Le Poyet
(Chazelles-sur-Lavieu)
Chazelles-sur-Lavieu
La
terre et seigneurie du Poyet
Dessin : Edouard Crozier
Sur
le territoire de la commune de Chazelles-sur-Lavieu se trouvent
deux modestes "châteaux" qui, sous l'Ancien
Régime, étaient le siège de seigneuries
:
- La Pierre, au nord-ouest, dont dépendait le bourg de
Chazelles et toute la partie ouest de la paroisse.
- Le Poyet, au sud-est, qui avait juridiction, notamment, sur
les villages de Vioville et Châtelville.
Plusieurs actes tirés des minutes du notaire Barrieu
et déposés aux archives de la Diana nous permettent
de savoir, assez précisément, en quoi consistait,
à la veille de la Révolution la "terre et
seigneurie du Poyet" (1).
La Pierre contre le Poyet
Emile Salomon (2) écrit, qu'en 1312, Guichard du Poyet
fait hommage de sa maison forte du Poyet. Pour sa part, Dom
Renon indique que Jean du Poyet, chantre puis, vers 1366, treizième
doyen du chapitre de Notre-Dame de Montbrison serait né
au château du Poyet dont il aurait été le
seigneur (3). Cependant l'acte de vente daté de 1771
nous apprend que la "terre et seigneurie du Poyet en toute
justice" a été érigée par Guy
VII, comte de Forez, le 1er septembre 1341 en faveur de Guichard
du Saix (4).
Cette terre noble s'oppose aussitôt à celle, plus
ancienne (suivant l'acte déjà cité) de
la Pierre, dont le maître est aussi le "seigneur
du clocher" de la paroisse de Chazelles-sur-Lavieu. Le
différend porte essentiellement sur le hameau de Gruel,
aux confins de la paroisse de Gumières (5), dont les
deux seigneurs prétendent détenir la justice.
Un procès s'ensuit qui oppose Dalmais de Perier, seigneur
de la Pierre et Guillaume de Saix, oncle et tuteur d'Antoine,
fils de Guichard de Saix, seigneur du Poyet. Une sentence comtale
du 18 mars 1344 accorde au seigneur de la Pierre et Chazelles
la justice du hameau sans pour cela que toute contestation soit
définitivement éteinte. La constitution de la
seigneurie du Poyet est confirmée le 14 février
1371 par Jeanne de Bourbon (6), comtesse de Forez.
Le fief passe ensuite à la famille des Ayes puis aux
Trunel, banquiers montbrisonnais. Au XVIIe siècle, les
Gadagne en deviennent propriétaires. Le 1er septembre
1753, Claude de Laqueille de Pramenoux prête hommage pour
le Poyet (7).
En 1771, le Poyet appartient à Aymard Chapuis de la Goutte,
chevalier, lieutenant des maréchaux de France, qui réside
habituellement à Montbrison (8). Il détient ce
bien depuis 1759 (9)comme héritier de son oncle, autre
Aymard Chapuis de la Goutte, chanoine de Notre-Dame de Montbrison
qui l'avait lui-même acquis du comte de Pramenoux le 10
avril 1754.
La détermination des limites des seigneuries de la Pierre
et du Poyet est encore, en 1771, objet de chicanes. Jacques
d'Allard, écuyer, seigneur de la Pierre (10) dénie
à Aymard Chapuis de la Goutte le droit de justice sur
le village de Gruel, sur le territoire duquel le seigneur du
Poyet possède pourtant un domaine. M. d'Allard obtient
gain de cause et les deux seigneurs conviennent de règler
définitivement leur querelle en procédant à
la vérification des bornes entre les deux terres. Ils
choisissent des commissaires (11) et, se rendant en personne
sur les lieux, font le 6 septembre 1771 un relevé précis
des bornes indiquant la limite des deux justices (12).
Le partage de la paroisse de Chazelles-sur-Lavieu entre les
deux fiefs répond d'ailleurs à une certaine logique
géographique. La seigneurie du Poyet, contiguë de
la châtellenie de Lavieu, est formée du tiers environ
du territoire actuel de Chazelles-sur-Lavieu. C'est la partie
basse de la commune. Elle comprend essentiellement, en plus
du Poyet, deux gros hameaux : Vioville et Châtelville
entourés d'une assez vaste étendue de terres labourables.
La partie haute de Chazelles, plus boisée et accidentée,
revient à la seigneurie de la Pierre. Elle comprend le
bourg et les hameaux de Fortunières, Vanel, les Salles,
le Mas. Quatorze bornes sur une ligne presque droite et orientée
nord-sud matérialisent la limite entre les deux juridictions.
