Le
docteur Eugène Rey
(1811-1898)
portrait d'un médecin
et notable montbrisonnais
par Claude
Latta
A
la mémoire de mon ami Francis Goutorbe :
ce texte lui appartient aussi.
En 1996, nous avions présenté,
le docteur Francis Goutorbe et moi, une communication "
à deux voix " faite à la Diana sur un notable
montbrisonnais, le docteur Eugène Rey (1811-1898). J'avais
parlé du milieu familial, des études, plus brièvement
de la carrière hospitalière, et surtout du rôle
politique et de l'uvre d'écrivain du docteur Rey.
Francis Goutorbe avait replacé les conceptions du docteur
Rey dans le contexte de l'histoire médicale de son époque,
évoqué plus précisément sa carrière
hospitalière et l'histoire de l'hôtel-Dieu de Montbrison
; il avait aussi raconté la première anesthésie
à l'éther qu'il pratiqua dès 1847. On pourra
se reporter à nos deux textes dans le Bulletin de la
Diana, tome LV, n° 3, 1996 :
- Claude Latta, Le docteur Rey, médecin, historien et
écrivain, maire de Montbrison, p. 245-267
- Francis Goutorbe, Eugène Rey, médecin de l'hôpital
de Montbrison , p. 267-173.
Aujourd'hui, je tente une synthèse de ce que nous savons
sur la vie et l'uvre du docteur Rey. L'ensemble
du texte que j'avais publié dans le Bulletin de la Diana
a été, selon la formule consacrée, "
revu et augmenté ". J'ai utilisé aussi en
partie l'étude faite par Francis Goutorbe et j'ai mentionné
en note ce qui lui revient. J'ai pu aussi mettre à profit
les compléments qu'avait apportés Noël Gardon.
Le docteur Francis Goutorbe est décédé
en juin 2003 : je dédie ce travail à sa mémoire
et je lui ai rendu hommage dans le dernier numéro de
Village de Forez. Ce travail qui trouve son origine dans
une conférence qui m'a été demandée
par le docteur Bertholon pour l'assemblée générale
de l'association des médecins retraités de la
Loire, le 9 décembre 2003.
De l'hommage des Montbrisonnais
à la découverte d'un homme
Le 20 mars 1898, Montbrison rendait un
dernier hommage à son ancien maire, le docteur Eugène
Rey, mort à l'âge de 87 ans. Il était décédé
chez sa fille, Mme Chavassieux (1), près de laquelle
il avait passé ses derniers mois et qui résidait
rue de Lyon. Le cortège partit de la maison mortuaire
pour gagner la collégiale Notre-Dame puis le cimetière
de la Madeleine. Le long cortège indiquait la notoriété
du défunt, mais aussi l'estime et l'affection qui l'entouraient.
Son gendre, le commandant Chavassieux, conduisait le deuil.
Derrière la famille venaient le sous-préfet, M.
Dupré, le maire de Montbrison, Claude Chialvo, et les
membres du conseil municipal, les médecins marchant en
corps, les officiers de la garnison, les chefs des administrations.
Puis s'écoulait lentement la longue file des Montbrisonnais.
Une compagnie du 16e Régiment de ligne rendait les honneurs
au chevalier de la Légion d'honneur. Au pont Saint-Jean,
on aborda l'hôtel-Dieu, ce qui rappelait à tous
le rôle que le docteur Rey avait joué dans cet
établissement ; les funérailles religieuses à
Notre-Dame furent l'occasion de dire qu'il avait été
l'un des historiens de la collégiale. Au cimetière,
le docteur Dulac évoqua le médecin ; Claude Chialvo
dit quel avait été le dévouement du maire
et du conseiller municipal. Et l'on inhuma le corps du docteur
Rey dans le caveau de sa famille, situé contre le mur
sud du cimetière : sa femme et ses deux fils y reposaient
déjà.
Au delà de l'hommage rendu par Montbrison à son
ancien maire et du spectacle des pompes funéraires de
la fin du XIXe siècle, il est passionnant d'aller à
la découverte d'un homme qui a marqué l'histoire
de sa ville par son rôle de médecin, par ses fonctions
municipales et aussi par ses talents d'écrivain et d'historien.
Ainsi, après nous être déjà penché
sur l'histoire de plusieurs dynasties montbrisonnaises - les
Bernard, les Chavassieu, les Levet - continuons-nous notre exploration
de cette bourgeoisie provinciale dont la connaissance est si
importante pour comprendre l'histoire du XIXe siècle.
I. Le docteur Rey, médecin
à Montbrison
Le milieu familial
Jean François
Eugène Rey (2) était
né à Montbrison le 12 janvier 1811, fils de Joseph
Rey et de Marie Vidal.
- Les Rey venaient du Dauphiné. Le père du futur
docteur Rey, Joseph Rey, était né aux Echelles
(Isère) dans une famille de négociants. La conscription
et les guerres révolutionnaires en firent un jeune officier,
combattant dans l'armée du général Masséna,
" l'enfant chéri de la Victoire ", lorsque
celui-ci battit à Zurich les Autrichiens de l'archiduc
Charles (4 juin 1799) puis, quelques mois plus tard, les Russes
du général Korsakov (3).
En 1800, Joseph Rey est depuis six mois en poste à Montbrison,
d'abord au 1er bataillon auxiliaire de la Loire puis à
la 26e demi-brigade, lorsqu'il épouse, le 26 pluviose
an VIII, Marie Vidal (4).
- Les Vidal étaient une vieille famille montbrisonnaise.
Le père de Marie Vidal, Jean-Jacques Vidal, était,
avant la Révolution, maître-chirurgien et avait
acheté une charge de greffier de M. le premier chirurgien
du roi (5). La mère de Marie
Vidal, Marie Raysonnier, était, elle, l'héritière
d'une véritable dynastie d'orfèvres qui tenaient
boutique rue Tupinerie, à l'angle de la rue du Marché.
Deux des fils de Jean-Jacques Vidal et de Marie Raysonnier,
Léonard et Michel Vidal furent aussi chirurgiens et étaient
installés rue des Pénitents : après 1789,
ils sont indiqués comme médecins (6).
Pour rester à Montbrison, Joseph Rey quitta l'armée
et entra comme employé dans les bureaux des contributions
: il fit sur place une carrière de percepteur, devint
un notable local, chevalier de la Légion d'honneur et
se retira dans sa maison de la rue du Marché. Il avait
gardé le souvenir des campagnes faites avec Masséna
et en faisait volontiers le récit " qu'il me fallait
subir - écrit son fils - sans en supprimer une étape,
au moins trois fois par an "(7)
.
Joseph Rey et Marie Vidal avaient eu cinq enfants : Eugène
était le dernier d'entre eux. Il appartenait donc, par
sa naissance, à une famille de moyenne bourgeoisie :
un père officier, jeté sur les routes par les
guerres de la Révolution, assagi dans un poste de percepteur,
un grand-père maternel et deux oncles médecins.
Par sa mère, il était bien enraciné dans
la bourgeoisie montbrisonnaise.
Les études
Eugène Rey fréquenta d'abord la petite école
primaire dirigée par l'instituteur Grégoire Baune
et installée au fond de la cour de l'ancienne maison
du chanoine Paparin, presque en face de la collégiale
Notre-Dame. Eugène Rey a évoqué avec verve
la personnalité de son maître d'école, lettré
et sévère. Cet ancien chef de service des contributions
directes avait été, en 1815, révoqué
par la Restauration et avait ouvert une école primaire.
Eugène Rey a évoqué, dans ses Historiettes
foréziennes, son dévouement, ses qualités
de pédagogue, sa sévérité et l'austérité
de sa vie et aussi sa culture encyclopédique : "
Son visage annonçait une intelligence que la pratique
des chefs-d'uvre littéraires avait remarquablement
développée, une grande énergie morale et
une volonté de fer."(8)
Dans son étude sur la collégiale, Eugène
Rey évoque " les folles journées de (son)
enfance passées à faire l'école buissonnière
" à l'ombre des " grands murs de Notre-Dame
" et " à enjamber lestement les 133 marches
étroites de son robuste clocher "(9).
Eugène Rey fréquenta ensuite le collège
royal de Montbrison où il fut le condisciple d'Auguste
Bernard, le futur historien du Forez. Il obtint le baccalauréat
à 17 ans, puis se rendit à Lyon pour y faire ses
études à l'école secondaire de médecine
créée en 1821 ; il fut l'élève du
docteur Jacques Richard de Laprade, ancien médecin de
l'hôtel-Dieu de Montbrison, professeur de clinique interne
(10) et père du futur poète
Victor de Laprade, membre de l'Académie française.
