Un prince de l'Eglise originaire de Bourg-Argental

le cardinal Donnet


(1795-1882)


Ferdinand Donnet, issu d'une lignée de praticiens renommés dans tout le massif du Pilat

Ferdinand-Auguste-François Donnet, né le 25 brumaire de l'an IV (16 novembre 1795) à Bourg-Argental, était issu d'une famille bourgeoise originaire de Maclas. Son arrière-grand-père, Jean Donnet était chirurgien et avait acquis une grande réputation d'habileté dans tout le Pilat. Il s'était marié deux fois et avait eu dix-sept enfants de sa seconde épouse Jeanne Lestouard de Montfort.

Antoine Donnet, fils de Jean et grand-père de Ferdinand fut lui aussi chirurgien à Maclas et eut, après son mariage à Saint-Pierre-de-Boeuf avec Marie Ducurtil, seize enfants. François Donnet, fils d'Antoine et père du cardinal, exerça pendant de longues années les fonctions de major dans les hôpitaux de Lyon et Paris avant de devenir médecin et chirurgien à Bourg-Argental, ce qui explique probablement son mariage tardif. En 1786, à l'âge de cinquante-cinq ans, il épouse à Valence Magdeleine Reynaud. L'épouse n'a que vingt-quatre ans mais, contrairement à ses ancêtres, François Donnet n'a que deux fils dont un qui meurt en bas âge. Les Donnet forment ainsi une lignée de médecins et de chirurgiens renommés pour leurs talents et qui n'hésitent pas à mettre leur art au service des pauvres.

Du gamin vif et intelligent au jeune et brillant professeur

Il ne fréquente pas, semble-t-il, l'école - c'est la période révolutionnaire - mais sa première éducation est faite par sa mère, femme douée d'une haute intelligence, puis par l'abbé Aude qui lui enseigne le rudiment.

Il entre ensuite, à onze ans au collège Sainte-Barbe d'Annonay qui avait été fondé par un ami de sa famille, Mgr d'Aviau, archevêque de Vienne. C'est là qu'il fait sa première communion le 2 août 1809.

Le jeune Ferdinand, gamin vif et intelligent, se fait parfois remarquer par son espièglerie. Un jour, ayant constaté l'absence du portier dans la loge de l'institution Sainte-Barbe, il sort du collège et descend sur la place. C'est samedi, le jour du marché. Remarquant un âne paisiblement attaché, le collégien le détache, lui fait gravir la montée un peu raide et de nombreux escaliers. Comment s'y prit-il ? Lui seul le sait. Après avoir traversé la cour de récréation, il dirige la malheureuse bête vers un petit grenier où les pensionnaires rangent leurs malles puis il attache l'âne et redescend dans la cour rejoindre le rang car la cloche sonne la reprise des études. C'est alors qu'apparaît le supérieur accompagné d'un paysan qui prétend qu'un âne a été enlevé par un élève. Personne ne bronche. Le supérieur devient un peu sceptique quand soudain l'âne ayant entendu la voix de son maître, se met à braire. Menace de retenue si personne ne se dénonce. Le jeune Donnet s'avance alors et accuse son étourderie. Le supérieur connaissant le bon cœur de son élève mais aussi sa gaieté lui donne seulement comme pénitence de redescendre l'animal.

Il poursuit ensuite des études au séminaire de Saint-Irénée, à Lyon. Certains en font aussi un ancien élève de l'Argentière mais rien n'atteste son passage dans le séminaire des monts du Lyonnais (1). Il se révèle immédiatement comme un esprit très brillant. En 1813, il est envoyé au collège de Belley (Ain) pour enseigner les langues anciennes et les belles-lettres alors qu'il n'a que dix-huit ans.

Prédicateur victime d'un curieux malaise

Il obtient de Rome une dispense d'âge et reçoit l'ordination sacerdotale en 1819, à vingt-quatre ans. Il fait preuve, dès cette époque, d'un grand talent d'orateur.

Il devient ensuite vicaire à la Guillotière, un des faubourgs les plus populeux de Lyon, puis élève de l'école des "Hautes-études" fondée par le cardinal Fesch dans l'ancien couvent des Chartreux. Nommé curé d'Irigny en 1820 en remplacement de M. Rivière, il ramène le calme dans cette ville agitée de passions politiques.

Appelé par l'archevêque de Tours pour prêcher des missions, il parcourt pendant cinq ans la Touraine. Il commence à Blois l'œuvre des Pauvres orphelins et fonde des bibliothèques dites des Bons livres à Blois, Vendôme, Romorantin. Il refuse la charge de vicaire général de Tours et continue à prêcher à Grenoble, Nevers, Limoges, Dijon, Bordeaux, Orléans, Blois, Clermont, Angers...