Longue d'environ deux kilomètres, elle part, au nord,
de la croix du hameau de Rochebise pour aller jusqu'au "grand
chemin tendant de Saint-Anthème à Margerie et
à Sury appelé le chemin ferré" près
du village du Gruel en suivant la lisière du bois du
Poyet qui sert, en quelque sorte, de frontière. Les bornes,
pierres dressées ou rochers naturels, espacées
irrégulièrement (de 50 à 250 m suivant
les difficultés du terrain) sont marquées d'un
nombre variable de trous (de deux à onze) et situées
le plus souvent sur des éminences parfois au milieu d'un
chirat .
Carte
J. Barou
Vente de la seigneurie du Poyet
Peu après cette vérification, le 27 septembre
1771, pour faire face à ses dettes, Aymard Chappuis de
la Goutte vend la seigneurie du Poyet à Jean Hector Montagne
de Poncins pour la somme de soixante quinze mille livres. Ce
dernier est un personnage original et entreprenant, à
la fois militaire de carrière et grand propriétaire
foncier de la plaine du Forez (14).
L'acte de vente, reçu Barrieu, précise la consistance
de la "terre et seigneurie du Poyet".
La "terre" tout d'abord comprend un "château
fort flanqué de tours, cour, jardin, pigeonnier et verger
y joignant" ainsi que "deux domaines, l'un appelé
du Poyet attenant audit château situé dans ladite
paroisse de Chazelles, et l'autre appelé de Gruel, situé
paroisse de Gumières" avec leurs jardins, prés,
terres, verchères, bois et pasquiers. S'ajoutent à
ces domaines les "prés de réserve" situés
près du château ainsi que des vignes sur le territoire
de la paroisse voisine de Lavieu.
Ces biens fonciers qui constituent la "terre du Poyet",
n'appartiennent pas tous à la seigneurie du Poyet. Ainsi
le domaine de Gruel - une cinquantaine d'hectares (15) - en
est exclu comme relevant de la justice de la Pierre ainsi que
les vignes qui dépendent de la châtellenie de Lavieu
et relèvent donc du roi. L'ensemble constitué
du château et des fonds nobles vaut 35 000 livres tandis
que les fonds non nobles - domaine de Gruel et vignes de Lavieu
- , sont estimés 15 000 livres.
La seigneurie est le territoire dépendant du seigneur
du Poyet. Il exerce sur ses habitants la "justice haute,
moyenne et basse" et il perçoit, sur les fonds qui
ne lui appartiennent pas directement, les droits seigneuriaux
habituels : cens, servis, laods et mi-laods. Le titre de seigneur
du Poyet et l'ensemble de ces droits sont vendus pour 13 000
livres.
Après la terre et la seigneurie, il reste à évaluer
ce que valent les meubles et provisions qui sont au château
et dans les deux domaines : 6 000 livres pour le mobilier du
manoir et la même somme pour les bestiaux, foins et pailles.
Visitons le château
Aujourd'hui simple bâtiment agricole, le château
est une vaste bâtisse assez bien meublée si l'on
en juge par l'inventaire du mobilier :
- Trois lits de maître complets à 500 livres,
1500 livres
- Deux lits de domestiques aussy complets à 200 livres,
400 livres
- Trois autres lits aussy garnis à 100 livres,
300 livres
Ainsi avec une valeur de 2 200 livres, c'est la literie qui
a le plus de prix. Elle représente plus du tiers de l'estimation
totale des meubles. Notons encore qu'un lit de maître
peut coûter cinq fois plus qu'une couche ordinaire.
A la cuisine se trouvent :
- Toutte la batterie de cuisine consistant en marmitte, chaudières,
casseroles, tournebroche, broches, chandeliers, 300 livres
- Toutte la vaisselle en étaing et fayance consistant
en plusieurs services complets et douze douzaines d'assiettes,
300 livres
- Une cuvette en étaing fin, éguière,
bouteilles, pots à eau et verres,120 livres
Les autres pièces recèlent :
- Un trumeau et six miroirs, 200 livres
- Une table de marbre et son pied, 100 livres
- Six fauteuils de tapisserie, trois canapiets, deux douzaines
de fauteuils à bras, cinq douzaines de chaizes, 220
livres
Ces nombreux sièges (90 sans compter les canapés)
sont estimés à peine plus qu'un seul "lit
de domestiques" ! Sans doute les simples chaises devaient-elles
être assez rustiques.