Il suivit ses cours avant d'être reçu à
l'internat des hôpitaux de Lyon en 1832.
En 1834, lors de l'épidémie de choléra
de Marseille, le jeune interne fut envoyé dans cette
ville pour aider à soigner les malades. L'épidémie
fut, en effet, terrible. En 1832, elle avait frappé
Paris et fit 32 000 morts dans la capitale, mais se développa
aussi à Lille et Bordeaux ainsi qu'en Normandie. Elle
éclata à Marseille en 1834. Il y eut plus de 3
000 morts (11) et 25 000 personnes
quittèrent la ville (qui avait 145 000 habitants). Les
médecins marseillais ne suffisaient pas à soigner
les malades : on fit appel à des médecins et à
des internes des hôpitaux de Paris, Lyon et Montpellier
: le jeune interne de 21 ans fit la double et tragique expérience
de l'épidémie et de l'impuissance de la médecine.
Eugène Rey partit ensuite pour Montpellier qui avait
une ancienne et célèbre faculté de médecine
(2) : il y fit sa thèse sur les rhumatismes, soutenue
en 1836 (13). Nous le savons par
un passage savoureux de ses Historiettes foréziennes.
Eugène Rey nous raconte l'histoire d'un épicier
montbrisonnais, M. Purin, qui fit fortune sous l'Empire pour
avoir stocké des pains de sucre avant que le Blocus ne
les rendît introuvables :
" Mon père - écrit Eugène Rey - lui
ayant un jour fait part de son intention de faire de moi un
médecin : " un médecin ! dit M. Purin...
Vous n'y avez pas réfléchi ; cela vous coûtera
les yeux de la tête et votre pension n'y suffirait pas...
Mettez-le plutôt en apprentissage chez moi ; il paraît
intelligent, je le formerai et il s'en trouvera bien."
J'étais présent, et à ce propos, je devins
rouge jusqu'aux oreilles. "
M. Purin, lui dis-je, je vous remercie de vos bonnes intentions
; mais l'intelligence n'est pas nécessaire pour vendre
du macaroni, et le temps de la vente des pains de sucre à
vingt-quatre francs de bénéfice ne reviendra probablement
jamais. Vous avez des rhumatismes... Je choisirai cette maladie
pour sujet de ma thèse et je vous la dédierai
"(14) .
Six ans plus tard, le Docteur Rey donna sa thèse à
M. Purin avec une belle dédicace ; " Peu de jours
après, ma mère en rapportait à la maison
les trois premières feuilles ; elles servaient d'enveloppe
à un paquet de bougies et à un morceau de fromage
de Gruyère." (15)
Médecin de ville et médecin de l'hôtel-Dieu
de Montbrison
A la fin de ses études, Eugène Rey fit, pendant
l'été de 1836, un long voyage en Suisse puis un
séjour à Paris, pour finir d'y passer ses examens.
A une époque où peu de gens voyageaient, c'était
une ouverture sur le monde qui donnait au jeune médecin
qui était allé à Lyon, Marseille et Montpellier,
un peu de recul. Mais il était très attaché
à sa ville natale et décida de s'y installer.
Sur ses débuts, nous avons le témoignage de son
confrère le docteur Dulac : " Les débuts
furent durs pour lui. M. Rey n'avait pas de fortune et il arrivait,
lui, sixième, dans une ville qui offrait de maigres ressources.
Deux choses le soutinrent à cette époque, il me
l'a dit bien des fois quand nous courions la campagne ensemble,
l'amour de son métier et la tendresse de celle qui était
devenue sa femme. Mais les qualités naturelles de notre
confrère, son aménité, la culture de son
esprit, ne tardèrent pas lui créer une situation.
"(16)
Eugène Rey avait épousé Catherine Favrot,
de cinq ans sa cadette, fille d'un avoué montbrisonnais
(17). Ils eurent quatre enfants
: Pierre Lucien (1840), Paul Antoine (1843), Louis
Ferdinand (1847, mort à cinq mois) et une fille, Antoinette
Valentine (1852) (18).
Le docteur Rey fit une double carrière : médecin
de ville, il recevait dans son cabinet installé quai
des Eaux-Minérales puis, rue Notre-Dame. Il courait aussi
la campagne : on venait le chercher à toute heure du
jour et de la nuit : il attelait sa jument et partait avec sa
voiture à cheval. Dans l'une de ses Historiettes, il
évoque ainsi le jour où, en décembre, "
au retour d'un voyage en montagne " et alors qu'il dormait
" chaudement abrité contre un froid de - 7°
", il dut repartir pour la ferme-école de la Corée,
parce que François, le domestique, venait le chercher
: il fallut à nouveau atteler la " grise "
après lui avoir donné double ration d'avoine et
avoir réchauffé le domestique avec une rasade
de cognac (19). Rude vie que celle
des médecins de campagne au siècle dernier...
Parallèlement, le docteur Rey fit aussi une carrière
de médecin hospitalier : médecin suppléant
des hospices dès 1838, il devint médecin titulaire
en 1844, à l'âge de 33 ans. Médecin des
hospices de Montbrison : il était très fier de
ce titre. L'hôtel-Dieu de Montbrison, installé
sur les bords du Vizézy depuis le XIIIe siècle,
fut sa véritable maison pendant 50 ans : il exerça
en effet ses fonctions jusqu'en 1894.
Le docteur Rey exerça, en outre, de multiples charges
ou fonctions : médecin de la ferme-école de la
Corée (1845), président du jury médical
de la Loire et secrétaire du conseil d'hygiène
du département (1849), président de la commission
des épizooties (1850), médecin des épidémies
de l'arrondissement de Montbrison, médecin de l'école
normale de Montbrison et du petit séminaire de Verrières.
Une anesthésie générale à l'hôtel-Dieu
de Montbrison (1847)
En 1847, le docteur Rey s'illustra en réalisant l'une
des premières anesthésies générales
pratiquées en France. Cette méthode nouvelle avait
été pratiquée pour la première fois
par Horace Wells, un dentiste américain, en 1844, en
utilisant le protoxyde d'azote pour anesthésier un patient
afin de lui extraire une dent. En 1846, William Morton, lui
aussi dentiste, utilisa l'éther pour la même opération.
En 1847, à Edimbourg, Simpson pratique la première
anesthésie au chloroforme La même année
Liston, un grand chirurgien anglais, pratique la première
opération avec anesthésie au protoxyde d'azote.
Mais ces méthodes restaient controversées et considérées
avec nuance voire scepticisme par les maîtres lyonnais
du docteur Rey. Si Bouchacourt, chirurgien-major de la Charité
venait d'introduire l'anesthésie générale
en obstétrique, Gensoul, un chirurgien réputé,
n'avait fait que deux anesthésies lorsqu'il brigua le
poste de professeur en 1848 (20).
Les plus jeunes étaient plus hardis : Jean-Baptiste Perret,
un des collègues d'internat d'Eugène Rey, venait
de pratiquer plusieurs anesthésies à l'éther
à l'hôpital de Villefranche.
En 1847, on est donc au tout début de la pratique de
l'anesthésie générale en chirurgie. La
gravité d'un cas d'amputation poussa Rey à essayer
cette méthode : la malade, Jeanne Fréry, âgée
de 40 ans, avait eu l'avant-bras déchiqueté et
brisé par deux chiens de garde de grande taille et la
gangrène rendit l'amputation nécessaire. Le chirurgien
de l'hôtel-Dieu, le docteur Briard, ancien chirurgien
militaire, pratiqua l'amputation pendant que le docteur Rey
faisait l'anesthésie à l'éther. La malade
survécut. Cette " première ", dont un
compte rendu rédigé par le docteur Rey fut publié
dans le Journal de Montbrison (20 mars 1847) assura sa réputation
:
" Cent vingt grammes d'éther sulfurique furent introduits
dans un ballon de verre dont la large ouverture devait être
fermée par un bouchon traversé de deux tubes,
l'un de verre à l'aide duquel l'air extérieur
pouvait s'introduire dans la capacité du vase, l'autre
flexible en caoutchouc qui devait servir aux inspirations. Nous
introduisîmes l'un des tubes dans la bouche de la malade
et nous l'engageâmes à aspirer les vapeurs dont
l'un de nous favorisait le dégagement en réchauffant
le flacon dans ses mains pendant qu'un autre maintenait les
narines rapprochées.
