Montbrison
à la Belle Epoque :
Guerre
des pharmacies
Au
cours du XIXe siècle, Montbrison a longtemps compté
quatre pharmacies qui avaient succédé aux apothicaireries
de l'Ancien Régime. Ce sont des établissements
anciens, souvent installés depuis longtemps dans les
mêmes lieux et qui soignent leur réputation. Plusieurs
officines sont dans la rue Tupinerie, la grande rue commerçante
de la ville où se tient l'important marché du
samedi.

1 - Bel en-tête
de la pharmacie Fessy (1849)
L'Annuaire
de la Loire de 1844 donne pour Montbrison les pharmacies
Lacroix, Denis et Fessy.
L'Annuaire
du département de la Loire de 1888
(Theolier et Cie, Saint-Etienne) recense trois pharmaciens :
Dupuy (Officier d'académie),
Chauve et Bégonnet
; les médecins de la ville sont alors : Rey,
Dulac, Rigodon,
Paul Dulac fils et Girin.

2 - Le très élégant
en-tête des factures d'Henry Dupuy, autre pharmacien de
la rue Tupinerie.
Heny Dupuy fut maire de Montbrison de 1884 à 1887.
Au
coin des rues Tupinerie et Notre-Dame, Chauve successeur
de Fessy
L'une
des plus anciennes est la pharmacie Fessy fondée en 1840.
Dans les années 1870, l'officine est reprise par Pierre
Chauve. Elle est installée au coin de la rue Tupinerie
et de la rue Notre-Dame. En 1886 le pharmacien, Pierre Chauve,
a 47 ans. Il est marié avec Marie-Antoinette Dugay âgée
de 38 ans. Le couple a quatre enfants. Deux fils poursuivent
des études : Marius, 17 ans, étudiant en pharmacie
et Henri, 16 ans. Deux filles, plus jeunes, complètent
la famille : Marie-Amélie, 14 ans et Antoinette, 8 ans.
Louis Montet, un domestique
de 19 ans, vit dans le même appartement.
(1876)
(1881)

3-4 Factures
de la pharmacie Chauve
(archives
de la Diana)
Tony
Rossignol, gendre et successeur de Chauve
En 1897,
douze ans plus tard, à l'approche de la soixantaine,
Pierre Chauve pense à sa succession. Son gendre, le sieur
Rossignol, va reprendre l'officine et non son fils aîné
qui a pourtant étudié la pharmacie. Tony-Polycarpe
Rossignol, "Pharmacien-Chimiste
de la Faculté de Pharmacie de Lyon" a
alors 31 ans et son épouse, Amélie Chauve, 26
ans.
Il faut
changer de nom tout en conservant clientèle et réputation.
Tout cela se prépare avec des méthodes "modernes
" où la "réclame" tient largement
sa place. Car les pharmacies se font entre elles une forte concurrence
qui est encore exacerbée par leur grande proximité.
Détails significatifs, leurs enseignes sont souvent de
grande taille, comme celle, au niveau du second étage,
du pharmacien Ménard, au n° 29 de la rue Tupinerie,
aujourd'hui la Pharmacie principale.
C'est le cas aussi de la pharmacie Bégonnet de la place
de la Grande-Fontaine, devenue la Pharmacie
centrale de la place
des Combattants.
Pour la pharmacie Chauve, les annonces publicitaires mêlent
habilement les noms du beau-père et du gendre pour habituer
la clientèle au changement :
- décembre 1897 : Grande pharmacie
montbrisonnaise, Tony Rossignol
;
- janvier 1898 : Pharmacie Chauve,
Tony Rossignol gendre et successeur ;
- mars 1898 : Pharmacie montbrisonnaise,
Tony Rossignol ;
- mai 1898 : Grande pharmacie montbrisonnaise
Tony Rossignol, ancienne pharmacie Chauve.
 |
Rossignol
contre Déchavanne
En
1898, deux officines de la ville - Rossignol
et Déchavanne
- s'opposent dans un match très commercial au moyen
de nombreuses "réclames". Elles s'étalent
dans les deux feuilles locales : le vénérable
Journal de Montbrison
et, surtout, son rival, le tout jeune Montbrisonnais
qui en est à sa première année
de parution.
En
décembre 1897, Tony Rossignol annonce une "baisse
considérable des prix sur tous les médicaments"
avec, écrit-il, deux objectifs : "répondre
au désir de la clientèle de plus en plus
nombreuse et aller
de l'avant comme doit le faire toute maison soucieuse
de sa vitalité." Le ton est donné,
M. Rossignol voit grand (voir fig. 6 ci-après).
Dans le même numéro du Montbrisonnais,
la pharmacie Déchavanne, du coin de la rue Victor-de-Laprade
et de la place de l'Hôtel-de-Ville, rappelle qu'elle
pratique des "prix réduits" et
qu'elle a un "cabinet spécial
d'appareils médicaux : bandages, ceintures, bas
pour varices, irrigateurs..." Son quinquina
est "le
préféré des estomacs délicats
pour son arôme et sa légèreté".
Chez Déchavanne : "qualité
garantie", conditions
"exceptionnelles"
!
5
- Facture de la pharmacie Déchavanne (1899)
(archives
de la Diana)
|