- sept commodes avec leurs garnitures (16), 200 livres
- quatre tables de jeux et dix autres tables de toilette
ou de service, 150 livres
- deux grands garde-meubles, 300 livres
- six autres armoires, 200 livres
Le château possède une chapelle dont les ornements
et linges sont estimés à 300 livres.
Dans les caves se trouvent "deux cuves, douze tonneaux,
six bennes" valant 300 livres. Un ensemble de bâtiments
tel que le château du Poyet et ses dépendances
nécessitait souvent des réparations aussi, pour
cela, des matériaux sont en permanence stockés.
Il semble, de plus, que la construction d'un bassin et peut-être
aussi celle d'un nouveau bâtiment aient été
prévues. Il y a dans les remises et près du château
:
- bois à oeuvrer consistant en quatre poutres, douze
douzaines de chevrons, douze plateaux chesnes, vingt douzaines
de planches de pin, 400 livres
- deux milliers de quarreaux, un millier de briques ou thuiles
150 livres
- trois tablettes de cheminée, quatre-vingt pieds de
pierre taillée pour un bassin, cent pieds de pierre taillée,
deux cents massotées (17) de pierre brutte conduite
sur place, 150 livres
On trouve encore :
- six garnitures de feu, trois sonnettes, deux quintaux de
fer en barre, tous les outils de jardinage, deux cognées,
trois pieds de gord (18), un passepartout, quatre coins
de fer
200 livres
- trois auges de pierre 60 livres
- deux grands coffres à grains garnis de leurs ferrures
150 livres
En fait, Jean-Hector Montagne de Poncins n'a pas acheté
la terre et seigneurie du Poyet pour lui puisqu'il la cède
aussitôt pour le même prix à Durand de La
Mure de Magnieu, chevalier, seigneur de Magnieu-Hauterive (19).
Le Poyet restera dans cette famille jusqu'à la Révolution.
En 1812, le château appartient à M. du Colombier,
préfet de la Loire (20), qui veut y établir une
manufacture de draps mais le projet n'aboutit pas. Le Poyet
est alors restauré. Plus tard, le cardinal de Bonald,
archevêque de Lyon, souhaitera y établir un monastère
cistercien. Là encore il n'y eut pas de suite. Mais -
est-ce une conséquence imprévue ? - le vicomte
de Meaux qui avait été chargé d'étudier
les modalités pratiques de cet établissement avec
un envoyé de la Trappe d'Aiguebelle devint lui-même
trappiste.
En 1856, le Poyet appartient à M. Nicolas, banquier à
Saint-Etienne. Aujourd'hui l'ensemble des bâtiments est
encore debout mais se trouve très enlaidi par des constructions
annexes à vocation agricole. On voit encore, au bord
de la route et face au portail principal, les restes d'une belle
fontaine Renaissance. Il s'agit des vestiges du mausolée
qui ornait primitivement le tombeau de la famille d'Urfé,
à Bonlieu. Ce petit monument mériterait d'être
restauré sinon qu'en restera-t-il dans quelques années
?
Dessin
: Edouard Crozier
Ayant juridiction sur un modeste territoire (3 km2 environ)
avec deux gros hameaux comptant quelques dizaines de feux, le
Poyet est bien représentatif des nombreuses petites seigneuries,
restes de l'époque féodale, qui, à la fin
de l'Ancien Régime, parsemaient le royaume. Parfois,
elles divisaient une seule paroisse. On retrouve, dans les relations
entre le Poyet et la Pierre, un exemple des conflits de juridiction
qui survenaient fréquemment entre seigneuries voisines.
Le
Poyet est vendu 75 000 livres, somme assez importante qui correspond
à la valeur d'une dizaine de domaines (21). La terre,
c'est-à-dire le château, ses terres et les deux
domaines avec leurs bestiaux, représentent les quatre
cinquièmes du prix total. La seigneurie, avec tous les
droits qu'elle recouvre, n'est comptée que pour 13 000
livres mais les droits féodaux consignés dans
les terriers étaient souvent contestés et difficiles
à percevoir.
Enfin, satisfaction non négligeable, l'acquisition d'un
tel bien permettait au maître des lieux de s'intituler
"seigneur du Poyet". Elle lui donnait "droit
de chapelle" à l'église paroissiale de Chazelles
et un petit air de souverain. Tout comme le roi, ne faisait-il
pas payer l'impôt et rendre la justice à ses gens
?
