Forez
et Auvergne
Auvergnats
ou Foréziens :
1760 : des habitants de
Saint-Anthème
veulent être rattachés au Forez
COURSIERES
n° 88, octobre 2003
Joseph Barou
LA
PROVINCE de Forez a eu au cours des siècles
des limites flottantes. L'actuel arrondissement de Montbrison
forme pourtant une vraie unité géographique. Du
côté de l'Auvergne les monts du Forez culminant
à Pierre-sur-Haute (1 640 m) constituent une sorte de
frontière naturelle. Cependant, avec le plateau de Noirétable
au nord et celui de Saint-Bonnet-le-Château au sud, les
montagnes du Soir s'abaissent pour laisser communiquer Forez
et Auvergne. Dans ces deux zones, le dialecte occitan pénètre
justement en Forez au détriment du domaine francoprovençal.
A partir du col de la Croix-de-l'Homme-mort (1 163 m), la barrière
des monts du Forez étant moins élevée,
la frontière entre Auvergne et Forez est plus floue et
n'a pas toujours obligatoirement suivi la ligne de crêtes.
La requête de 1760
Les archives de la Diana recèlent une pièce intéressante
qui montre que la rivière d'Ance fut aussi considérée
comme une limite naturelle entre les deux provinces. Il s'agit
d'un acte reçu le 28 juin 1760 par Maître Bernard
[Fonds
des notaires, Bernard, 1760], notaire
royal à Montbrison, par lequel 38 habitants et deux consuls
de Saint-Anthème prennent un homme de loi pour faire
valoir leur opinion sur leur appartenance à l'une ou
l'autre des deux provinces.
Quel est le litige ? La limite entre les deux provinces a varié
au fil du temps à cause d'impositions différentes.
La carte des gabelles [La
gabelle, monopole de la vente du sel, est un impôt indirect] montre que l'Auvergne fait
partie des "provinces rédimées" et de
"petite gabelle". Le sel y est notablement moins cher
qu'en Forez qui appartient aux "pays de salines".
Pour tirer partie de cette situation des hameaux dépendant
de Saint-Anthème ou de paroisses situées, pour
partie, sur la rive gauche de l'Ance se sont, au cours des siècles,
incorporés en Auvergne. Il y a un manque à gagner
pour les fermiers généraux qui demandent une remise
en ordre des limites : il s'agit de donner l'Ance comme frontière
aux deux provinces. Cette rivière prend sa source au
pied de Pierre-sur-haute et coule ensuite vers le sud jusqu'en
Velay. Une requête est présentée dans ce
sens au conseil du roi qui la renvoie pour avis aux intendants
de Clermont et Lyon. Les intendants consultent, à leur
tour, les habitants en faisant convoquer des assemblées
paroissiales.
L'assemblée paroissiale du 1er
juin 1760
Les avis étant, semble-t-il, très partagés
l'assemblée de Saint-Anthème se déroule
le 1er juin 1760 et se termine dans la confusion, avec plusieurs
procès-verbaux différents :
les comparants ayant donnés leur avis tendant à
leur réunion et incorporation à ladite élection
de Montbrison quelques particuliers par des vües d'interest
particulier auraient rompu ladite assemblée et depuis,
après en avoir rédigé une [délibération
d'assemblée] en particulier, auroient obligé quelques-uns
des comparants de la signer sans leur en faire lecture ny leur
en expliquer les dispositions
Trois semaines plus tard, le 28 juin, pour contrecarrer ceux
qui souhaitent le statu quo, quarante habitants de Saint-Anthème
se retrouvent à Montbrison pour prendre un procureur [Sous
l'Ancien Régime un procureur était l'équivalent
d'un avoué. On sait qu'aujourd'hui les professions d'avoué
et d'avocat ont été confondues]. afin de les représenter. Les comparants souhaitent que
la limite entre les deux provinces soit l'Ance comme les fermiers
généraux le demandent.
