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Hommage
au Père Couturier
sa vie et son uvre
Le
9 février 1954 décédait à Paris
une des personnalités les plus marquantes de l'art contemporain
; le Révérend Père Marie-Alain COUTURIER,
peintre et écrivain de talent, né à Montbrison
le 15 novembre 1697.
Son père, M. Joannès COUTURIER, était minotier
à Estiallet, sa mère, née Marie DERORY,
appartenait elle aussi à une famille de meuniers originaire
de Sail-sous-Couzan. Pierre était leur second enfant.
Son enfance s'écoula dans cette paisible vallée
du Vizézy et le premier paysage qui enchanta ses yeux
d'artiste fut celui de la rivière serpentant entre les
gorges de la Route Nouvelle. A travers l'écran des arbres
il aperçoit le ciel gris perle légèrement
teinté de bleu.
Les jours de marché à Montbrison, il prend plaisir
à voir descendre les paysans de la montagne :
Cela fait, écrit-il
plus tard,
une interminable procession de voitures
secouées par le trot grêle des vieux chevaux. Ils
arrivent par la seule route qui descende de la montagne, là
où les villages ont des noms sonores et rébarbatifs
de siècles très anciens. Ce soir, ils remonteront
très lents, avec la patience accumulée dans leurs
âmes par des générations d'aïeux tenaces
et serviles. Ils regagneront très tard dans la nuit de
petites fermes, pour la plupart misérables, perdues dans
des creux où elles semblent vouloir se faire oublier,
au milieu de leurs misères et des aridités de
leurs champs.
II est très attaché à son Forez natal et
l'on trouve dans sa correspondance des pages pleines de poésie
:
Je me laisse reprendre ici par la belle
lumière de mon pays. A chaque retour, je la trouve plus
belle. J'ai revu ces sèches petites collines caillouteuses
dont les premières pentes sont plantées de vignes
et de prés, et les crêtes couvertes de pins et
d'herbes rares. Et puis, la grande plaine du Forez avec les
bancs de sable de la Loire et des arbres partout. J'ai vite
retrouvé tous les sentiers de mon enfance, dans les petits
bois de chênes et de pins qui s'appellent le Bois d'Amour,
le Verdier
C'est un pays que j'aime trop pour avoir encore
envie de le peindre. Il me suffit de le regarder
Et cette autre si émouvante :
J'ai retrouvé la douceur endormante
de mon pays et le bel été du Forez a repris peu
è peu l'enfant prodigue qui crut un jour pouvoir se passer
de lui. Ceux qui y sont venus d'ailleurs vous diront que j'ai
exagéré et qu'il n'est pas si beau que cela, mon
pays, gris et terne sous son ciel pâle. Comment en sauraient-ils
la douceur puisqu'ils y viennent et que l'on n'aime jamais bien
que les pays d'où l'on s'en va. Ah ! les choses, les
gens, les souvenirs que l'on quitte, tous ces êtres dont
on croit que l'on s'est "débarrassé",
ce n'est pas nous, c'est toujours eux qui nous quittent et il
vient toujours une heure où nous sentons qu'en s'en allant
de nous, c'est encore un peu de notre cur qu'ils ont emporté.
Car nous n'aimons jamais le monde extérieur qu'avec notre
égoïsme, et c'est ce qui fait après tout
la valeur de nos souvenirs et l'émotion de ces lieux
où l'on souffre sans raison, et que l'on reconnaît
sans y être jamais allé - et aussi la pauvreté
du pauvre cur humain.
Pierre COUTURIER fait ses études secondaires à
l'institution Victor-de-Laprade, petit séminaire de Montbrison,
mais ce qui l'intéresse surtout c'est la peinture. Un
peintre stéphanois ami de sa famille, M. LAMBERTON, l'initie
à cet art et il en est tout de suite épris.
Mobilisé en 1916, il est blessé au pied droit
en 1917, et après un séjour dans un hôpital
de Pau, il ne retournera pas au front. II va donc avoir tout
le loisir de s'adonner à sa passion artistique. Sa vie
se partage entre Montbrison et Paris où il lie connaissance
avec de jeunes artistes, notamment Maurice DENIS, fondateur
des Ateliers d'Art Sacré :
Je ne me rappelle qu'avec ravissement,