Au bout de quelques minutes, cette femme [
] ne sentait
plus les pincements les plus énergiques ; ses paupières
s'affaissèrent, la respiration devint profonde et le
pouls se ralentit sensiblement. C'est alors que l'amputation
du bras fut pratiquée d'après la méthode
dite circulaire par le docteur Briard, en présence des
médecins de l'hôpital, de M. B., médecin
aide-major au 66e de ligne et du docteur D., médecin
distingué de Saint-Etienne.
Pendant toute la durée de cette horrible mutilation ordinairement
accompagnée d'horribles souffrances, la demoiselle Fréry
n'a pas fait entendre un seul gémissement, n'a pas tenté
le plus léger mouvement pour se soustraire au contact
galvanique de l'acier qui divisait ses chairs à huit
centimètres au-dessus de la portion envahie par la gangrène.
Elle paraissait dormir d'un sommeil profond qui ne cessa que
lorsque le pansement était sur le point d'être
achevé.
Sur la demande : " avez-vous bien souffert ? "
Elle répondit : " je ne sens rien. Dieu vous récompense
Messieurs de la peine que je vous vois prendre pour moi. "
La conclusion du docteur Rey est modeste : " Nous ne prétendons
pas - écrit-il - attacher à ce fait [la réussite
de l'anesthésie] toute l'importance que des personnes
étrangères à l'art médical pourraient
y trouver. " Il est vrai que le docteur Rey sait que beaucoup
de médecins sont encore sceptiques quant à l'anesthésie
- et parmi eux certains de ses maîtres lyonnais. Il sait
aussi que, lors de tentatives qui ont été faites,
il y a eu des incidents, voire des accidents. Il faut être
prudent.
Il cherche une autre explication : " Le sujet de cette
observation [était] une pauvre fille peu intelligente
et dont la sensibilité probablement obtuse à l'état
normal a peut-être subi un effet [
] d'engourdissement
notable par suite de la commotion cérébrale qui
a dû résulter de ses nombreuses chutes " [au
moment de l'attaque des chiens].
L'explication par la faible intelligence supposée de
la patiente - en somme, " une pauvre fille de la campagne
" qui éprouve moins la douleur - est en tout cas
assez étonnante.
En fait, le docteur Rey sent bien qu'il vient de participer
à une étape très importante de la
médecine : " Le souvenir de cette opération
silencieuse et dans laquelle l'impassibilité de la victime
contrastait d'une façon si étrange avec les hurlements
et les efforts des malheureux que nous nous souvenions avoir
vus sous le couteau du chirurgien [
] restera longtemps
gravé dans la pensée de ceux qui en ont été
les témoins. Il restera surtout comme le point de départ
d'une voie nouvelle, inconnue, dans laquelle la médecine
trouvera matière à soulager l'humanité
souffrante. (21)" L'émotion
l'emporte et s'exprime ici avec lyrisme.
Lauréat de l'académie de médecine de Bruxelles
Le docteur Rey avait gardé de ses études le goût
de continuer à s'instruire et de mettre à jour
ses connaissances. Le docteur Dulac dit de lui :
" Toutes ces occupations multiples devenaient pour notre
confrère l'occasion de travailler sans cesse et d'étudier
toujours. En 1850, l'Académie royale de Belgique met
au concours la question suivante : quelle influence les sciences
chimiques et physiques ont-elles exercée sur la connaissance
de la nature intime des maladies ? (22)"
Eugène Rey envoya un mémoire (23)
qui fut récompensé par une médaille de
vermeil et par la publication de son texte dans les Mémoires
de l'Académie. Bien sûr, il y a dans le texte du
docteur Rey un côté dissertation qui est un peu
convenu. Mais il nous donne aussi de précieux renseignements
sur l'état des connaissances de son auteur ainsi que
sur sa conception de la médecine au point de vue scientifique.
De sa province, le docteur Rey suit, avec attention, les progrès
de la médecine et de la science. Il comprend l'intérêt
du microscope et, surtout, est capable de l'utiliser : il écrit
dans son mémoire : " l'usage personnel que nous
en faisons depuis longtemps (24)".
Il pratique, l'un des premiers en province, l'anesthésie
à l'éther. Il croit aux progrès des sciences
et comprend qu'une ère nouvelle est en train de commencer
pour la médecine : " l'art de guérir a commencé
sa régénération " pour entrer "
dans un positivisme absolu " en " quittant la voie
trompeuse des systèmes (25)."
Et il appelle de ses vux " l'avènement de
cet âge glorieux pour la médecine dans lequel il
n'y aura plus qu'une doctrine, qu'une croyance, qui reposeront
sur des faits religieusement observés et démontrés
(26)" . Nous ne sommes pas
loin de la méthode expérimentale et de Claude
Bernard qui, en 1865, écrit dans l'Introduction
à la médecine expérimentale : "
La vérité unique dont la recherche est le but
de la science ne sera atteint que par une pénétration
réciproque de toutes les sciences. "
Il est ainsi passionnant de voir comment un médecin de
province, au milieu du XIXe siècle, se tient informé
des progrès de la science, discute les théories,
s'enthousiasme des progrès qui sont faits. A travers
l'exemple du docteur Rey, nous voyons quelle extraordinaire
évolution de la médecine s'est produite au XIXe
siècle et nous comprenons que ces progrès ont
pu se faire parce que, " sur le terrain ", il y avait
des hommes prêts à les accueillir.
L'hygiéniste, membre de
la Société d'agriculture de Montbrison
Devenu médecin
de la ferme-école de la Corée (27),
le docteur Rey s'intéressa aux problèmes de l'agriculture
forézienne et devint, vers 1845, membre de la Société
d'agriculture de Montbrison dont il fit partie pendant une vingtaine
d'années (28). Cette Société
d'Agriculture avait été fondée en 1818
et rassemblait les grands propriétaires de l'arrondissement
mais aussi des notables montbrisonnais, soucieux de développement
économique et passionnés d'agronomie. Elle publia,
dans un but pédagogique, de nombreuses brochures et,
à partir de 1847, La Feuille du cultivateur forézien.
Dès le n° 1, le docteur Rey donna un article sur
" L'hygiène du cultivateur "(29)
qui eut une suite dans les numéros suivants.
L'auteur rappelait d'abord l'importance des " fièvres
paludéennes " qui conduisent de nombreux malades
à l'hôpital de Montbrison aux saisons intermédiaires
du printemps et de l'automne. Il mettait surtout en cause "
l'imprudente et coupable résignation du cultivateur à
l'action meurtrière du fléau " (30)
et le manque d'hygiène. Certes, le drainage et l'irrigation
de la plaine et les plantations d'arbres sont la véritable
solution à long terme (31).
Mais, en attendant que ces transformations soient faites, l'hygiène
et l'application de ses principes permettent " d'atténuer
les effets pernicieux d'un air vicié par les miasmes
paludéens (32)".
Le docteur Rey prodiguait d'abord des conseils concernant l'hygiène
de l'habitat : les maisons devront être construites en
brique (" moins humides que le pisé "), établies
sur un point élevé, orientées au nord et
éloignées des étangs. Le sol de la demeure
devra " être sec et uniforme " et les maisons
ouvertes de façon à laisser pénétrer
" l'air et la lumière " (33).
Les fumiers devront être éloignés des habitations.
L'hygiène personnelle : les habitants devront prendre
des habitudes de propreté : " Attention aux soins
personnels " (34) en faisant
la toilette en " usant d'une eau pure et légèrement
vinaigrée "(35) . Il
faut se changer, mettre des chemises de laine.
L'alimentation : le cultivateur effectue des travaux pénibles
; il doit avoir une " alimentation réparatrice ",
alors que celle-ci est généralement " peu
variée et peu soignée " (36).
Il faut manger du pain de ménage qui associe blé
et seigle, du bouillon de viande - il y a, dans l'article du
docteur Rey, un paragraphe lyrique sur les bienfaits du pot-au-feu
-, de la viande de buf et de mouton ; de la viande salée
de porc (mais attention aux épizooties qui le frappent)
; des ufs et du lait ; des pommes de terre, " providence
des laboureurs ", " de l'eau de source limpide, légère,
fraîche " ; il faut " filtrer l'eau douteuse
et éventuellement l'additionner de vin comme moyen prophylactique
".
Cette " régénération " de l'agriculteur
devra aussi être morale et passer par le développement
de l'instruction élémentaire, moyen de faire pénétrer
ces principes chez les habitants de la plaine.