Une curieuse anecdote se rattache à cette époque de sa vie. L'histoire ou la légende rapporte qu'en 1826 il faillit être enterré vivant. Alors qu'il prêchait dans une église de Poitiers, Ferdinand Donnet s'affaissa subitement. Un médecin l'ayant examiné déclara tout net qu'il était mort et délivra le permis d'inhumer. Mais le jeune prêtre qu'on avait porté sur son lit n'était pas trépassé, il était seulement en état de léthargie. Il ne pouvait ni parler ni faire le moindre mouvement. Il ne voyait pas mais entendait tout. Horrible supplice, allait-il être enterré vivant ?

Soudain, parmi les voix de ceux qui viennent se recueillir près du lit mortuaire, il en distingue une dont les accents lui sont connus. C'est la voix d'un ami d'enfance. Elle produit un effet miraculeux. Le "défunt" se dresse sur son séant, se lève et retrouve tous ses esprits. Le lendemain le prédicateur "ressuscité" pouvait remonter en chaire.
D'après une autre tradition, c'est seulement pendant l'office funèbre, alors que la maîtrise entonnait le Libera que le malheureux recouvre la force nécessaire "pour protester avec les pieds et les mains" contre sa mise prématurée au cercueil.

Quarante ans plus tard, au Sénat, au cours d'un débat sur la question des inhumations prématurées, le cardinal Donnet ne manqua pas de raconter avec véhémence comment il avait failli être enterré vivant. Cependant certains pensent que cette aventure ne s'est passée que dans l'imagination du prélat :

Ce Forézien était un peu gascon. La première fois qu'il en fit le récit, il savait très bien que ce n'était qu'une gasconnade ; la seconde fois il fut persuadé que c'était arrivé
(2).

Le bouillant curé de Villefranche

En 1827, Mgr de Pins le rappelle et le nomme curé de Villefranche. Dans ses nouvelles fonctions il fait preuve d'une énergie débordante.

En 1828, une trombe d'eau envahit la ville, en pleine nuit ; le curé Donnet monte à cheval, affronte le désastre, sauve un vieillard et un enfant ; puis, il organise les secours ; va, au péril de sa vie, lever les pelles d'un moulin, et sauve également une partie de la ville (3)
.
Après l'eau, le feu. Quelques jours après un violent incendie se déclare : M. Donnet se met à la tête de quelques habitants, et se rend maître du feu. Il prend l'initiative de créer une compagnie de sapeurs-pompiers pour la ville.

A Villefranche, il fonde un chauffoir public pour les pauvres et un asile pour les orphelins. Il s'intéresse aux prisons et œuvre pour l'amélioration du régime des prisonniers.
Il effectue en 1829 un voyage à Rome qui dure trois mois. Pendant la révolution de Juillet, il apaise les troubles et protège son église : quelques enthousiastes vinrent attaquer l'église pour en arracher les fleurs de lys. M. Donnet se plaça devant la porte d'entrée... fit entendre des paroles énergiques et l'émeute se dissipa
(4).

Du jeune évêque plein d'allant au prince de l'Eglise couvert d'honneurs

Il est nommé évêque coadjuteur de Nancy avec droit de succession, et le titre d'évêque de Rosa in partibus. Son sacre a lieu à Paris le 31 mai 1835. Tout d'abord, il reçoit à Nancy un accueil réservé mais il se montre très actif pendant son bref séjour en Lorraine. Il rouvre dès 1835 le petit séminaire de Pont-à-Mousson, établit les écoles des Frères et installe à Bosserville une colonie d'enfants de Saint-Bruno.

En 1836, il est promu à l'archevêché de Bordeaux, et prend, le 2 juillet 1837, possession de son nouveau siège. En 1840, il devient prélat de la maison de Sa Sainteté. Par un bref en date du 7 février 1840, Grégoire XVI le fait commandeur de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, noble et comte du Saint-Empire.

En 1842, avec sept autres évêques, il va en Algérie à l'occasion de la translation des reliques de saint Augustin de Pavie à Hippone. Il assure la présidence du concile de Bordeaux (1850). En 1852, par la bulle de Pie IX en date du 15 mars, il reçoit le chapeau de cardinal. La barrette lui est remise le 6 avril par le président de la République. Il préside les conciles de la Rochelle (1853), Périgueux (1856), Agen (1859).