6
- Le Montbrisonnais (4 décembre 1897)
(archives
de la Diana)

7 -
Le Montbrisonnais (4 décembre 1897)
(archives
de la Diana)
En janvier
1898, Tony Rossignol annonce toujours une "baisse
considérable" des prix, mais cette fois elle
est "raisonnée".
Suit une liste extraite d'un " Prix-Courant
", une sorte de catalogue. Pêle-mêle, on y
trouve : quinine, caféine, bromure, chloroforme, huile
de ricin... ainsi que des "pastilles
de Vichy menthe" et
de "l'eau de fleur d'oranger triple"
à 1,50 F le litre. Tous ces produits sont "garantis
purs et absolument de 1er choix" (fig. 8 ci-dessous).
A la fin de janvier, il s'agit de lutter contre les coups de
froid avec le "Sirop phlogothemnique
de Batillat" qui soigne : grippe influenza, toux
irritation de poitrine .
En février,
Déchavanne vante son "vin
tonique reconstituant qui combat l'anémie, l'épuisement,
la débilité d'estomac
" et un
"sirop sédatif"
qui combat les "maladies nerveuses,
attaques de nerfs et insomnie". De plus, par "la
modicité de ses prix et ses préparations consciencieuses,
la pharmacie Déchavanne ne redoute aucune concurrence"
(fig. 9 et 10 ci-dessous).

8
- Le Montbrisonnais (8 janvier 1898)
(archives
de la Diana)

9
- Le Montbrisonnais (26 février 1898)
(archives
de la Diana)
Aucune concurrence possible
!

10
- Le Montbrisonnais (12 mars 1898)
(archives
de la Diana)
En mars,
la pharmacie Chauve-Rossignol s'offre une demi-page de réclame.
Elle y vante la "Poudre souveraine
Tony Rossignol" pour "guérison assurée"
des maux de dents et migraines à 3 F la boîte.
"La poudre de feu Barthélemy
Guion, chirurgien à Marseille" combat l'anémie
: guérison est "rapide et
certaine". Cette drogue est, paraît-il, "
toujours efficace", et "essentiellement
populaire". Ajoutons encore : vin fortifiant, thé
purgatif... (fig. 11 ci-dessous).

11
- Le Montbrisonnais (19 mars 1898)
(archives
de la Diana)
En avril,
Tony Rossignol propose un grand choix d'eaux minérales
: la Bourboule, Contrexéville, Evian, Mont-Dore, Vittel...
Ces boissons utilisées comme des remèdes coûtent
les yeux de la tête. La moins chère est Vichy-Saint-Yorre
qui vaut 0,40 F la bouteille. La plus chère est l'Orezza
: 1 F. Il est vrai qu'elle vient de Corse. Les bouteilles consignées
sont reprises pour 5 centimes...
Le 23
avril 1898, la maison Chauve s'intitule "Grande
pharmacie montbrisonnaise Tony Rossignol". Elle
propose aux mères de famille un "Sirop
de raifort iodé" fait avec les plantes fraîches
du pays. Leurs bambins n'auront plus boutons, rougeurs, démangeaisons
ni furoncles, dartres, eczémas... Merveilleux !
Il est
aussi question, dans la même réclame de la "destruction
infaillible de tous les insectes" grâce à
la "poudre de pyrèthre sauvage".
Son efficacité est renforcée par "un
procédé spécial" de la maison.
Bien sûr, c'est "sans danger
pour les personnes et les animaux domestiques" .
Chez
Déchavanne, la riposte est modérée car
on affirme ne redouter aucune concurrence. En mai, "le
vin tonique reconstituant" est encore mis en valeur
tout comme le "sirop sédatif".
Les publicités des deux maisons rivales se retrouvent
parfois, l'une à côté de l'autre, sur la
même page .
En juillet
1899, la fièvre aphteuse sévit dans la région.
Tony Rossignol assure aussitôt qu'il donne des renseignements
pour une guérison assurée "en
peu de jours". Et qu'il peut fournir, à bas
prix, tous les produits vétérinaires...
Périodiquement,
la Grande pharmacie montbrisonnaise
Tony Rossignol rappelle
qu'elle a un "Laboratoire spécial"
pour les analyses "médicales,
chimiques et industrielles". Elle examine les urines
mais peut aussi indiquer quelle quantité de plâtre
contient un vin, si le beurre a été additionné
de margarine ou le lait mouillé
Gare aux fraudeurs
(voir fig. 12).