Texte intéressant. D'une part, il nous donne, en contrepoint,
un état de la situation des paysans de la plaine de Forez
(37) : les fièvres, le manque
d'hygiène, la pauvreté des habitations, la médiocrité
de la nourriture. D'autre part, il présente le point
de vue de l'hygiéniste, volontiers sentencieux et moralisateur,
désireux d'apporter les bienfaits de la médecine
et de l'hygiène à des populations que les contemporains
ont souvent décrites comme victimes d'une grande misère
matérielle et morale...
II. Un homme dans la cité
: le maire de Montbrison
Le conseiller
municipal
Dès
1848, le docteur Rey est élu conseiller municipal de
Montbrison. Sa carrière politique fut exclusivement municipale.
Il ne brigua jamais aucun autre mandat public. En 1848, il est
élu sur la liste conservatrice présentée
par Bouvier contre les républicains de Laurent Chavassieu.
Ses sympathies le portent progressivement vers le bonapartisme.
Son enfance avait été bercée par les récits
des guerres de la Révolution et de l'Empire ; en 1851,
la municipalité dans laquelle il est adjoint au maire,
approuve le coup d'Etat du prince-président Louis-Napoléon
Bonaparte. Il apprécie les idées " modernistes
" de l'empereur. En 1869, il est nommé maire de
Montbrison par le préfet.
De 1852 à 1867, le docteur Rey est conseiller municipal
pendant les municipalités de Léon de Saint-Pulgent
et de Majoux. Il est un conseiller consciencieux et assidu,
" l'un des plus écoutés des assemblées
municipales (38)" . Montbrison
se transforme. De nombreuses opérations de voirie et
d'urbanisme sont entreprises : percement de l'actuelle rue Francisque-Reymond,
construction de la " Route nouvelle " (l'actuelle
avenue d'Allard), reconstruction du pont de l'hôpital,
aménagement du quai Saint-Louis, arrivée du chemin
de fer, restauration de la Diana, construction de la halle aux
blés. L'installation de bornes-fontaines et l'organisation
du ramassage des boues représentaient un progrès
considérable au point du vue de l'hygiène et le
docteur Rey est souvent rapporteur de ces mesures (39).
Le docteur Rey, maire de Montbrison : une situation financière
difficile
Le 20 mars 1869, un décret impérial nomme le docteur
Eugène Rey maire de Montbrison (40)
en remplacement de M. Majoux. En fait, le docteur Rey a été
appelé au fauteuil de maire dans une période de
crise. La démission de M. Majoux correspond à
une disgrâce : son caractère autoritaire était
de plus en plus critiqué et on lui reprochait aussi d'avoir
mis en péril les finances de la ville par des dépenses
excessives. Le docteur Rey, adjoint depuis 1867, était
en conflit avec le maire. En prenant ses nouvelles fonctions,
le docteur Rey déclare :
" Je ne me dissimule pas les difficultés que me
préparent les conditions défavorables où
se trouve, vous le savez, notre situation financière.
Je ne veux pas rechercher les circonstances qui ont fait naître
cette situation regrettable. Mais si le désir ardent
d'opposer à ces difficultés une surveillance et
une régularité intéressantes [...] sont
capables de les aplanir, j'espère remplir le mandat qui
m'est aujourd'hui confié de manière à mériter
l'approbation de mes concitoyens ".
Plus loin, le nouveau maire expose dans quel esprit il entend
remplir son mandat :
" Je suis résolu à m'abstenir, en dehors
des attributions spécialement dévolues au maire,
de toute opération qui n'aurait pas reçu la sanction
préalable de vos votes. Enfin je regarderais comme un
de mes premiers devoirs d'accueillir avec la plus grande cordialité
toute proposition qui pourra m'être faite [...] Economie,
ordre, confiance mutuelle, ces trois mots résument les
espérances que j'apporte."
Economie dans les finances publiques et consultation promise
et même souhaitée du conseil municipal : le message
était clair ainsi que les reproches implicitement faits
au maire précédent. Le docteur Rey était
décidé à aller vite : dès le 7 avril,
il présenta devant le conseil municipal un état
de la dette qui s'élevait à 193 000 F, ce qui
était supérieur à un budget annuel (152
000 F en 1867). Une commission était nommée pour
" vérifier les calculs ".
Le redressement de la situation
Face à cette situation, le maire agit avec finesse, habileté
et détermination. Il avait dans son conseil municipal
deux oppositions ; celle des royalistes, conduite par le vicomte
de Meaux et celle des républicains qu'animait Georges
Levet. Il leur confia le rapport des commissions et tint compte
de leurs avis.
L'opposition royaliste avait réclamé "un
contrôle plus strict du conseil municipal sur les décisions
de l'exécutif : le conseil municipal se réunit
- fait exceptionnel - pendant plusieurs jours consécutifs
; il siégea même toute la journée du 9 juin.
L'opposition républicaine avait conseillé "
de ne voter que les dépenses indispensables ", d'autant
que l'on avait commencé " à empiéter
sur les crédits de l'exercice suivant ". On prit
alors des mesures de restriction des dépenses dont les
travaux prévus au petit séminaire firent les frais
et l'on réclama vigoureusement une participation plus
importante du diocèse. Elle fut finalement obtenue, après
la venue à Montbrison du vicaire général,
M. Richoud (41). Surtout, on augmenta
très fortement les impôts - comment faire autrement
? - et l'on décida de maintenir l'octroi qui représentait
45 % des recettes de la commune alors que, pourtant, une consultation
nationale était en cours au sujet de sa suppression éventuelle
: l'empereur, très favorable au libéralisme, était
hostile à ces douanes intérieures, considérées
comme une entrave au commerce.
Des investissements purent cependant être décidés
et engagés. Travaux à l'hôtel-Dieu : carrelage
des salles et construction d'une conduite d'eau spéciale
entre la prise d'eau de Beauregard et l'hôpital. Travaux
d'hygiène : curage et réparation du béal
comtal ; établissement d'une prise d'eau sur le Vizézy,
en amont de Montbrison, pour améliorer l'alimentation
des fontaines publiques ; curage des " rues latrinales
". On trouvait, naturellement, dans ce programme, la marque
personnelle de l'hygiéniste qui siégeait à
la mairie.
La guerre
En juillet 1870, éclate la guerre avec la Prusse. L'écho
des événements nationaux apparaît d'abord
peu dans les délibérations du conseil municipal
: on est, en fait, tout occupé par le renouvellement
du conseil municipal qui a lieu, comme prévu et malgré
la déclaration de guerre, les 7 et 14 août 1870.
Les oppositions progressent : plusieurs royalistes sont élus
dont le vicomte de Meaux, 5e sur 23. Emile Dulac et Francisque
Reymond, tous deux républicains, sont réélus
en tête du scrutin (1er et 2e). Jean-Baptiste Chavassieu
qui est le véritable chef du parti républicain
entre au conseil municipal, élu au 11e rang. Le conseil
s'installe le 1er septembre et le docteur Rey, nommé
à nouveau maire, prête serment de fidélité
à l'empereur : pour trois jours ! Le 4, en effet, la
nouvelle du désastre de Sedan provoque à Paris
la chute du régime et la proclamation de la République.
Le 5 septembre 1870, le docteur Rey est retenu à Saint-Etienne
par les opérations du conseil de révision. Le
conseil municipal est réuni sous la présidence
de M. Colmet, son adjoint, lorsque le sous-préfet,
M. Blanc, arrive en pleine réunion pour annoncer les
nouvelles qui viennent d'arriver : la déchéance
de la dynastie impériale a été votée
par le Corps législatif, la République a été
proclamée. Un gouvernement de la Défense nationale
a été formé.
Une commission municipale de cinq membres est élue
sur le champ pour assister le maire et son adjoint : Emile
Dulac, Georges Levet, Francisque Reymond, Jean-Baptiste Chavassieu
et Avril, tous républicains, sont élus, ce qui
signifie que le docteur Rey est, de fait, mis en tutelle (42).
Le républicain César Bertholon a été
nommé préfet. Dès le 27 septembre, il
remplace le docteur Rey par Jean-Baptiste Chavassieu (43),
avec mission donnée à celui-ci de donner un
nouvel élan à la défense nationale.
La fin de
la carrière politique du docteur Rey
Le docteur
Rey est, certes, réélu en 1871 comme conseiller
municipal - ce qui mettra un peu de baume sur ses blessures
- et siège au conseil jusqu'en 1875. Mais son rôle
est terminé. Il s'efface avec discrétion et n'interviendra
guère, désormais, dans les débats du conseil,
tout en restant très assidu à ses séances.
