puis à un autre
signal, la lecture ou plutôt l'épellation commence.
C'est alors un petit ramage qui est pour vous de la confusion
; mais chacun sait très bien s'isoler. Approchez-vous
de ces tableaux, et vous entendrez très distinctement
chacun dire sa petite leçon...
Les religieuses enseignent encore aux enfants les
choses les plus usuelles : mois de l'année,
jours, nombres, heures, les éléments de géographie
et, bien sûr, le catéchisme et l'histoire sainte.
Les élèves chantent souvent, en
mesure autant qu'on le peut, et la devise de l'asile
pourrait être : santé
parfaite et gaieté.
Les "exercices de clôture"
d'août 1856
Comme pour un collège, une sorte de distribution des
prix achève l'année scolaire, en août 1856.
Le sous-préfet Tézenas, les curés de la
ville, le maire et son conseil et les notables se pressent pour
les exercices de clôture à l'asile.
Les bambins exécutent quelques mouvements d'ensemble
qui enthousiasment les beaux messieurs :
La santé de nos bons petits
élèves, leur obéissance, leur gaieté,
la facilité avec laquelle ils se livrent à la
gymnastique convenable à leur âge, leur instruction
religieuse et leur science enfantine ont émerveillé
l'auditoire...
Le rapport de Monsieur de Saint-Pulgent
Monsieur de Saint-Pulgent, maire de Montbrison, lit devant tous
un long rapport qui fait l'historique du jeune établissement
et dresse un premier bilan après quatorze mois de fonctionnement.
Tout est parfait :
Les enfants sont gais... Ils viennent
à l'asile avec plaisir. Ils ont contracté des
habitudes d'urbanité qui les suivent partout. Ils sont
bienveillants les uns pour les autres. Ils aiment beaucoup les
surs... Les parents apprécient l'importance de
cette institution. Ils en ressentent déjà les
bienfaits, et tout nous fait croire que plus nous irons, plus
cette confiance des mères de famille ira en grandissant,
et plus notre asile se peuplera...
La directrice
est pour les chers petits une
mère substituée par la religion à la vraie
mère...
Le maire de Montbrison profite de l'occasion pour adresser les
louanges d'usage au régime impérial en se tournant
vers le représentant de l'Etat :
Vous le voyez, Monsieur le sous-Préfet,
tous ont travaillé à répondre à
la pieuse pensée de Sa Majesté l'Impératrice,
lorsqu'elle a pris sous sa haute protection les salles d'asiles.
Puisse-t-elle savoir ce qu'il y a au fond de nos curs
de respectueuse reconnaissance pour sa maternelle sollicitude
!
Mes enfants, ne faites jamais
cause commune
avec cette petite bohème indigène qui habite les
rues.
Avant de procéder à une distribution de petits
livres et de jouets, Monsieur de Saint-Pulgent fait aux enfants
ses dernières recommandations avant les grandes vacances.
Le discours prête à sourire quand on sait qu'il
s'adresse à des élèves de moins de six
ans :
Nous vous rendons pour quelques jours
à vos familles, mes chers petits enfants, car vos directrices
ont besoin de repos. Conservez cette gaieté et les habitudes
de propreté que vous avez contractées ici. Comme
à l'asile, faites tous les jours votre prières,
amusez-vous bien.
Mais je vous en conjure, ne faites jamais cause commune avec
cette petite bohême indigène qui habite les rues,
et ne rentre au foyer domestique que pour manger et dormir.
Vous feriez un grand chagrin à vos parents, à
vos pasteurs, à vos magistrats. Si, au contraire, vous
êtes de sages enfants, Dieu et les hommes vous béniront.
Que peut-on ajouter après un aussi bel envoi ? La salle
d'asile publique de Montbrison, une des toutes premières
de la région est une oeuvre sociale, mi-école
maternelle, mi-halte-garderie. Financement aléatoire,
locaux et matériels sommaires, pédagogie balbutiante,
effectifs incroyablement lourds, la salle d'asile a cependant
le grand mérite d'exister et de fonctionner gratuitement.
Le nombre des élèves semble bien indiquer que
l'institution répond à un vrai besoin et que les
parents, malgré la nouveauté de la chose, lui
ont vite fait confiance. Sa création montre que les édiles
de Montbrison, suivant en cela les consignes du pouvoir impérial,
ont le souci d'améliorer les conditions de vie des classes
laborieuses.
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L'asile resta peu d'années à l'hôtel d'Allard.
En 1860, fut inauguré - encore sous le nom d'asile -
le bâtiment de l'école maternelle de la place Bouvier.
Aujourd'hui encore c'est une des écoles maternelles de
la ville, l'Ecole maternelle du Centre.