Restauration de la collégiale Notre-Dame :
Les chantiers de 1834 du curé Crozet
Pendant l’époque révolutionnaire, l’église Notre-Dame a été pillée et a subi de graves déprédations. En 1793, elle sert de casernement puis ensuite de temple pour le culte de la raison. Les autels et le jubé sont démolis, les boiseries brûlées, les vitraux brisés et leur plomb fondu. De ses dix cloches, huit ont été enlevées : il n’en reste que deux, épargnées par nécessité : Sauveterre pour convoquer les assemblées municipales et Bourbon qui lui servait de contre-poids (1).
L’édifice est rendu au culte au mois de mars 1803 (2). Mais les Montbrisonnais retrouvent leur collégiale dans un bien triste état. Désormais la collégiale Notre-Dame-d’Espérance devient église paroissiale, avec l’église Saint-Pierre comme succursale. Durant plusieurs décennies ses curés successifs vont s’efforcer de la réparer, la remeubler et l’enrichir. Les premiers aménagements, les plus urgents, sont l’œuvre de Marie-Dominique Populus, curé de Notre-Dame de 1803 à 1829.
Nous connaissons des aspects de cette immense œuvre de restauration grâce à l’ouvrage de François Renon. Le Journal de Montbrison et du département de la Loire nous apporte aussi, ponctuellement, quelques informations. C’est le cas, avec plusieurs articles, en 1834, à propos des travaux effectués par le curé Crozet. Le directeur-rédacteur du journal, Michel Bernard, est un notable éclairé (3). Il n’hésite pas à donner son avis et, même, à avancer quelques conseils.
Les premiers chantiers du curé Crozet
Jacques-Marie Crozet succède à M. Populus. Le lendemain de sa prise de possession, le 18 octobre 1829, il effectue une visite générale de l’église et du clocher pendant une pluie battante et constate qu’il reste encore beaucoup à faire et qu’il faut agir rapidement :
M. le curé fut surpris de voir d’innombrables gouttières verser presque par torrent la pluie sur les voûtes des trois nefs ; il y avait urgence il provoqua une assemblée du conseil de fabrique pour le dimanche suivant (4).
Il s’agissait au plus vite de faire boucher provisoirement les jours les plus considérables de la toiture. M. Crozet, curé de 1829 à 1858, entreprend donc d’importants travaux. Après le toit, dans le courant de l’été 1834, les voûtes des basses nefs sont en réparation. Il faut dresser de grands échafaudages. Le travail n’est ni aisé ni sans danger. Des accidents surviennent quelquefois comme celui qui a lieu le 7 août 1834 et que relate Michel Bernard, dans le Journal de Montbrison (5).Tout d’abord un ouvrier se laissa deux fois tomber d’une assez grande hauteur sans se faire aucun mal. Cet incident, sans conséquence, écrit le journaliste, ne rendit pas ses camarades plus circonspects. En effet, le même jour, les ouvriers achevaient leur journée quand l’échafaud supérieur, qu’ils avaient dressé sans doute avec peu de précaution s’écroula. Un seul des ouvriers se trouvait dessus ; il suivit la chute des pièces de la charpente, et alla tomber sur une grille armée de pointes, où il ne s’est heureusement point fait de blessures graves…
D’autres compagnons se trouvaient au sol qui eurent la présence d’esprit de se coucher à l’abri de cette grille ce qui les préserva en arrêtant les débris sous lesquels ils auraient été mutilés ou écrasés… En somme plus de peur que de mal ce qui permet au journaliste de conclure assez légèrement :
On craignait d’abord que l’état de l’ouvrier n’eût quelque chose d’inquiétant : il ne lui reste qu’une blessure à la main, quelques contusions… et on prétend qu’il pourra dans la huitaine reprendre ses travaux.
Cet accident qui aurait pu être gravissime est traité avec une certaine désinvolture. On ne s’en émeut guère ce qui en dit long sur les conditions de travail et de sécurité sur les chantiers de l’époque.
Disparition des peintures intérieures
En octobre 1834, les travaux continuent avec une réfection complète du vaisseau intérieur sans doute avec un badigeon passé uniformément. C’est l’occasion pour Michel Bernard de donner son avis sur le résultat :
Bien que la couleur soit encore un peu claire, elle donne aux pans de mur et aux colonnes le véritable aspect qu’ils doivent avoir, et rend bien autrement que les ignobles pastiches, les ridicules barbouillages qu’on s’est résolu à laisser effacer… (6)
En 1834, les murs de la collégiale étaient donc couverts de peintures sans doute noircies et très dégradées. Il est encore possible aujourd’hui, au fond du chœur et près des fonts baptismaux, d’en observer quelques traces (fig. 1a, 1b et 2). Peut-être avaient-elles été hâtivement et maladroitement restaurées après les dégradations de la période révolutionnaire ? François Renon évoque des graffitis qui déshonoraient le sanctuaire :
Il ne restait plus de Notre-Dame que les murs dégradés, et souillés de ces inscriptions telles que la réclusion et le désespoir les dictent dans l’enceinte des prisons (7).