Au nom du passé
Examinons les arguments avancés. Ils sont de plusieurs
types. Il y a d'abord des raisons historiques. Les habitants
avancent :
- que de temps immémoriaux la
plus grande partie de la parroisse de St Antesme ainsi que celle
de St-Clément[Saint-Clément-de-Valorgue], La Chaux [La
Chaulme], St
Romain, Saillant et Usson ont fait partie du Comté de
Forest
- que les fiefs situés dans
ces paroisses relèvent en foy et hommage de sa majesté
à cause de son comté de Forest
- qu'il est constant et reconnu que la rivière Dance
a toujours servy de limite au comté de forest et à
la province Dauvergne
Selon eux le désordre auquel il faut remédier
vient du fait que :
depuis environ un siècle les
privilèges et franchises sur les sel et vin dont jouissent
les habitants de la province Dauvergne ont engagé lesdits
habitans de différents hameaux a s'incorporer à
la province Dauvergne,
Ce qui entraîne un fâcheux enchevêtrement
des juridictions :
Et cette incorporation s'est faitte
avec si peu d'ordre et de précaution que plusieurs villages
et hameaux plus éloignés de la rivière
Dance se disent aujourd'huy Dauvergne quoyque d'autres qui en
sont plus voisins soient encore du comté de Forest, que
d'autres villages qui sont de la justice de sa majesté
à cause de sa chastellenie de Lavieu dépendant
du comté de Forest sont cependant réputtés
de la province Dauvergne,
Qu'il résulte des préjudices très considérables
à ce changement soit par raport aux variations des loix
et de jurisprudence, soit relativement aux contestations journalières
qui s'élèvent sur le mélange bizarre des
deux provinces
De la géographie
Il y a aussi d'évidentes raisons géographiques :
la proximité de Montbrison et éloignement des
villes auvergnates.
Pour la justice, les habitants concernés qui sont à porté du siège de Montbrison
dont ils ne sont éloignés que de deux lieües
en suivant une des plus belles routtes du royaume, sont cependant
dans la nécessité d'aller plaider à Riom
éloignée de dix-huit lieues coupées par
des montaignes inaccessibles pendant huit mois de l'année.
De même, les maisons annexées à l'Auvergne
sont obligées de porter leur tailles en la ville d'Issoire
éloignées d'eux de dix lieües tandis que
leurs voisins les portent à Montbrison dans l'intervalle
de deux heures.
De quelle lieue s'agit-il ? Ce n'est pas la lieue commune de
4,444 km car Montbrison se trouve à une vingtaine de
km de Saint-Anthème. Il y a environ 80 km pour aller
de ce bourg à Issoire en passant par Saint-Amant-Roche-Savine.
S'agirait-il alors d'une lieue d'environ 8 km ? Quoi qu'il en
soit la distance Montbrison-Saint-Anthème a été
minorée. C'est de bonne guerre et les clercs de la chancellerie
ne s'en apercevront certainement pas
Et de l'économie
Enfin des raisons économiques, peut-être les plus
importantes, sont exposées :
La ville de Montbrison
est la seule ressource de ces parroisses annexées à
l'Auvergne pour l'exportation et débit de leurs danrées,
ils sont obligés d'y faire plusieurs voyages par semaine
tandis qu'ils n'ont aucune relation avec les villes de Riom
et Issoire trop éloignées d'eux pour leur commerce
ce qui les oblige de faire des voyages exprès à
très grands frais
Reste la question délicate du prix du sel qui entretient
la contrebande dans la région et donc, des visites fréquentes
des gabelous avec leur cortège de vexations. Une limite
naturelle bien précise éliminerait des risques
d'erreurs :
La différence [de prix] des
sels expose encore chaque jour les comparants à des visittes
et procès verbeaux d'autant plus dispendieux et désagréables
que cette différence n'estant pas toujours assé
marquée ils se voyent souvent condamnés sur des
procès verbeaux auxquels ils n'ont pas donnés
lieu et sur lesquels ils ne sont pas en estat de se deffendre.
Pourtant Saint-Anthème resta
en Auvergne
Quelle fut l'issue de cette requête ? Cet acte étant
une pièce isolée, nous ne savons pas quelle fut
la réponse des autorités. Un indice cependant
: le nom du procureur a été laissé en blanc
dans l'expédition destinée aux habitants de Saint-Anthème.
Peut-être la procédure en est-elle restée
là, sans même être transmise à Monseigneur
le Chancelier que les comparants suppliaient
de retablir entre eux et la province d'Auvergne des limittes
fixes et invariables déterminées par la rivière
Dance.
Une chose est certaine, les paroisses de Saint-Anthème,
Saint-Clément, La Chaulme, Saint-Romain, Saillant sont
restées entièrement auvergnates. Quant à
celle d'Usson, elle est en Forez et c'est bien l'Ance qui forme
sa limite occidentale. La grande réorganisation administrative
qui a eu lieu à la Révolution a repris le même
cadre territorial.