écrira-t-il en 1937, les années
où je l'ai connu. Et peut-être déjà
se mêle-t-il à cette émotion la nostalgie
de la jeunesse. Nous étions encore tout près de
nos vingt ans. Denis nous ouvrait le monde des couleurs et des
lignes, et Dieu sait si c'est un monde enchanté ! Denis
était pour nous toute la peinture moderne, toute sa jeunesse,
toute sa liberté. II conduisait à Bonnard, Bonnard
à Matisse, Matisse à Derain et à Picasso,
et, à leur tour, ceux-là, se retournant, reconduisaient
vers leurs aînés : Cézanne et Degas, Renoir
et Manet, Corot et Delacroix.
Le 2 février 1925, Pierre COUTURIER perçoit "l'appel"
à la vie religieuse. Le 14 septembre il entre au noviciat
des Dominicains à Amiens où il prend l'habit le
22 sous le prénom de Marie-Alain. Il est ordonné
prêtre le 25 juillet 1930.
Son talent de peintre ne fait que s'affirmer au cours de sa
vie religieuse.
De 1940 à 1945, il réside en Amérique où
il est professeur à Montréal puis à Baltimore.
II enseigne aussi à New-York. Cette période de
sa vie est très riche en rencontres dans un milieu littéraire
et artistique. Elle est longuement évoquée dans
le recueil de souvenirs intitulé La
vérité blessée paru en 1984
chez Plon.
De retour en France en 1945, le Père COUTURIER va continuer
jusqu'à sa mort (en 1954) à militer pour l'art
sacré contemporain. Nous avons le souvenir d'une conférence
qu'il donna à Montbrison en décembre 1949 pour
dénoncer l'injustice, ou plutôt l'ignorance de
l'Eglise à l'égard des artistes :
L'histoire des rapports entre l'Eglise
et l'Art moderne, dira-t-il, c'est l'histoire d'un divorce,
en tout cas l'histoire d'une incompréhension réciproque
à peu près totale.
L'Eglise qui ne peut cependant pas se passer d'art, ignore les
artistes contemporains, à tel point qu'un Cardinal Verdier,
qui fut pourtant un des prélats qui eurent le plus à
cur de maintenir avec les hommes de son temps des contacts
réels, n'a fait appel à aucun d'eux pour la construction
des cent vingt églises qu'il fit élever dans la
banlieue de Paris. Elles auraient pu être un éclatant
témoignage de l'art contemporain et prendre place parmi
nos chefs-d'uvre si le Cardinal Bâtisseur eût
été mieux inspiré dans les choix de ses
architectes, de ses sculpteurs et de ses peintres.
Lui, par contre, usera de toute l'influence de son amitié
pour amener des artistes incroyants à travailler pour
l'art chrétien : à Assy, à Audincourt,
à Vence (où Matisse le fit poser pour modèle
de son saint Dominique)
Grâce à lui, la construction
du couvent des Dominicains à Eveux, près de l'ArbresIe,
fut confiée à Le Corbusier.
Il était le conseiller et l'ami de Chagall, de Picasso,
de Bazaine, de Léger, de Rouault, de Braque, de Lurçat,
de Matisse, comme de Malraux, Maritain, Jouhandeau, Focillon,
Julien Green. Chacun reconnaissait
en lui un "homme de Dieu", c'est-à-dire un
"homme libre", libre de cette liberté acquise
dans le détachement qui conduit à la justesse
du regard, à la clarté du jugement, à l'exemplarité
du choix (La vérité
blessée).
L'artiste
L'année même de la mort du Père COUTURIER,
une exposition réunissait dans l'ancienne salle du Conseil
général de la Loire, à Montbrison, sa ville
natale, un nombre important de ses uvres : esquisses,
croquis, peintures, aquarelles, traités des manières
les plus diverses, depuis ses débuts vers 1914 jusque
ses dernières années. On pouvait ainsi suivre
tout au long de sa vie l'évolution de son art, toujours
marqué de l'empreinte du génie.
Mais,
ainsi que le faisait remarquer M. Gabriel
Brassart, notre érudit compatriote présentateur
de l'exposition, il manquait la partie
la plus importante de l'uvre du Père Couturier
: les fresques et les vitraux.
En ce qui concerne les fresques, il en a brossé de magnifiques
tant en France qu'à l'étranger : en Belgique,
en Suède, en Amérique. Montbrison s'enorgueillit
d'en posséder quelques-unes dans la chapelle du collège