Joseph
Barou
Village
de Forez n° 65, janvier 1996
Notes
(1) Il s'agit
de :
- "Reconnaissance nouvelle en directes passée par
Messire Chappuis de la Goutte, écuyer en faveur de Messire
d'Allard, écuyer et seigneur de Chazelles du 1er septembre
1771" ;
- "Procès?verbal de vérification de bornes
entre Messire Jacques d'Allard, écuyer, seigneur de Chazelles
et de la Pierre et Messire Aimard Chapuis de la Goutte, écuyer,
seigneur du Poyet du 6 septembre 1771" ;
- "Vente de la terre et seigneurie du Poyet pour Messire
Jean Hector Montagne de Poncins par Messire Aymard Chappuis
de la Goutte du 27 septembre 1771";
- "Election en ami de la terre du Poyet par Messire Jean
Hector Montagne de Poncins en faveur de Messire Durand de La
Mure de Magnieu du 1er octobre 1771".
Archives Diana, fonds des notaires, Barrieu, 1771.
(2) Emile Salomon, Les châteaux historiques du Forez,
1916, t. 1.
(3) F. Renon, "Chronique de Notre-Dame-d'Espérance
de Montbrison", 1847.
(4) Selon l'acte de vente de la terre et seigneurie du Poyet
du septembre 1771". La famille de Saix venait de Sury-le-Comtal.
(5) Aujourd'hui Gruel est un hameau de la commune de Gumières.
(6) Fille de Louis 1er , duc de Bourbon et veuve de Guy VII.
(7) Emile Salomon, op. cit.
(8) Aymard Chappuis de la Goutte, né le 21 avril 1741,
fils d'Aymard?André Chappuis, seigneur de Charlieu à
Montbrison, baron d'Izeron (+ en 1766) et de Pétronille
de Montdor ; les Chappuis avaient possédé le château
de Charlieu près de Montbrison et l'avaient vendu en
1751.
(9)Acte reçu René Dumont, notaire à Montbrison.
(10) Jean-Jacques d'Allard (1714-1772), seigneur de la Pierre
et de Chazelles, père de Jean-Baptiste d'Allard (1768,
+ le 17 novembre 1848).
(11) David et Bautrand, commissaires en droits seigneuriaux.
(12) "Procès?verbal de vérification de bornes
entre Messire Jacques d'Allard, écuyer, seigneur de Chazelles
et de la Pierre et Messire Aimard Chapuis de la Goutte, écuyer,
seigneur du Poyet du 6 septembre 1771", acte reçu
Barrieu, notaire royal à Montbrison, archives Diana,
fonds de notaires, Barrieu, 1771.
(13) Nous n'avons pu, malheureusement, retrouver aucune de ces
bornes.
(14) Jean-Hector de Montagne de Poncins (1738-1793), chevalier,
marquis de Poncins, auteur d'un ouvrage intitulé "Le
grand oeuvre de l'agriculture" et publié en 1779.
Cf. J. Barou, "Un physiocrate forézien : Jean-Hector
de Montagne, marquis de Poncins", Village de Forez, n°
16 d'octobre 1983.
(15) Un acte précise quels sont les 27 tènements
de jardins, terres, prés, pâquiers, rochers, bois
et broussailles situés autour du hameau de Gruel qui
dépendent de la seigneurie de la Pierre. Leur superficie
totale est de 504 cartonnées :"Reconnaissance nouvelle
en directes passée par M. Chappuis de la Goutte, écuyer
en faveur de M. d'Allard, écuyer et seigneur de Chazelles
du 1er septembre 1771", archives Diana, fonds des notaires,
Barrieu, 1771.
(16) Ornements de bronze.
(17) Contenu d'un "massot", char à deux roues.
(18) Outils pour extraire le gore ?
(19) "Election en ami de la terre du Poyet par Mre Jean
Hector Montagne de Poncins en faveur de Mre Durand de La Mure
de Magnieu du 1er octobre 1771", acte reçu Bourboulon
et Barrieu.
(20) Successeur de M. Imbert, en fonction à Montbrison
du 3 avril 1807 au 1er mai 1812.
(21) La terre et seigneurie de Jas est, par exemple, vendue
10 000 livres en 1768.
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Documents
Dessin de Gaston Jourda de Vaux tiré
des Châteaux historiques du Forez d'Emile Salomon
Vers 1910
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( Journal de Montbrison du 24 juin 1843)
1843
: le projet d'installer un monastère cistercien
est abandonné,
vente du Poyet par le cardinal de Bonald
Vers 1910
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La fontaine
Vers 1910 (?)
(fonds Brassart, la Diana)
Cliché J. Barou
En 2001