La chute de Napoléon III avait mis fin à sa carrière
politique.
En 1877, il vit cependant reconnaître ses mérites.
Le maréchal de Mac-Mahon, président de la République,
vint à Montbrison, sous le prétexte de présider
près de Boën à des manuvres militaires,
en réalité pour appuyer les candidats conservateurs
à l'Assemblée nationale - qu'il venait de dissoudre.
Lors de son passage à Montbrison, il remit personnellement
au docteur Rey la croix de chevalier de la Légion d'honneur.
III. Le docteur Rey homme de
lettres, historien et érudit
L'érudit
et l'historien
Le docteur Rey fut de la grande tradition des médecins
érudits du XIXe siècle. Il aimait aussi faire
connaître ce qu'il savait et avait le goût de la
bonne vulgarisation. Ainsi Eugène Rey fut-il, pendant
plus de quarante ans, un collaborateur régulier du
Journal de Montbrison, que dirigeait Michel Bernard (44).
Il donna de nombreux articles qui étaient ensuite repris
en brochures : articles de médecine, bien sûr,
mais aussi de géologie, de météorologie
et d'histoire locale. A des années de distance, il reprenait
les mêmes sujets pour les approfondir. Ce qui nous donne
l'image d'un esprit encyclopédique.
Les transformations de l'église Notre-Dame furent l'un
de ses sujets de prédilection. L'installation de l'orgue
de Callinet, " admirable instrument dont notre église
venait d'être dotée (45)"
ainsi que la construction de la tribune de pierre qui le supporte
(1842) furent l'occasion d'articles remarqués. Le docteur
Rey confesse avoir suivi " d'un regard impatient le ciseau
trop lent à (son) gré des sculpteurs (46)"
de la tribune d'orgue. Près de cinquante ans plus tard,
il présentait la nouvelle chaire sculptée de l'église
Notre-Dame (47) que le curé
Claude Peurière venait de faire installer...
En 1851, il fit des conférences publiques à l'hôtel-de-ville
sur la géologie : " nous avons étudié
autant qu'il nous était possible cette grande question
de la genèse terrestre (48)".
En 1892, un tremblement de terre se manifeste à Montbrison
" par des trépidations inoffensives et de peu de
durée (49)". C'est
aussitôt l'occasion pour le docteur Rey de replacer cet
événement dans son contexte géologique
et historique : et l'auteur de rappeler que la terre a déjà
tremblé à Montbrison les 2 et 16 avril 1808, le
25 décembre 1825 " pendant la messe de minuit "
et le 9 octobre 1833. Précieuses indications que donne
l'annaliste qui a fouillé dans ses fiches...
Membre fondateur de la Diana
Passionné par l'histoire de sa ville, le docteur Rey
fit partie des membres fondateurs de notre société.
Le 29 août 1862, le duc de Persigny, président
du conseil général de la Loire et ancien ministre
de l'Intérieur, prend place dans la salle de la cour
d'assises du palais de Justice de Montbrison pour accueillir
ses invités, ceux qui ont accepté de faire partie
de l'assemblée constitutive de la Diana, société
historique et archéologique du Forez. Il est entouré
du comte de Charpin-Feugerolles, et de M. Majoux, maire de Montbrison.
Il y a 147 présents sur les 233 premiers membres de la
Diana. Le docteur Rey est là, en compagnie de plusieurs
autres membres du conseil municipal et de ses amis, le libraire
Michel Bernard, l'abbé Crozet, ancien curé de
Notre-Dame, l'historien Régis de Chantelauze, Souchon
du Chevalard, président de la Société d'agriculture
de Montbrison.
Après
les discours d'usage, le duc de Persigny fit adopter les statuts
de la nouvelle société historique : ce fut le
début d'une grande aventure historique, qui dure encore.
Rey sera un membre discret mais fidèle et assidu de la
Diana. Son étude sur Notre-Dame attirera en 1885 l'attention
de ses amis de la Diana.
L'historien : la monographie de Notre-Dame
En 1885, le docteur Rey publia, chez son ami le libraire Lafond,
une Monographie historique et descriptive de Notre-Dame d'Espérance
de Montbrison, ouvrage " tiré à un petit
nombre d'exemplaires ", dans une belle édition illustrée.
Elle était dédiée à son ami, le
chevalier Puy-du-Rozeil qui avait fait don à l'église
Notre-Dame de la belle chaire sculptée qui est encore
en place. Certes, il y avait eu, en 1847, l'ouvrage de l'abbé
Renon (50), vicaire de Notre-Dame,
qui restait, et reste irremplaçable. Mais le docteur
Rey souhaitait donner à l'histoire de l'église
Notre-Dame " un relief nouveau et attrayant " et "
étudier les restaurations dont notre vieille église
a été et est encore l'objet
(51)" .
Eugène Rey étudiait d'abord, dans une première
partie, l'histoire de la collégiale, souvent élargie
à celle de Montbrison dont elle est le cur. Les
chapitres consacrés au XVIe siècle sont particulièrement
intéressants et racontent l'affaire du connétable
de Bourbon, la venue du roi François Ier à Montbrison,
le sac de la ville et de Notre-Dame par le baron des Adrets.
Le lecteur trouvait aussi une bonne histoire de la collégiale
sous l'Ancien Régime.
Une deuxième partie (chapitres VII à X) étudiait
les restaurations faites depuis le Concordat : la construction
et l'installation des orgues et de leur tribune en 1842, les
vitraux, les tableaux, la rénovation des chapelles. C'était
là une partie neuve et utile car elle n'avait pas été
traitée par Renon dont l'ouvrage avait été
publié trente-sept ans auparavant. Le livre du docteur
Rey était alerte et vivant et n'oubliait pas d'évoquer
les hommes : l'abbé Populus, premier curé concordataire
de l'église, " pauvre à cause des pauvres
(52)" , l'organiste Emile
Lachmann, Charles Laurent Maréchal, l'auteur de nombreux
vitraux de la collégiale...
Enfin, le docteur Rey réservait un ultime chapitre à
ses Desiterata, c'est-à-dire aux propositions
qu'il faisait pour la poursuite de la restauration de l'église.
Elles sont bien révélatrices du goût de
l'époque : il préconisait la mise en place d'une
galerie à jours au- dessus du portail, d'un gâble
triangulaire à la place du fronton semi-circulaire ainsi
que l'achèvement de la tour sud par l'adjonction d'une
flèche : propositions qui restèrent à l'état
de projets. Il réclamait aussi la reconstruction de la
chapelle Saint-Aubrin et l'établissement d'un baptistère
qui fut construit peu de temps après.
Dans sa conclusion, le docteur Rey évoquait le rôle
de l'Eglise parmi les hommes - " grande consolatrice "
et " emblème de la patrie
(53)" - et la place de Notre-Dame d'Espérance
dans la cité :
" En survivant aux ravages des invasions étrangères
(54), aux dévastations furieuses de l'hérésie
(55), aux orgies de l'athéisme
révolutionnaire (56), Notre-Dame
d'Espérance a prouvé qu'elle avait sa part de
la promesse divine. Soyons donc assurés qu'en vertu de
cette promesse, elle restera inébranlable et toujours
vénérée sur le sol forézien qui
la porte depuis sept cents ans (57)."
Texte caractéristique des attitudes religieuses et même
politiques du docteur Rey. Elles sont bien représentatives
du milieu de la bourgeoisie catholique à une époque
marquée des grandes luttes religieuses de la IIIe République...
Le philosophe : L'idée de Dieu et la science contemporaine
Homme de science et catholique, le docteur Rey voulut présenter
ses propres idées sur l'existence de Dieu et montrer
que ses croyances n'étaient pas incompatibles avec la
science (58) : vieux problème
qui était l'objet d'âpres débats dans une
époque marquée par les luttes philosophiques et
religieuses de la IIIe République. Il publia, en 1893,
L'idée de Dieu et la science contemporaine (59),
prenant la parole, lui, " inconnu et sans autorité
dans le monde des savants et des lettrés " au nom
du " droit de tout chrétien, de tout homme de cur,
de combattre l'erreur quand elle est manifeste " pour conjurer
un péril non seulement religieux mais aussi moral et
social (60). Notre époque,
écrit le docteur Rey n'est- elle pas celle du déclin
et de " toutes les défaillances (61)"
? L'affirmation est récurrente, à cette époque,
chez les catholiques.