Selon les dianistes Vincent Durand et Huguet, ces peintures seraient de la fin du XVIIIe siècle et l’œuvre d’un artiste vulgaire (8). Elles servaient de retable aux nombreux autels secondaires qui parsemaient la collégiale (9).
Avait-t-il été possible, après 1803, de laisser les choses en l’état ? Quelles étaient ces peintures rejetées avec autant de mépris ? Avait-on les moyens – et le désir – de faire une restauration complète et soignée de l’ensemble ? Dans la chapelle Saint-André, près de la porte latérale sud, une peinture murale datant du XIIIe siècle a été mise au jour au cours de la restauration de 1970 (fig. 3). Ce vestige peut donner une idée de l’ancienne décoration de l’église. Le badigeon passé en 1834 a sans doute fait disparaître un décor qui n’était plus dans le goût du moment…
En octobre 1834, les murs du chœur sont garnis de tableaux. D’où venaient-ils ? Probablement d’autres églises montbrisonnaises désaffectées. À la suite d’une pétition des habitants de Montbrison, la municipalité avait autorisé, le 9 août 1795, le transfert à Notre-Dame d’un autel, de tableaux, de lustres et de cadettes (dalles) provenant des églises Saint-André, Sainte-Anne et des Pénitents (10). Michel Bernard souhaite vivement que ces peintures médiocres soient remplacées par des panneaux où seraient inscrites quelques citations de morale chrétienne.
Restes des peintures murales de Notre-Dame :
Figure 1-a : Peintures du choeur, compartiment de droite (en 2017) |
Relevé de Jamot, Bull. La Diana (1889) |
Figure 1-b : Peinture du choeur, compartiment de gauche (en 2017)
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Relevé de Jamot, Bull. La Diana (1889)
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Figure 2 : Restes de peinture à gauche
des fonts baptismaux (2017)
Fig. 3 : Peinture murale (XIIIe siècle) de la chapelle Saint-André, mise au jour lors de la restauration de 1970 ;
un chanoine en prière devant un personnage (saint Georges
ou sainte Catherine ?) terrassant un dragon.
Sources : fig. 1-a et 1-b communication de Jamot et Peurière, Bulletin de La Diana, tome V, 1889, p. 2-5. |
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Bitume ou pierre de Volvic pour le pavage de l'église ?
L’église étant plus ou moins hors d’eau, les fabriciens s’intéressent au sol qui, lui aussi, a grand besoin d’être amélioré. Les « cadettes » (dalles) apportées d’autres églises en 1895 n’ont pas permis des réparations durables. En 1834, selon François Renon, le pavage est dans un tel état qu’il était vraiment dangereux de circuler dans l’église lorsqu’elle n’était point éclairée par le grand jour… (11).
Pour des questions d’économie, il est question d’utiliser un procédé nouveau avec des pavés de bitume provenant des mines d’asphalte de Seyssel. Michel Bernard désapprouve l’emploi de ce matériau disant que dans un monument tout doit être monumental (12). Pour lui, rien ne vaut la pierre, de Volvic si c’était possible sinon celle des carrières de Moingt.
Fig. 4 : Pierre tombale encore partiellement visible à la première marche d'escalier du choeur.
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La décision était presque prise mais finalement on se ravisa. Et l’article du Journal de Montbrison du 25 octobre 1834 contribua probablement au choix final. Les fabriciens optèrent pour la pierre et le pavage fut achevé en 1836. Des pierres de Saint-Étienne, de Moingt et de Volvic furent utilisées ainsi que, en réemploi, des dalles de l’ancien pavage (450 m2 sur 1 550 m2). Malheureusement des dalles funéraires furent installées sans pertinence (fig. 4) ce qui justifie le jugement sans indulgence de François Renon :
Nous ne pouvons taire le blâme que mérite l’appréciation qu’on fit des pierres tumulaires ; estimées selon leur valeur géométrique, on leur a désigné des places qui n’ont aucun rapport avec leur destination primitive ; la faute est sans remède !... (13). |
On ne peut pas être plus sévère mais la vénérable collégiale avait échappé au pavé de bitume ! (fig. 5)
Fig. 5 Affiche de la Compagnie générale des asphaltes de France,
propriétaire des mines de Seyssel (Haute-Savoie) |
Chaises bien rangées ou dédale inextricable
Michel Bernard profite de l’occasion pour aborder une autre question qui le préoccupe : comment faire en sorte que le sanctuaire soit dignement meublé ? En effet, sous des voûtes majestueuses, les sièges pour les fidèles constituent un véritable capharnaüm. Presque toutes les familles de la paroisse ont une place réservée qui est louée par un fermier, un particulier à qui la fabrique a confié par adjudication la location des chaises (14). Cette place est en quelque sorte privatisée et devient :
un véritable domaine particulier moyennant la rétribution aux fermiers… Chacun établit là son meuble, sa stalle. C’est un amas, un dédale inextricable de chaises de toutes dimensions, devant lesquelles sont fixés des accoudoirs, des prie-Dieu, des tabourets…
Pour plus de confort, certains paroissiens installent même un plancher dans leur espace particulier… C’est un campement semblable à celui d’un caravansérail mais inamovible. Il faudrait que ces abus cessent. Michel Bernard souhaite améliorer les choses, sans supprimer le système de fermage et de location qu’il juge indispensable. Il pense qu’il faudrait utiliser des chaises portatives à sellette mobile, servant à la fois de siège et de prie-Dieu (fig. 5 et 6). Elles seraient plus faciles à aligner et si nécessaire pourraient être remisées.