Victor-de-Laprade. C'est d'abord la grande fresque du chur
mesurant 55 mètres carrés peinte en 1933 avec
l'aide de son ami Pierre DUBOIS. Elle représente un grand
Christ en croix aux membres très allongés, à
la façon du Greco, se détachant sur un fond tourmenté
couleur de sang et de feu ; autour de lui se pressent les saints
et les héros sortis du petit séminaire :
le curé d'Ars, le bienheureux Jean-Pierre
Néel, martyr au Tonkin, un poilu de la guerre
de 1914 qui, sous les traits de l'abbé
Cottancin symbolise le sacrifice des professeurs et élèves
tombés au champ d'honneur, et d'autres personnages aux
physionomies moins reconnaissables évoquant la longue
cohorte des prêtres, religieux et laïcs formés
dans cette maison.
Des fresques moins importantes décorent les chapelles
latérales. Pierre COUTURIER les a brossées l'année
suivante, en 1934, L'une représente une piéta,
l'autre la vocation de saint Louis de Gonzague,
Le Père COUTURIER a aussi excellé dans l'art du
vitrail. On lui doit entre autres les vitraux de la chapelle
des Dominicaines à Vence qui sont une pure merveille
d'inspiration et d'exécution et dont le verre a été
coulé aux Verreries de Saint-Just-sur-Loire (tout comme
les vitraux de Chagall qui ornent la synagogue de Jérusalem).
Il a également exécuté deux des vitraux
modernes de Notre-Dame de Paris autour desquels s'est engagée
une assez violente polémique connue dans les milieux
artistiques sous le nom de "Querelle des vitraux".
L'écrivain
Le Père COUTURIER n'a pas été seulement
un grand peintre mais aussi un grand écrivain. Il n'a
pas laissé, pour ainsi dire, d'ouvrage complet, mais
des milliers de feuilles à partir desquelles plusieurs
volumes ont été composés. D'abord par lui-même
qui, en 1941, réunissait quelques conférences
sous le titre "Art et catholicisme"
et, en 1947, des articles écrits pendant la guerre, mêlés
de notes personnelles "Chroniques".
Puis, après sa mort, le Père REGAMEY, qui fut
son compagnon de route dans l'aventure de l'art sacré,
publia "Se garder libre",
"Discours de mariage",
"L'Evangile
est à l'extrême", "Dieu
et l'Art dans une vie" (retraçant la
vie du Père COUTURIER de 1897 à 1945).
Mais la publication des notes qu'il a laissées loin d'être
terminée va donner matière à plusieurs
volumes dont le premier "La
vérité, blessée"
a paru en 1984. Il a trait aux années passées
en Amérique, de 1940 à 1945, ainsi qu'aux dernières
années de sa vie.
En même temps que ce livre paraissait en librairie un
splendide volume illustré réunissant les numéros
les plus caractéristiques de la revue l'Art
sacré écrits par le Père COUTURIER
comme autant de manifestes en l'honneur de la beauté
dans l'art religieux contemporain :
II faut, écrivait-il, "tout" accepter, "tout"
supporter pour rester sans aucune restriction dans l'Eglise,
mais il faut aussi, sans fin, sans relâche, presser sur
ses bords, sur ses frontières pour les dilater. Et cela
d'un seul et même mouvement né de la foi.
Toute sa vie il a lutté avec passion pour ce qu'il considérait
comme un idéal : la restauration
du goût des gens et de leur sens poétique".
Oui, Montbrison peut être fier d'avoir donné naissance
à une personnalité telle que le Père COUTURIER,
à la fois artiste, écrivain, philosophe. Il a
laissé également des écrits d'une haute
spiritualité notamment dans sa correspondance avec Elisabeth
de Miribel qui eut une destinée hors du commun.
Pour perpétuer encore davantage son souvenir la municipalité
a donné son nom à une rue toute proche d'Estialet,
son hameau natal ; c'est un site calme, reposant, bien choisi
pour évoquer le souvenir de celui dont le peintre Braque
a dit : Chez lui, tout était
amour.
Marguerite-Victor
Fournier
Nous
apprenons avec peine le décès de notre éminent
compatriote le révérend père Couturier, survenu
à Paris, le 9 février, à l'âge de 56
ans.
En lui disparaît