Dans une première partie, le docteur Rey évoquait
et citait les philosophes qui ont cru en Dieu et réservait
ses flèches à Ernest Renan, qualifié de
" philosophe du peut-être et des à-peu-près
(62)" . Puis, dans une seconde
partie, il essayait de montrer que la Bible n'était pas
incompatible avec les nouvelles découvertes de la science
et que celle-ci permettait même d'affirmer l'existence
de l'âme. Il citait Claude Bernard qui avait expliqué
que le corps matériel de l'homme se renouvelait complètement
en seulement huit années. " Le cerveau aussi et
pourtant votre mémoire a gardé son dépôt.
C'est donc qu'il y a [
] quelque chose d'immatériel,
de permanent, de toujours présent, d'indépendant
de la matière. Eh, bien ! ce quelque chose c'est l'Ame
(63)."
L'écrivain : les Historiettes Foréziennes
En 1896 et 1897, à la fin de sa vie, le docteur Rey publia,
sans nom d'auteur - mais chacun alors le reconnaissait et il
ne se dissimulait guère - ses Historiettes foréziennes
et vieux souvenirs. Extrait des Mémoires d'un Montbrisonnais.
L'ouvrage fut publié en deux volumes, édité
par le libraire montbrisonnais Emile Faure. Le docteur Rey révèle
dans cet ouvrage d'incontestables talents de conteur. La fraîcheur
de ses souvenirs, sa sensibilité et son humour, l'intérêt
qu'ils présentent pour l'histoire de Montbrison nous
ont fait particulièrement aimer ces Historiettes. Eugène
Rey sait, en effet, camper un personnage, évoquer une
scène, analyser une situation, captiver son lecteur.
Ce lecteur n'oubliera pas l'instituteur Grégoire Baune
et son duel avec un grognard de l'Empire ; Régis de Chantelauze,
" un bénédictin montbrisonnais ", perdu
dans la poussière de ses archives ; le père Labugne,
pâtissier de la rue Saint-Jean et grand collectionneur
; M. Fleurant, apothicaire de la rue des Arches, " pilant
consciencieusement sa rhubarbe et son quinquina " ou le
comte Gustave de Damas, devenu officier de l'armée du
Shah de Perse et parcourant la rue Tupinerie avec un cimeterre
" qui frottait le pavé " : extraordinaire galerie
de portraits de Montbrisonnais connus ou inconnus...
Le docteur Rey racontait aussi ses souvenirs de voyage, en Suisse
ou aux Pays-Bas, savait évoquer les flonflons de la Saint-Aubrin,
la naïveté de M. d'Allard collectionneur et même
quelques faits divers comme " l'enlèvement "
- qui n'en n'était pas un - de Casimir, le fils du directeur
de la ferme-école de la Corée.
Les Dianistes apprécieront particulièrement le
récit intitulé " Sel, poivre et compagnie
" qui nous raconte la longue concurrence qui oppose deux
épiciers montbrisonnais et la " défaite "
finale de M. Chapuis, capitaine en retraite. C'est lui qui possédait
alors la salle de la Diana (64)
:
" Pour abriter sa récolte, il avait acheté
à vil prix une maison située au chevet de l'église
Notre-Dame dont le rez-de-chaussée servait de dépôt
aux caisses à savon, chandelles, pruneaux, barils de
morue sèche et de harengs saurs détaillés
dans son magasin [...]. La partie supérieure, séparée
de cette succursale de l'épicerie par un solide plancher,
était occupée jusqu'au comble par le foin entassé.
Or ce comble n'était rien moins que le plafond de la
salle actuelle de la Diana, dégradé et noirci
par le temps. M. Chapuis qui montait régulièrement
deux fois par semaine dans ce qu'il appelait sa soupente pour
inspecter son stock de fourrage et parer aux dangers d'incendie,
n'avait jamais regardé avec attention le magnifique et
rare spécimen de l'art héraldique dont il se trouvait
possesseur. N'en comprenant pas la valeur, il ne se gênait
pas, quand il fallait retourner les bottes, pour planter vigoureusement
les pointes de sa fourche dans le blason de la belle Diane de
Chateaumorand ou celui d'un comte de Forez . (65)"
IV. Les dernières années
Les dernières années du docteur Rey furent à
la fois marquées par l'amertume d'une fin de carrière
un peu difficile et les douleurs provoquées par la mort
de ses deux fils, mais aussi par les joies de l'écriture
et la sérénité que sa foi donna à
la fin de sa vie.
L'amertume du vieux médecin
La carrière de médecin du docteur Rey fut très
longue, sans doute trop longue. Les dernières années
de sa carrière sont vécues sur le mode de l'amertume
et de la plainte.
En 1877, le docteur Rey qui avait 66 ans et était, depuis
41 ans, médecin de l'hôpital, réduisit ses
activités, ne garda que ses consultations à son
cabinet et renonça à courir " la campagne
à toute heure du jour et de la nuit ". Il quitta
sa grande maison du quai des Eaux-minérales, " devenue
trop grande pour lui " et s'installa au n° 2 de la
rue Notre-Dame, à l'ombre de la collégiale.
Le docteur Rey restait cependant médecin de l'hôtel-Dieu
; mais les moyens matériels manquaient, les bâtiments
étaient vétustes et humides et, en 1879, le docteur
Rey et ses confrères demandent encore - 32 ans après
l'anesthésie de 1847 ! - la création à
l'hôpital d'une véritable salle d'opération
et l'achat d'un matériel chirurgical plus moderne : "
Actuellement - écrivent-ils - on est obligé d'opérer
dans les salles, sous les yeux des autres malades (66).
" Si une salle d'opération était aménagée,
on pourrait avoir " une armoire où seraient classés
les instruments de chirurgie actuellement ensevelis dans une
caisse où il faut tout bouleverser pour trouver ce que
l'on cherche (67)" . Quant
aux médecins, ils sont obligés d'apporter à
l'hôpital les " appareils à fracture "
dont ils ont besoin. Trois ans plus tard, les médecins
de l'hôtel-Dieu réclament encore - en vain - "
l'installation d'une petite chambre ou tout au moins d'un compartiment
séparé qui serait exclusivement réservé
à la pratique d'opérations chirurgicales (68)
" .
Le docteur Rey est gagné par l'amertume. Il se prononce
en 1880 contre une réorganisation de la pharmacie de
l'hôpital : " ce ne serait vraiment pas la peine
de réformer le service de pharmacie pour voir nos pilules
escamotées dans un coin de la bouche pour être,
lorsque la religieuse qui les a fait prendre s'éloigne,
crachées dans le vase de nuit (69)"
. Il apparaît comme très désabusé
et maugrée contre la nouvelle mentalité des malades
qui " veulent déterminer le mode de traitement "
et qui " dans la salle des femmes où le service
est partagé, veulent se réserver le choix de leur
médecin (70)" . Le
docteur Rey partageait en effet le service avec le docteur Rigodon
(71), alors âgé de
32 ans et qui devait attirer une partie de la clientèle.
Le vieux docteur Rey qui avait été à l'avant-garde,
était dépassé par les nouvelles connaissances
de ses jeunes confrères et s'en rendait compte. Il continua
cependant à travailler à l'hôpital jusqu'en
1894 et ne prit sa retraite qu'à 83 ans. En 1887 - il
a 76 ans - il avait encore opéré et guéri
une femme atteinte d'une hernie étranglée mais
le docteur Dulac note " que sa main tremblait un peu
(72) " . A la retraite, il allait encore souvent
à l'hôpital rendre visite aux religieuses qui assuraient
le service infirmier. Il n'y avait pas loin de sa maison de
la rue Notre-Dame jusqu'à l'hôtel-Dieu où
ses pas le portaient presque naturellement.
A la fin de sa vie, dans un texte doux-amer des Historiettes
Foréziennes, le docteur Rey fait ainsi ses adieux à
ses vieux livres de médecine (73)
que l'évolution de la science avait rendu caducs :
" Le coup d'état de Pasteur sur les prétendues
générations spontanées, la révélation
d'un monde d'infiniment petits êtres vivants, les mystérieux
effets de certains sérums, tous ces faits étranges
sont venus presque subitement battre en brèche la science
médicale jusqu'alors renfermée dans ces gros livres
qui, après m'avoir coûté bien cher se trouvent
maintenant et tout à coup ne m'avoir presque rien appris
[
]. Et voilà qu'un microbe, un bacille, une bactérie
(le nom ne change rien aux résultats) se dresse un beau
jour insolemment sur la pellicule d'un bouillon refroidi et
leur dit à tous [aux vieux livres de médecine]
: vous n'êtes que des ânes et n'y entendez rien,
vos théories sur le froid, le chaud, le sec, l'humide,
le pléthore et l'anémie et autres turlutaines
[...] ne sont que billevesées (74).