La réclamation des habitants de Saint-Anthème
aura une nouvelle fois mis en relief la grande complexité
administrative de la France de l'Ancien Régime avec une
foule de circonscriptions qui s'entremêlaient : fiefs,
paroisses, parcelles fiscales, diocèses, bailliages,
élection, généralité
Et où,
sur le plan administratif, la notion même de province
n'avait aucun sens défini.
Les monts du Forez n'apparaissent
pas vraiment comme une frontière. Auvergne et Forez appartiennent
bien à un même ensemble, le grand Massif central,
sanctuaire de la France profonde.
Joseph
Barou
*
* *
ANNEXES
Les
consuls et habitants
de Saint-Anthème
présents à l'acte du 28 juin 1760
Les consuls et syndics : Antoine Daragon,
Antoine Barrieu
Habitants comparants :
Pierre Vray,
Pierre Barrieu,
François Vray,
Jean Baudou,
Jean Dumas,
Thomas Vray,
Jean Vray,
Jean Ety,
Laurent Thevenon,
Jean Tissier,
Jacques Fougerouse,
Claude Nigot,
Pierre Roure,
Jean Thevenon,
Antoine Thevenon,
Antoine Bravard,
Jean Rey,
Antoine Rage,
Antoine Baude,
Jean Chaumette,
Antoine Vray,
Jean Roure,
Jean Baude,
Jean Vray,
Mathieu Dumas,
Jacques Thevenon,
Mathieu Genevrier,
Claude Guillot,
Antoine Gagnière,
Pierre Couhard,
André Vray,
Jean Thevenon,
Claude Barrieu,
Claude Martin,
Claude Chapuy,
Jean Prudhomme,
Jean Bize,
Claude Bize
Parmi
eux, 8 seulement signent (20 %) et encore d'une main malhabile.
Il s'agit d'un des consuls, D'Aragon, de trois Vray (sans indication
de prénom), deux Thevenon (pas de prénom), de Jean
Dumas et de Jean Baudou.
Notons le peu de diversité des prénoms : 10 seulement.Quatre prénoms représentent les 3/4 du total
: Jean (13 cas), Antoine (8 cas), Claude (6 cas) et Pierre (4
cas)
Le
document
Pardevant
le notaire royal a Montbrison soussigné et en présence
des témoins ci-après nommés sont comparus
Antoine Daragon, Antoine Barrieu, consuls et sindics,
Pierre Vray, Pierre Barrieu, François Vray, Jean Baudou,
Jean Dumas, Thomas Vray, Jean Vray, Jean Ety, Laurent Thevenon,
Jean Tissier, Jacques Fougerouse, Claude Nigot, Pierre Roure,
Jean Thevenon, Antoine Thevenon, Antoine Bravard, Jean Rey,
Antoine Rage, Antoine Baude, Jean Chaumette, Antoine Vray, Jean
Roure, Jean Baude, Jean Vray, Mathieu Dumas, Jacques Thevenon,
Mathieu Genevrier, Claude Guillot, Antoine Gagnière,
Pierre Couhard, André Vray, Jean Thevenon, Claude Barrieu,
Claude Martin, Claude Chapuy, Jean Prudhomme, Jean Bize et Claude
Bize
Tous habitans de la parroisse de St-Anthesme lesquels ont dits
avoir été informés que sur la requeste
présentée au Conseil de sa majesté par
Mrs les fermiers généraux renvoyée à
Mrs les intendants de Lyon et Cermont pour donner leur avis,
il auroit été convoqué le dimanche premier
du présent mois une assemblée des habitants de
lad. parroisse dans laquelle ont auroit proposé de déliberer
sur la comodité ou incomodité qu'aporteroit auxd.