l'un des grands
maîtres de la peinture contemporaine, une personnalité
du monde des arts.
Enfant de Montbrison, issu d'une famille dont le moins qu'on puisse
dire est que son amitié vous honore, Pierre Couturier s'adonna
de bonne heure à la peinture. A son entrée dans
l'ordre des Dominicains il possédait déjà
un talent très personnel que ne devait que s'affirmer au
cours de sa vie religieuse.
Le R.P. Couturier (dont les revues spécialisées
retraceront la brillante carrière artistique) a traité
bien des genres et à réussi dans tous.
Peintre de chevalet, il a étudié les sujets les
plus divers dans une quantité de toiles, d'aquarelles ou
de dessins.
Peintre décorateur, il a brossé d'admirables fresques
tant en France qu'à l'étranger. La Belgique et la
Suède lui en doivent de magnifiques. Montbrison, son pays
natal, s'enorgueillit de posséder une de ses premières
uvres de ce genre : la grande fresque ornant l'abside le
la chapelle de l'institution Victor-de-Laprade et celles, plus
petites, décorant les chapelles latérales. Il s'en
dégage cette puissance qui caractérise les chefs-d'uvre.
Le R. P. Couturier a aussi excellé dans le vitrail. On
a beaucoup parlé, il y a quelques années, des vitraux
de la chapelle de Vence qui sont une pure merveille d'inspiration
et d'exécution. Le maître en a fait couler le verre
en Forez, aux verreries de Saint-Just-sur-Loire. Il a aussi composé
deux sur huit des fameux vitraux modernes de Notre-Dame de Paris,
autour desquels s'est engagé une assez violente polémique.
En ce qui concerne l'église d'Assy (autre réalisation
artistique de renommée mondiale), le R. P. Couturier, s'il
n'y a pas collaboré lui-même, a eu le mérite
de réunir pour cette uvre collective les plus grands
noms de l'art moderne. Sa grande amitié avec Henri Matisse
lui a peut-être facilité cette tâche. On dit
aussi qu'il a posé pour le Saint-Dominique tracé
en ligne sobre par le maître sur un fond de clarté.
Ardent défenseur de l'art moderne, le R.P. Couturier a
écrit à ce sujet de nombreux articles qui sont autant
de professions de foi. Il a fait aussi passer sa conviction dans
des conférences où il ne craignait pas de s'élever
énergiquement contre l'incompréhension de l'Eglise
en matière d'art. Il était également directeur
de la revue L'Art sacré qui cherche à éduquer
les foules en matière d'art religieux. Pendant la guerre,
il enseigne la peinture en Amérique.
D'un commerce agréable, d'une grande simplicité,
le R. P. Couturier était aimé de tous ceux qui l'approchaient.
Sa fin prématurée a jeté la tristesse, non
seulement dans les milieux artistiques qui perdent en lui un peintre
de grande valeur, mais aussi parmi ses nombreux amis plus sensibles
à ses qualités de cur et d'esprit.
La population montbrisonnaise, dont il est l'une des gloires,
s'associe au deuil cruel qui frappe sa famille. Elle présente
à son frère, M. Jean Couturier, minotier, président
de la Société des Amis du musée d'Allard,
et à tous les siens, l'expression de ses respectueuses
condoléances.
Marguerite
Fournier
(Presse
locale, 11 février 1954)
Album

Chapelle
du petit séminaire de Montbrison avant la rénovation
de 1933
Quelques oeuvres du Père Couturier
(chapelle du collège Victor-de-Laprade)

Grande fresque du choeur
(cliché J. Barou)

Vocation de saint Louis
de Gonzague
(cliché J. Barou)

Piéta
(cliché J. Barou)

L'Annonciation
(cliché J. Barou)
*
* *
Exposition de Pommiers
(juillet 2018)
Portraits

Abbé Batet, professeur de lettres
à l'institution Victor-de-Laprade

Paysage

Scènes religieuses

Jeanne d'Arc
(château de Goutelas)

Adoration des bergers

Résurrection

Les pèlerins d'Emmaüs

Pentecôte (musée d'art moderne)
*
* *
Vitraux
de Francisco
Bores
posés
en 1968 dans la chapelle
de l'Institution Victor-de-Laprade
(clichés
J. Barou)





Mis
à jour le 11 juillet 2018
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