En 1860, il inaugure la statue colossale de Notre-Dame-de-France érigée sur le rocher Corneille au Puy puis, en 1864, consacre la basilique de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille. Le 11 novembre 1866 il préside la translation des reliques de saint Martin de Tours. En 1867 un mouvement d'opinion s'étant produit parmi les catholiques en faveur de la canonisation de Christophe Colomb, c'est encore lui qui présente au pape le premier postulatum pour l'introduction de la cause. C'est alors un prince de l'Eglise couvert d'honneurs : commandeur de la Légion d'Honneur, Grand-Croix de ordre royal de  Charles III d'Espagne, primat d'Aquitaine ...

Il meurt à Bordeaux le 23 décembre 1882 à l'âge de 87 ans. Il est bien difficile pour nous d'apprécier son rôle pastoral mais Ferdinand Donnet fut très actif : homme de la parole (5), homme d'action et l'un des prélats les plus pittoresques du 19e siècle.

Grand bâtisseur d'églises

Dans le domaine de l'archéologie sacrée son rôle est très positif : il sauve de nombreuses églises de son diocèse qui sans lui auraient été frappées par la fièvre de démolition et un certain vandalisme qui caractérise le gouvernement du règne de Louis-Philippe. Il intervient pour la restauration de l'église de Saint-Emilien et le sauvetage des ruines de la Sauve, pour la restauration de la vieille et pittoresque église Notre-Dame de Soulac qui était ensablée. C'est aussi un constructeur. Sous son épiscopat sont bâtis 160 nouvelles églises, 52 clochers et 300 ou 400 presbytères et écoles. On lui doit une monographie sur la cathédrale de Bordeaux.

Il ne manque jamais d'intervenir dans toutes les manifestations de la vie sociale de sa région en prononçant de nombreux discours devant les comices agricoles, la faculté des sciences, les sociétés de bienfaisance, les sociétés littéraires... En 1844 il devient membre du comité historique des arts et monuments.

L'homme politique

Après avoir reçu la pourpre cardinalice, il devient de droit sénateur. Par souci d'ordre il est tout à fait favorable à Louis-Napoléon Bonaparte, alors président de la République. Quand il reçoit la barrette de cardinal, son discours, prononcé aux Tuileries ne laisse aucun doute :

Nous ferons servir notre action morale au rétablissement des idées de justice, d'autorité, si fatalement obscurcies dans l'anarchie des révolutions...

La Providence, Prince, qui vous a aidé si puissamment à encourager tant d'entreprises utiles, à opérer tant de réformes, à secourir tant de misères, à replacer enfin la pyramide sur sa base, ne voudra pas laisser son oeuvre inachevée, et donnera à tous les pouvoirs de l'Etat la sagesse et la force nécessaires pour consolider un ordre de choses qui assurera le bonheur de notre patrie et le repos de l'Europe
(6).

Il est tout aussi favorable à l'alliance du "sabre et du goupillon". Son discours au Sénat du 5 juillet 1852 est clair :

Il y a une espèce de solidarité entre l'armée et l'Eglise ... Il me semble que nous ne vous avons pas assez dit notre estime profonde, toutes nos sympathies pour les illustrations guerrières de notre époque ? Ne sommes-nous pas frères en dévouement ? L'amour de la discipline, l'esprit de subordination nous sont communs... (7)

Tout naturellement, après le coup d'Etat du 2 décembre, le cardinal Donnet s'empresse de prêter le concours de son influence et de son autorité au Prince qui venait de sauver la France de l'anarchie (8). Il devient dès lors, comme le cardinal de Bonald à Lyon, un des grands dignitaires de l'Empire.

En tant que parlementaire, il s'intéresse aux questions sociales. En 1860, à propos des abandons d'enfants, il intervient en faveur du tour qu'il est question de rétablir dans les hospices-dépôts : cette ingénieuse invention de la Charité qui a des bras pour recevoir, mais qui n'a ni des yeux pour voir, ni une bouche pour parler. Il souhaite que les filles-mères soient aidées et que les enfants abandonnés soient confiés à des établissements agricoles dirigés par des religieux ou des prêtres.

D'une façon générale il se méfie de l'instruction. Mgr Donnet pense que, pour les campagnes, le séjour prolongé, outre mesure, des enfants dans les écoles présente un danger car, dit-il, c'est le lieu où ils puisent le mépris des travaux des champs et l'irrésistible désir d'aller habiter les villes.