12
- Le Montbrisonnais (1898)
(archives
de la Diana)
Ainsi
au fil des saisons la campagne publicitaire continue. En septembre,
c'est une "Baisse considérable
des prix par la suppression des intermédiaires"
pour une "pharmacie vendant le meilleur
marché de la région". Fin octobre,
il y a la promotion de l'huile de foie de morue. Car, en hiver
c'est "le meilleur des reconstituants,
le plus actif, le plus sûr des dépuratifs et le
plus économique". Tony Rossignol se vante
de ne livrer que des huiles fraîches grâce au grand
débit de son officine. La vente se fait en litre et demi-litre
avec deux qualités : "Blanche,
pure Bergen " (3 F le litre) et "Ambrée,
garantie naturelle" (2,5 F le litre). Laquelle avait
le meilleur goût ?
Guillard,
successeur de Rossignol
En 1901,Tony
Rossignol est installé avec son épouse et sa fille
à la place de ses beaux-parents, au-dessus de l'officine,
1, rue Notre-Dame. Il est aidé de Marius Guillard, un
élève en pharmacie âgé de 27 ans
et d'Antoine Dumay, 14 ans, qualifié de "garçon
de pharmacie". Antoinette Vial, une jeune servante de 17
ans, complète la maisonnée .
Quel
fut le résultat, pour Tony Rossignol, de cette dynamique
campagne publicitaire ? La maison prospère-t-elle, comme
l'avait souhaité le jeune "pharmacien-chimiste"
? Ce n'est pas sûr. Car six ans après son installation,
l'officine a déjà changé de mains.
En 1906,
elle est tenue par Marius Guillard,
32 ans, né en 1874 à la Chapelle-de-Guinchay en
Saône-et-Loire. Il s'agit de l'élève passé
maître. Le pharmacien est marié à Marie
Bourdeaux, née en 1883 à Vienne (Isère).
Il n'a comme employé qu'un jeune "garçon
de pharmacie", Alban Maisonhaute, né en 1891 à
Montbrison . En 1921, Joseph Louis Girin,
né en 1887 à Montbrison, devient le pharmacien
du n° 62 de la rue Tupinerie . Ce dernier restera très
longtemps en place. Beaucoup d'anciens Montbrisonnais l'ont
connu. Quant à la pharmacie Déchavanne,
celle qui ne redoutait aucune concurrence, elle n'apparaît
plus dès le recensement de 1906 !
En 1911,
à la fin de la Belle Epoque, les 4 pharmaciens de la
ville ont leur officine dans la rue Tupinerie.
Ils font partie des notables de la rue. Leurs affaires semblent
prospères, tous ont un ou plusieurs domestiques.
Au n° 29, Jean Joseph Antonin Ménard,
né à Feurs en 1871, arbore une enseigne très
visible. Il loge 9 personnes dans son appartement dont 4 de
sa famille : Marguerite Joséphine Chapot, née
à Saint-Anthème en 1881, ses deux jeunes enfants
et sa belle-mère, née en 1848 à Saint-Anthème.
Il y a encore un élève en pharmacie, Stéphane
Palais, né en 1889 à Bussière, un employé
âgé de 17 ans venant de Mornand et deux servantes,
des jeunes filles de 26 ans et 19 ans, originaires de Saint-Anthème
et de Verrières. Une nouvelle fois, pour le petit personnel,
on a d'abord pensé au village natal.
Au n°
35, Jean Durupt, né en 1878
à Saint-Genest-Lerpt, vit avec son épouse Colombe
Besseyre, née en 1878 à Saint-Etienne. Le couple
a une petite fille, Marie Reine née en 1910. Marie Palley,
originaire d'Essertines-en-Châtelneuf, est à leur
service.
Au n° 90, Louis Bégonnet,
né en 1853, est le seul pharmacien né à
Montbrison. Il a épousé Géronyme Verdier,
née en 1858 à Saint-Rambert. Leur fille Berthe,
qui a 26 ans, vit à leur foyer et ils ont une servante
originaire de Savigneux, Jeanne Bouchet, âgée de
23 ans.
Le 4e
pharmacien est installé à l'angle de deux rues,
il s'agit de Marius Guillard dont
nous avons déjà parlé, le successeur de
l'ambitieux Tony-Polycarpe Rossignol
!
Joseph
Barou

Journal
de Montbrison (1898)
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1904

Avenir
Montbrisonnais (février
1904)

Avenir
Montbrisonnais (février
1904)
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Les quatre
pharmacies de 1911 de la rue Tupinerie
aujourd'hui :

(cliché
J. Barou)
n°
29, en 1911, pharmacie Ménard
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(cliché
J. Barou)
n° 35, en 1911, pharmacie
Durupt
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(cliché
J. Barou)
n°
62, en 1911, Marius Guillard
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(cliché
J. Barou)
En
1911, pharmacie Bégonnet, place de la Grande-fontaine
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Documentation
La réclame
d'un pharmacien avant la guerre de 1914-1918

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