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L'Ecole
normale de Montbrison
A
la fin de la IIIe République
par
Barthélémy Tary
Reste
de sa suprématie préfectorale, Montbrison avait
gardé son école normale d'Instituteurs longtemps
après avoir été ravalée au rang de
sous-préfecture. Installée dans une aile du couvent
des Cordeliers, celle-ci fut transférée, à
la fin du siècle dernier, dans un bâtiment construit
sur la rive gauche du Vizézy, à l'ouest de la ville,
desservie par une étroite impasse qui a gardé le
nom de "l'Ecole-normale". Le collège Mario-Meunier
utilise actuellement ces locaux ainsi qu'un bâtiment neuf
construit dans l'ancien potager de l'établissement. Les
locaux, assez vastes, comprenaient les salles de classe, d'étude,
dortoirs collectifs, réfectoire, préau de gymnastique,
cuisine, douches, etc. ainsi qu'une école élémentaire
à 3 classes
Cour d'honneur, terrain de tennis et
de détente, jardin potager, le tout pour 72 élèves
qui ne connaissaient pas l'entassement de notre époque.
Nous étions admis par concours au niveau du brevet élémentaire
entre 16 et 19 ans (pour ma promotion, 29 admis sur 154 candidats).
L'oral se déroulait à Montbrison
avec les professeurs de l'établissement. La durée
des études était de trois ans, et au bout de chaque
année, nous subissions les épreuves du brevet supérieur.
II nous fallait ensuite passer, à la sortie de l'école,
dans nos classes, le certificat d'aptitude pédagogique
pour être définitivement titularisés instituteurs
le 1er janvier suivant.
Une seule langue vivante était enseignée, l'anglais,
avec l'aide d'un répétiteur anglais ou américain
(avant la guerre de 1914, c'était l'allemand). Mais par
contre, en plus des disciplines de base, nous faisions de la littérature
ancienne, de la sociologie, de la philosophie, de la pédagogie,
du travail manuel (bois), de la musique et du chant choral, de
l'agriculture théorique et pratique et même de l'écriture
(début de la première année). Beaucoup de
disciplines, mais peu approfondies probablement.
Nos professeurs n'étaient pas trop sévères,
et les cours se déroulaient dans un silence profond. Leur
exigence variait beaucoup de l'un à l'autre, mais ils étaient
toujours très justes et ne cherchaient pas à se
"venger" à la fin de l'année contre un
élève dont le travail était insuffisant.
Notre directeur, M. Berger, assurait
les cours de psychologie, pédagogie, sociologie et philosophie
; ses exposés étaient remarquables de clarté
et d'intérêt et le travail donné était
toujours bien exécuté, car nous le craignions beaucoup
; il savait s'adapte au niveau de l'école primaire et ses
conseils à ce sujet étaient toujours judicieux.
Le professeur de mathématiques et d'atelier, M. Ligonie,
était connu pour ses colères redoutées, ses
mots peu académiques, mais réputé par les
nombreuses promotions d'instituteurs pour sa totale probité.
L'histoire et le dessin relevaient de M.
Robin, un jeune maître brouillon et imprévisible.
Les sciences étaient assurées par Larmat,
arrivant de Saint-Cloud, net, calme,
maître de lui et qui faisait ses premières armes
à Montbrison avant de terminer
sa carrière à la faculté de Montpellier.
Le français et l'anglais étaient enseignés
par M. Salanon, jeune professeur
également, libéral et documenté. Quant à
l'agriculture théorique, elle effrayait les normaliens
en la personne de M. Cubaynes et
la musique était le domaine de M. Frot,
âgé, mal écouté, très connu
là Montbrison où il
vivait depuis de nombreuses années.
La guerre menaçant, les cours d'arpentage avaient été
supprimés et la majorité de ma promotion était
inscrite à la préparation militaire supérieure
en vue de l'admission éventuelle aux E.O.R. de Saint-Maixent.
L'enseignement était strictement neutre sans aucun prosélytisme
philosophique, religieux ou politique : au programme aussi bien
les oraisons funèbres de Bossuet
que la correspondance de Voltaire.
La formation professionnelle était assurée par des
cours de psychologie appliquée à l'éducation,
de pédagogie théorique et de législation
; ceux-ci étaient complétés par des stages
à l'école-annexe d'application
et à l'école Chavassieu.