habitants la réunion d'une partie de lad. parroisse a
la generalité de Lyon, élection de Montbrison
dont ladite partie de paroisse dépendoit autres fois,
que les comparants ayant donnés leur avis tendant a leur
réunion et incorporation à lad. élection
de Montbrison quelques particuliers par des vües d'interest
particulier auraient rompus lad. assemblée et depuis
après en avoir rédigé une en particulier
auroient obligés quelques uns des comparants de la signer
sans leur en faire lecture ny leur en expliquer les dispositions,
et comme les comparants ont interest de constater leur véritables
intentions ils ont par ces présentes constitués
pour leur procureur général spécial et
irrévocable la personne de
[un
blanc] auquel
ils donnent pouvoir de pour et au nom des constituants représenter
respectueusement à Monseigneur le Chancellier
que de temps immémoriaux la plus grande partie de la
parroisse de St Antesme ainsi que celle de St-Clément,
La Chaux, St Romain, Saillant et Usson ont fait partie du Comté
de Forest
que les fiefs situés dans ces parroisses relèvent
en foy et hommage de sa majesté a cause de son comté
de Forest
qu'il est constant et reconnu que la rivière Dance a
toujours servy de limite au comté de Forest et à
la province Dauvergne,
que depuis environ un siècle les privilèges et
franchises sur les sel et vin dont jouissent les habitants de
la province Dauvergne ont engagé lesd. habitans de différents
hameaux a s'incorporer a la province Dauvergne,
Et cette incorporation s'est faitte avec si peu d'ordre et de
précaution que plusieurs villages et hameaux plus éloignés
de la rivière Dance se disent aujourd'huy Dauvergne quoyque
d'autres qui en sont plus voisins soient encore du comté
de Forest, que d'autres villages qui sont de la justice de sa
majesté a cause de sa chastellenie de Lavieu dépendant
du comté de Forest sont cependant réputtés
de la province Dauvergne,
Qu'il résulte de préjudices très considérables
a ce changement soit par raport aux variations des loix et de
jurisprudence, soit relativement aux contestations journalières
qui s'élèvent sur le mélange bizarre des
deux provinces,
le changement de tribunal est une occasion de ruine pour les
comparants a porté du siège de Montbrison dont
ils ne sont éloigné que de deux lieües en
suivant une des plus belles routtes du royaume, sont cependant
dans la nécessité d'aller plaider à Riom
éloignée de dix huit lieues coupées par
des montaignes inaccessibles pendant huit mois de l'année
Ces inconvénients augmentent encore relativement à
l'imposition des deniers publicques.
La facilité de changer de province en changeant de domicille
dans les mesmes hameaux expose chaque année les sindics
et habitants de ces différentes parroisses à perdre
une partie des impositions.
Les frais pour la levée et perception des imposts augmente
en proportion a pure perte pour les parroisse. Les maisons annexées
a l'Auvergne sont obligées de porter leur tailles en
la ville d'Issoire éloignée d'eux de dix lieües
tandis que leurs voisins les portent a Montbrison dans l'intervalle
de deux heures
La ville de Montbrison est la seule ressource de ces parroisses
annexées a l'Auvergne pour l'exportation et débit
de leurs danrées, ils sont obligés d'y faire plusieurs
voyages par semaine tandis qu'ils n'ont aucune relation avec
les villes de Riom et Issoire trop éloignées
d'eux pour leur commerce ce qui les oblige de faire des voyages
exprès a très grands frais pour la poursuitte
de leurs affaires et le payement de leurs impositions,
La différence des sels expose encore chaque jours les
comparants à des visittes et procès verbeaux d'autant
plus dispendieux et désagréables que cette différence
n'estant pas toujours assé marquée ils se voyent
souvent condamnés sur des procès verbeaux auxquels
ils n'ont pas donnés lieu et sur lesquels ils ne sont
pas en estat de se deffendre.
C'est sur ces motifs qu'instruits que Messieurs les fermiers
de sa majesté solicitent la réunion au comté
de forst de touttes les parties qui en ont esté distraittes
les comparants croient devoir faire parvenir leurs justes représentations
à Monseigneur le Chancelier et le suplie de retablir
entre eux et la province d'Auvergne des limittes fixes et invariables
déterminées par la rivière Dance
dont et du tout ils ont requits acte octroyé, pour par
led. procureur constituer dresser et envoyer en leurs noms tels
mémoires qu'il jugera à propos conformément
à la présente déclaration, promettant avoir
le tout agré et ny contrevenir
Fait et passé à Montbrison étude du notaire
royal soussigné le vingt-huit juin mil sept cent soixante
en présence de Maîtres Antoine Duby et Jean Claude
Guillet praticiens témoins résidans aud. Montbrison
qui ont signés avec ceux des habitans qui l'ont sceu
faire et tous les autres des. habitants ont déclaré
ne scavoir signer de ce enquis et sommés.
Vray
Vray Vray
Baudou Dumas Tevenon
Tevenon Daragon
Guillet Duby
Bernard notaire royal
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1760
: des habitants de Saint-Anthème
veulent être rattachés au Forez
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