En septembre 1860, il rend un vibrant hommage à Abd-el-Kader, qu'il avait rencontré à Bordeaux quelques années avant, pour la protection qu'il avait accordée aux chrétiens lors des massacres de Damas.

Le Forézien

De son siège épiscopal de Bordeaux, Mgr Donnet continue à s'intéresser au Forez. Consulté en 1858 sur l'opportunité de créer un nouveau diocèse en séparant de celui de Lyon le département de la Loire, il se prononce nettement contre : on ne sépare pas ce que Dieu a uni depuis longtemps !

En revanche, assez curieusement, il propose de rétablir l'archevêché de Vienne en rappelant que cette ville possède une ancienne église métropolitaine et primatiale, sœur jumelle de l'Eglise de Lyon. Son prédécesseur sur le siège de Bordeaux, Mgr d'Aviau en avait été le dernier archevêque. Il rappelle qu'avant 1789 vingt-cinq paroisses de son cher pays natal, le Forez viennois, dépendaient du siège de Vienne.

Consulté sur la même question, en 1873, il a totalement changé d'avis. Le Forez lui est toujours aussi cher mais il est devenu vieux et l'Empire s'est effondré :

Naguère, j'étais d'un avis opposé à celui que j'exprime aujourd'hui mais les circonstances actuelles et les incertitudes de l'avenir m'ont montré cette question sous un jour nouveau. J'ai pris des années depuis cette époque. J'appelle donc de tous mes vœux la création d'un diocèse qui serait compris dans les limites du département de la Loire, et dont le siège me paraîtrait plus convenablement placé à Montbrison qu'à Saint-Etienne. Cette première ville, outre son antiquité et le calme qu'elle offrirait à un évêque et aux dignitaires ecclésiastiques, aurait l'avantage de posséder une cathédrale...

Le cardinal Donnet n'a pas été écouté. Il faut attendre le 31 mai 1971 pour que soit créé le diocèse de Saint-Etienne avec seulement une partie du Forez.

Joseph Barou                  André Pauze

[Village de Forez, n° 45, janvier 1991]

(1) Suivant M. Tisseur, il aurait été élève de l'Argentière. A. Leistenschneider pense que c'est une erreur, cf. A. Leistenschneider, L'Argentière, Lyon, E. Vitte, 1905.

(2) Cf. l'article de G. Lenotre, de l'Académie française, "On l'avait trop vite mis en bière", Historia, n° 362.

(3) Tisseron, Histoire du Senat, 1860, article "Donnet".

(4) Ibid.

(5) Il a laissé onze volumes d'instructions pastorales, de lettres et de discours (1850-1879).


(6) Tisseron, Histoire du Senat, 1860, article "Donnet".

(7) Ibid.

(8) Cf. Tisseron, Histoire du Sénat.

Sources et bibliographie sommaire :

· Tisseron, Histoire du Sénat, 1860, article Donnet.
· Galerie biographique du Sénat, 1852, article Donnet.
· Joseph Jomand, La longue marche du diocèse de Saint-Etienne, 1978, Lyon.
· Bulletin historique du diocèse de Lyon, 1924.
· Bulletin du Vieux Saint-Etienne, n° 76.
· Abbé Batia, Recherches historiques sur le Forez viennois.
· Manuscrit de M. Pierre Courbon, de St-Genest-Malifaux.
· Revue hebdomadaire du diocèse de Lyon (1882).
· Le Mémorial du 28 décembre 1881.
· Le Mémorial de la Loire du 2 janvier 1883 (importante biographie).
· Docteur Francus, Voyage autour d'Annonay.
· André Pauze, "Le cardinal Donnet et son ascendance paternelle", Bulletin de l'Association des Amis de Bourg-Argental, n° 54, printemps 1984.

Maison familiale des Donnet à Bourg-Argental (Loire)
Cliché tiré de Jean Badol, Bourg-Argental, porte du Forez, 1968

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Armoiries du cardinal Donnet sur une clé de voûte de l'église Saint-Romain
à Cenon en Gironde dans la banlieue bordelaise :

d'azur à la bande d'or, adextrée d'une tour d'argent
et sénestrée d'une rose au naturel, le tout surmonté
d'un chapeau cardinalice avec les houppes latérales.


Ces armoiries figurent aussi sur un vitrail.
L'église fut rénovée en 1864 par le cardinal Donnet
puis à nouveau en 2004
par la mairie et une association du patrimoine.


(cliché et renseignements dus à M. Gilbert Perrez que nous remercions sincèrement).


Conception : David Barou

textes et documentation :
Joseph Barou
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   Mis à jour le10 août 2014