Des maîtres sélectionnés nous guidaient et
contrôlaient notre travail. La première année,
nous écoutions des leçons et corrigions des cahiers.
Ensuite, nous opérions nous-mêmes devant les élèves,
et en troisième année nous faisions des stages importants
dans les classes et des leçons dites "modèles"
devant les maîtres formateurs, les professeurs et nos camarades
de classes, leçons abondamment analysées comme on
s'en doute. Malheureusement ces stages à l'école
élémentaire étaient pris sur des cours qu'il
fallait rattraper, car nous pouvions être interrogés
sur eux par nos propres professeurs au moment des examens de fin
d'année.
Le régime de l'école était l'internat, obligatoire,
même pour les élèves habitant Montbrison.
Celle-ci recevait des garçons seulement. L'enseignement,
les cahiers, l'internat... étaient gratuits, mais, en contrepartie,
nous devions signer à l'entrée un engagement décennal
de service public.
L'emploi du temps était le suivant :
5 h 30 : Lever et toilette
6 h à 7 h : Etude
7 h : Petit déjeuner, puis travaux de propreté :
balayage, nettoyage des couloirs, du laboratoire, de la bibliothèque
etc,
8 h à 12 h : Cours.
12 h à 13 h 30 : Repas et détente.
13 h 30 à 16 h 30 : Cours ou stages à l'Ecole annexe,
16 h 30 à 17 h : Récréation.
17 h à 18 h : Cours ou étude
18 h à 19 h : Etude.
19 h : Repas et détente.
21 h : Coucher.
La nourriture était correcte, sans plus (exemples : café
lait avec pain sec le matin et pain sec au goûter complété
par ce que nous achetions nous-mêmes).
Préparation militaire : mercredi après-midi et jeudi
matin. Sorties libres : le jeudi après-midi jusqu'à
17 h et le dimanche tout le jour (grande sortie une fois par mois
le samedi à 16 heures.
La discipline était libérale pour l'époque,
mais elle paraîtrait bien sévère aujourd'hui
: interdiction de quitter l'établissement sauf pour les
stages à l'école Chavassieu.
Certains cependant sautaient le Vizézy
derrière le terrain de tennis pour faire un tour en ville
; des retenues ou "colles" étaient appliquées
les jeudis et dimanches ; pas de journaux (sauf "Marianne"
le mercredi) et l'action syndicale n'était pas autorisée.
L'uniforme avait été abandonné, la casquette
était interdite. Le directeur, en 3e année, passait
des revues de détail comme au régiment. Les dégâts
causés involontairement (carreaux ou vaisselle brisés
)
étaient payés par nous sur une somme versée
en début d'année à l'économat, "la
masse". L'école disposait d'un jardinier et d'une
lingère-infirmière en la personne de son épouse.
La dernière année nous préparions une pièce
de théâtre (la Tempête,
Knock, Le malade imaginaire
) que nous donnions
ensuite à Montbrison, Saint-Etienne,
Firminy, Roanne ; l'argent
recueilli ainsi que les bénéfices de la coopérative
scolaire servaient à payer le voyage de fin d'étude.
Un bal était organisé, au cours de la dernière
année, auquel étaient invitées les normaliennes
de 3e année de Saint-Etienne
sous la garde vigilante de leur directrice.
L'année 1940 avec la défaite
et l'avènement du régime de Vichy
vit la fin des écoles normales. Les élèves-maîtres
en cours de scolarité eurent une formation remaniée,
L'école fut occupée un temps par les Allemands,
puis les normaliens revinrent en 1946,
pour quelques années seulement, car en 1963, ils partirent
définitivement à Saint-Etienne qui avait demandé
avec insistance leur transfert au chef-lieu du département.
Pour les vieux instituteurs, c'était la fin d'une époque...
Barthélémy TARY
Promotion 1937-1940
"L'Ecole
normale de Montbrison
à la fin de la IIIe République",
Village de Forez, n° 29, janvier 1987
Album
Documents
Visite d'un inspecteur général
à l'école normale
de Montbrison
(Journal de Montbrison, décembre
1853)
Recrutement
des normaliens
(Journal de Montbrison, 22 décembre
1853)
Cérémonie
des prix en 1859
à l'école normale de Montbrison
(Journal de Montbrison)
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Une belle couverture
de cahier
à l'usage des élèves de l'école normale de Montbrison
Enseignement
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Mis
à jour le 2 novembre 2013
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