"
Deuils
Des malheurs privés l'atteignirent brutalement : son
fils Antoine qui était avoué près du tribunal
civil et avait repris la charge de son grand-père Louis
Favrot, mourut prématurément en 1881, âgé
de 38 ans ; le fils aîné, Lucien, mourut, lui,
en 1885, la femme du docteur Rey, Catherine Favrot, en 1892.
Le docteur Rey semble avoir supporté ces malheurs avec
beaucoup de stoïcisme : sa foi, qu'il manifeste désormais
plus ouvertement dans ses écrits, l'aide à supporter
ces épreuves.
Le mariage et le départ de Valentine
Il ne restait au docteur Rey qu'une fille, Valentine : en 1888,
elle épousa le capitaine Charles Antoine Chavassieux,
un Montbrisonnais, fils de Jacques Chavassieux (1815-1879),
qui avait été professeur à l'école
normale puis inspecteur primaire, et de Jeanne Attendu. C'était
un officier plein d'avenir qui, sorti du rang, avait fait la
guerre de 1870-1871 et s'était illustré dans la
campagne de Kabylie en 1872-1873. Mais, en se mariant, Valentine
Rey quittait Montbrison pour rejoindre son mari en garnison
à Saint-Mihiel ; elle le suivit ensuite en Indochine
où il fut affecté de 1888 à 1894. Le frère
aîné de Charles, Léon Chavassieux, faisait
une grande carrière coloniale : administrateur des affaires
indigènes, chef de cabinet du gouverneur général
de l'Indochine, secrétaire général de la
Cochinchine. Il fit venir ses deux frères en Indochine,
l'un comme officier - le gendre du docteur Rey -, l'autre -
Louis Chavassieux - comme ingénieur des Travaux publics
à Hanoï.
Charles Chavassieux participa aux opérations de pacification
et d'administration de l'Annam (1889) puis du Cambodge (1894).
De multiples décorations récompensèrent
le capitaine Chavassieux : chevalier de la Légion d'honneur
(1889), officier du Dragon d'Annam (1889), officier de l'Ordre
royal du Cambodge (1894).
Le docteur Rey éprouva vivement le chagrin de la séparation
d'avec sa fille. Il était désormais seul à
Montbrison.
Fin d'une vie
Le docteur Rey passa les dernières années de sa
vie dans sa maison de la rue Notre-Dame. Il continuait à
écrire et rédigeait ses Mémoires.
Il s'occupait de son petit jardin de ville : il était,
en effet, écrit Claudius Roux, "botaniste et ami
des fleurs, qu'il cultivait lui-même (75)":
presque une image d'Epinal.
Valentine Rey pensait à son père, resté
seul à Montbrison. En 1895, le capitaine Chavassieux
revint en métropole et obtint sa nomination à
Montbrison, comme capitaine trésorier au 16e Régiment
de ligne, mais, la même année, dut s'éloigner
à nouveau pour monter en grade et devenir chef de bataillon
au 59e régiment d'infanterie. Le retour de ses enfants
en France fut une grande consolation pour le vieux médecin.
En 1897, son gendre et sa fille prirent leur retraite à
Montbrison. Le docteur Rey, très âgé, s'installa
chez eux où il passa les derniers mois de sa vie. Il
se préparait à la mort : " Notre confrère
- dit le docteur Dulac - vit venir la mort sans crainte "
; il " puisait sa résignation dans l'espoir d'aller
retrouver ceux qu'il avait tant aimés, sa femme et ses
enfants (76)" . Lorsqu'il
sentit venir la fin, il fit venir tous ses confrères
médecins pour leur faire ses adieux : " Quand nous
fûmes près de son lit - écrit le docteur
Dulac - il nous remercia des égards que nous avions eus
pour lui et nous demanda pardon si, par hasard, il avait pu
nous blesser bien involontairement (77)
".
Le docteur Rey restait jusqu'au bout fidèle à
ses convictions religieuses affirmées jusque dans le
rituel de sa propre mort : dévotion et exemplarité
de la " bonne mort ", telle que l'a codifiée
le XVIIe siècle de la Contre-Réforme, véritable
" cérémonie des adieux ", avec l'invocation
du Notre Père - " Pardonnez-nous nos offenses "
reprise ici face à ceux qui auraient pu être offensés.
La mort est ainsi l'aboutissement de toute une vie. Elle doit
être édifiante pour les autres. On s'est préparé
à l'affronter (78). On mesure,
évidemment, les changements de mentalités qui
se sont produits depuis un siècle....
La traversée du siècle
La vie du docteur Rey a traversé le XIXe siècle.
Elle est intimement liée à l'histoire de la Cité
où presque toute son existence - sauf les années
d'études - se déroule. Elle nous a permis d'esquisser
le portrait d'un notable.
Médecin, le docteur Rey soigne en ville et à l'hôpital
et court aussi la campagne : il gagne l'estime et l'affection
de ses compatriotes par sa compétence par son dévouement.
Conseiller municipal, adjoint au maire, maire de la ville, il
a été constamment réélu par ses
concitoyens pendant vingt-sept ans : sans, il est vrai, avoir
le temps de donner complètement sa mesure comme premier
magistrat de la cité - il est maire pendant un an seulement
- et sans manifester les fortes convictions qui assurent la
fidélité d'une famille politique. Il représente
aussi le type même du médecin érudit, passionné
par l'histoire mais aussi par les sciences. Il est enfin un
notable conservateur et catholique, stoïque dans les épreuves
qui ne lui ont pas manqué. L'âge lui a donné
le sentiment que l'époque de sa vieillesse est aussi
celle du déclin de son pays : en cela aussi, il est bien
de son temps et peut-être de tous les temps : " l'âge
d'or " est toujours derrière nous
Mais, au-delà
de quelques paroles d'amertume, le docteur Rey a toujours été
soucieux du bien public, prêt à exercer son devoir
social et même, ce qui est plus rare, à reconnaître
ses fautes.
Cette existence qui, se déroulant presque tout entière
dans le cadre d'une petite ville de province, pourrait paraître
étriquée, se sauve de l'ordinaire des choses et
des jours par le goût de la science et la passion de l'écriture.
C'est le goût de la science qui donne au jeune médecin
l'audace thérapeutique de tenter l'une des premières
anesthésies pratiquées en France ; c'est la passion
de l'écriture qui pousse le vieil homme à laisser
une trace parmi les hommes par son livre sur Notre-Dame et ses
Historiettes Foréziennes.
Montbrison avait oublié le docteur Rey. Il aimait sa
ville. Il aimait ses malades qu'il a soignés et souvent
guéris. Nous sommes heureux d'avoir rappelé la
longue vie et l'uvre de ce vieux médecin de province.
Son nom mériterait sans doute d'être donné
à l'une des rues de la cité.
Village
de Forez, bulletin d'histoire locale
du Montbrisonnais
Supplément
au n° 95-96 d'octobre 2003
Notes
(1) Antoinette Valentine
Rey, épouse Chavassieux (1852-1949) a habité jusqu'à
sa mort en 1949 dans sa maison de la rue de Lyon (actuelle rue
de la République) où son père avait vécu
auprès d'elle ses dernières années.
(2) Eugène, son troisième prénom à
l'état civil, fut son prénom usuel. Nous le désignerons
donc par celui-ci.
(3) Cf. le récit du docteur Rey lui-même dans Historiettes
foréziennes et vieux souvenirs, Montbrison, Emile
Paul, 2 vol., 1896-1897, tome I, p. 69.
(4) Archives municipales de Montbrison, acte de mariage de Joseph
Rey et de Marie Vidal, le 20 pluviose an VIII et acte de naissance
de leur première fille Antoinette Rey, le 16 floréal
an XI.
(5) Archives municipales de Montbrison, registres paroissiaux
de Saint-André, 19 janvier 1752.
(6) Les chirurgiens de l'Ancien Régime étaient,
en fait, chirurgiens-barbiers. Ils devinrent, après 1789,
officiers de santé (titre qui était inférieur
à celui de médecin).
(7) Eugène Rey, op. cit., tome I, p. 67.
(8) Grégoire Baune était bossu ; fier parce qu'il
avait peur d'être humilié, il pratiquait l'escrime,
ce qui était une façon d'annoncer qu'il se ferait
éventuellement respecter : il blessa grièvement
en duel un demi-solde, ancien officier de la Garde impériale,
qui s'était moqué de sa petite taille et l'avait
appelé " mon petit bonhomme ". Le blessé
survécut ce qui évita à Grégoire
Baune d'être arrêté mais il dut alors quitter
Montbrison et devint secrétaire de mairie à Montaud.