Le pavage réalisé, Michel Bernard obtint-il gain de cause pour les sièges ? Une lithographie de 1847 (fig. 7) montre encore un certain désordre avec un grand nombre de chaises portatives pouvant, si on les retourne, servir de prie-Dieu. Du moins les planchers disparurent-ils après le renouvellement du pavage.
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Fig. 5 et 6 : Prie-Dieu classique, chaise à sellette mobile
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Figure 7-a (à droite) Fig 7-b (ci-dessus)
Intérieur de la collégiale Notre-Dame en 1847,
dessin et lithographie par A. Guesdon, imprimerie Lemercier, Paris (extrait de François Renon, Chronique...) |
Pour conclure
Notons tout d’abord, l’importance de la presse locale, singulièrement du Journal de Montbrison avec les articles souvent pertinents de Michel Bernard qui reflètent, sinon l’opinion publique du moins le sentiment de Montbrisonnais appartenant à la classe sociale la plus cultivée.
L’évocation d’un petit épisode (1829-1834) de la restauration de Notre-Dame montre surtout quelques-uns des problèmes rencontrés : établissement des priorités (mettre hors d’eau avant les réfections de l’intérieur), travaux techniquement difficiles et dangereux vu la grande taille de l’édifice (accidents du travail), choix des matériaux (pierre ou bitume), habitudes difficiles à changer (location des chaises)... sans compter les tracas pour le financement.
Nous pardonnerons volontiers les tâtonnements et les erreurs de ceux qui ont poursuivi, à leur époque, cette immense œuvre qui continue depuis des siècles jusqu’à nos jours. C’est grâce à eux que Montbrison possède son plus beau monument.
Joseph Barou
(1) Cf. François Renon, Chronique de Notre-Dame-d’Espérance de Montbrison, Roanne, imp. Farine, 1847.
(2) Cf. François Renon, Chronique… ; Marie-Dominique Populus, le premier curé, nommé prend possession le 2 mars 1803.
(3) Michel Bernard est né à Montbrison le 29 décembre 1806, dans une famille d'imprimeurs. Dès 1832, il succède à son père et assure la publication du Journal de Montbrison et du département de la Loire. Comme son frère, l'historien Auguste Bernard, c'est un homme cultivé. Il s'intéresse à la littérature, l'histoire, les sciences... Il appartient à la Société d'agriculture dont il imprime le bulletin (la Feuille du cultivateur forézien). Il est aussi bibliothécaire de la ville de Montbrison, vénérable de la loge maçonnique de la ville et figure parmi les tout premiers membres de la Diana. Il est nommé maire d'Écotay en 1852, charge qu'il exercera jusqu'à sa mort en 1864.
(4) Cf. François Renon, Chronique…
(5) Journal de Montbrison et du département de la Loire n° 84 du 9 août 1834.
(6) Journal de Montbrison n° 95 du 25 octobre 1834.
(7) Cf. François Renon, Chronique…
(8) Cf. Communication de Vincent Durand et Huguet, Bulletin de La Diana, tome IV, 1887-1888, p. 227-228.
(9) Selon les notes manuscrites de Jean-Marie de la Mure relevées par Vincent Durand, l’église comptait 24 autels secondaires ; cf. Bulletin de La Diana, tome IV, 1887-1888, p. 228.
(10) Cf. François Renon, Chronique…
(11) Cf. François Renon, Chronique…, p. 401.
(12) Journal de Montbrison n° 95 du 25 octobre 1834.
(13) Cf. François Renon, Chronique…, p. 401.
(14) La location des chaises affermée par la fabrique est une pratique répandue dans de nombreuses paroisses. À Montbrison, en avril 1808, les chaises de l’église Saint-Pierre sont affermées pour un an au sieur Tachon après adjudication pour la somme de 740 F. Dans cette église, les abonnés ont le choix entre des chaises avec accoudoirs, des chaises avec escabeau et des chaises simples… C’est une ressource non négligeable pour la fabrique.Cf. J. Barou, "L’église Saint-Pierre de Montbrison est rendue au culte (1803-1811)", Village de Forez n° 7, juillet 1981
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Joseph Barou
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à jour : 8 octobre 2018 |
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