Grégoire Baune fut le père d'Eugène Baune
(1799-1880) qui devint l'un des chefs du parti républicain,
rédacteur en chef de La Réforme et député
de la Loire en 1848-1851. Cf. notre étude : Claude Latta,
Eugène Baune (1799-1880), un républicain dans
les combats du XIXe siècle, Montbrison, préface
d'Alain Corbin, Montbrison, 1995.
(9) Le docteur E. Rey, Monographie historique et descriptive
de Notre-Dame de Montbrison, Montbrison, Lafond, 1885. Cf.
Introduction, p. XII.
(10) Claude Latta, " La famille Richard de Laprade : les
ancêtres du poète ", Village de Forez,
n° 13, janvier 1983, p. 3-7.
(11) Pierre Guiral, " Le choléra à Marseille
", dans Louis Chevalier [dir.], Le choléra, la
première épidémie du XIXe siècle,
Paris, Bibliothèque de la révolution du XIXe
siècle, tome XX, 1958.
(12) Hubert Bonnet, La faculté de médecine
de Montpellier, Montpellier, Sauvamps médical, 1992.
(13) F. Goutorbe, art. cit., p. 269.
(14) Eugène Rey, Historiettes foréziennes,
op. cit., tome II, p. 29-30.
(15) Ibid., p. 30-31.
(16) Journal de Montbrison, mars 1898, discours du docteur Dulac
prononcé lors des funérailles du docteur Rey.
(17) Catherine Favrot, née à Montbrison le 5 novembre
1816, fille de Louis Favrot, avoué, et d'Ursule Coulaud.
(18) Nous avons indiqué en italiques les prénoms
usuels des enfants du docteur Rey.
(19) Eugène Rey, Historiettes foréziennes, op.
cit., tome I, p. 93.
(20) Francis Goutorbe, art. cit., p. 269-270.
(21) Texte publié par Roger Garnier dans le Bulletin
des Amis du Musée Déchelette, 1990.
(22) Journal de Montbrison, mars 1898, discours du docteur Dulac,
doc. cit.
(23) Docteur Eugène Rey, Résumé de l'influence
que les sciences chimiques et physiques ont exercé sur
la nature intime des maladies, 1842, 43 p. Bibliothèque
de la Diana, brochures. Exemplaire donné par l'auteur.
(24) Docteur Eugène Rey, Résumé de l'influence
,
op. cit., p. 20.
(25) Docteur Eugène Rey, Résumé de l'influence
,
op. cit., p. 17.
(26) Docteur Eugène Rey, Résumé de l'influence
,
op. cit., p. 43.
(27)Cf. Joseph Barou, " La ferme-école de la Corée
", Bulletin de la Diana, 1983, tome XLVIII, n°
3, p. 83-95.
(28) Il en fit partie au moins jusqu'en 1868 (communication
de Michaël Lathière).
(29) Docteur E. Rey, " L'hygiène du cultivateur
", La Feuille du cultivateur, n° 1 et sq, microfilm,
La Diana.
(30) Ibid., 1ère série, p. 11.
(31) Ibid., p. 34.
(32) Ibid., p. 35.
(33) Ibid., p. 37.
(34) Ibid., p. 39.
(35) Ibid., p. 39.
(36) Ibid., 2e série, p. 6-7.
(37) Cf. Henri Gerest, " L'insalubrité en Forez
1810-1850 ", Bulletin de la Diana, t. XLIX, n°
4, 1985, p. 137-154.
(38) Journal de Montbrison, mars 1898, discours de Claude
Chialvo, maire de Montbrison, lors des funérailles du
Dr Rey.
(39) Archives municipales de Montbrison, P.V. des séances
du conseil municipal. Les citations suivantes sont extraites
des mêmes P.V.
(40) La loi de 1855 prévoyait la nomination des maires
par le pouvoir central, représenté par le préfet.
Jusqu'en 1865, le maire n'était même pas forcément
choisi parmi le conseil municipal. Une circulaire de 1865 rendit
cependant obligatoire le choix du maire parmi les conseillers
municipaux. Cf. Jocelyne George, Histoire des maires,
Paris, de Bartillat, 1989, p. 155.
(41) Ville de Montbrison, Procès-verbaux des délibérations
du conseil municipal du 22 juillet 1870 au 23 février
1872, Montbrison, Huguet, 1872.
(42) Ibid., p. 10-11.
(43) Alphonse Jean-Baptiste Chavassieu était le fils
de Laurent Chavassieu, maire de Montbrison en 1848. Ces Chavassieu
n'ont pas de rapport de parenté avec le gendre du docteur
Rey.
(44) Michel Bernard était le frère aîné
de Martin Bernard, républicain député en
1848 et de l'historien forézien Auguste Bernard.
(45) Le docteur E. Rey, La collégiale
, op.
cit., p. 57.
(46) Ibid., p. 57.
(47) Le docteur Rey, La nouvelle chaire de Notre-Dame d'Espérance
de Montbrison, Montbrison, 1891, br., 9 p.
(48) Le docteur Rey, A propos du tremblement de terre du
26 août 1892, br., 4 p. et Journal de Montbrison.
(49) Ibid.
(5à) Abbé F. Renon, Chronique de Notre-Dame
d'Espérance de Montbrison, Roanne, Imprimerie A.
Farine, 1847.
(51) Le docteur E. Rey, Monographie
, op. cit.,
introduction, p. XV.
(52) Ibid. p. 49. Le docteur Rey reprend ici le texte de l'inscription
placée par ses paroissiens sur le tombeau de l'abbé
Populus au cimetière de Montbrison.
(53) Ibid., p. 93.
(54) Pendant la guerre de Cent ans, Montbrison fut occupé
à plusieurs reprises par les " bandes anglaises
".
(55) Allusion au siège et à la prise de Montbrison,
en 1562, par le baron des Adrets.
(56) Notre-Dame fut, pendant la Terreur, en 1794, transformée
en temple de la Raison.
(57) Le docteur E. Rey, Monographie
, op. cit.,
p. 94.
(58) Cf. Noël Gardon, " Le docteur Rey, militant catholique
", Bulletin de la Diana, tome LV, n° 4, 1996, p ; 377-381.
Cet article est venu en complément, sur un point particulier,
de l'étude que Francis Goutorbe et moi-même avions
présentée à la Diana.
(59) Le docteur E. Rey, L'idée de Dieu et la science
contemporaine, Montbrison, Emile Faure, 1893.
(60) Le docteur E. Rey, L'idée de Dieu
,
op. cit., p. 41-42.
(61) Le docteur E. Rey, L'idée de Dieu
,
op. cit., p. 41-42.
(62) Le docteur E. Rey, L'idée de Dieu
,
op. cit., p. 167.
(63) Cité par Noël Gardon, art. cit., p. 379.
(64) Jean-Claude Chapuis fut propriétaire de la Diana
de 1821 jusqu'à sa mort en 1851.
(65) Eugène Rey, Historiettes
, op. cit.,
tome II, p. 25-26.
(66) Rapport des docteurs Rey, Hippolyte Dulac, Paul Dulac,
et Rigodon, 24 novembre 1879. Cité par F. Goutorbe, art.
cit., p. 274.
(67) Ibid.
(68) Cité par F. Goutorbe, art. cit., p. 274.
(69) Cité par F. Goutorbe, art. cit., p. 277.
(70) Cité par F. Goutorbe, art. cit., p. 277.
(71) Le docteur Rigodon fut plus tard, lui aussi, maire de Montbrison.
En 1914, âgé de 66 ans, il s'engagea comme médecin
militaire et fit toute la guerre.
(72) Journal de Montbrison, mars 1898, discours du docteur
Dulac prononcé lors des funérailles du docteur
Rey.
(73) Eugène Rey, Historiettes
, op. cit.,
tome II, p. 73-81
(74) Ibid., p. 76 et sq.
(75) Claudius Roux, Histoire des Sciences naturelles et agricoles
en Forez, Lyon, A. Rey, 1911, p. 252.
(76) Journal de Montbrison, mars 1898, discours du docteur
Dulac, op. cit.
(77) Ibid.
(78) Cf. les remarques très pertinentes de Michel Vovelle,
L'heure du grand passage, chronique de la mort, Paris,
Gallimard, collection Découvertes, 1993, p. 66-68.
Village
de Forez, bulletin d'histoire locale
du Montbrisonnais